J’ai longtemps écrit pour Le Quotidien d’Oran (LQO). C’était un réel plaisir de composer des textes pour ce journal. En fait, ce n’était pas pour le « Quotidien » lui-même, mais pour « Oran », ma ville, mon phare, le centre de gravité de mes pérégrinations.
J’ai longtemps écrit pour Le Quotidien d’Oran (LQO). C’était un réel plaisir de composer des textes pour ce journal. En fait, ce n’était pas pour le « Quotidien » lui-même, mais pour « Oran », ma ville, mon phare, le centre de gravité de mes pérégrinations.
Je me suis éloigné de ce quotidien lorsque j’ai constaté que mes écrits (notamment « Arabesque$ ») sur le rôle néfaste de l’Occident dans la politique du monde arabe en général et de l’Algérie en particulier dérangeaient sa ligne éditoriale. Il en a été de même avec mon livre sur Kamel Daoud ou celui sur les « ténors autoproclamés du Hirak » dont les sujets sont directement ou indirectement liés au thème précédent.
Non seulement mes livres n’ont jamais fait l’objet de recensions sérieuses, ni de critiques argumentées, ni d’interviews sérieuses comme c’est le cas dans d’autres médias algériens ou étrangers, mais ils ont été systématiquement l’objet de sordides attaques et d’ignobles dénigrements sur les colonnes même du LQO.
C’est Belkacem Ahcène-Djaballah (BAD pour les intimes), qui s’est chargé de ces basses besognes. Ah, ce sacré BAD! Avec un CV pédant aussi long que la Muraille de Chine, ce vénérable « môssieu » tient, sur LQO, la rubrique littéraire la plus malhonnête, la plus insignifiante et la plus insipide qu’il m’ait été donné de lire.
Voici deux exemples pour illustrer mon propos. Alors qu’il avoua ne pas avoir encore lu mon livre (sic) sur Kamel Daoud, BAD ne se priva pas de pondre une lamentable critique truffée de faussetés et d’attaques ad personam. Un vrai professionnel ce BAD!
J’ai adressé un texte à la direction de LQO pour faire valoir mon droit de réponse. Résultat? Motus et bouche cousue en parfaite contradiction avec l’éthique journalistique. J’attends toujours une réponse depuis…2016!
Au sujet de mon livre sur le Hirak, il le traita de « petit livre » « truffé de complots… mais, heureusement que les complots n'ont jamais fait l'Histoire ». Un langage identique, presque mot à mot, à celui d’un certain Zitout, sujet de Sa Majesté et accessoirement dirigeant du mouvement « Rachad » : LQO, BAD, Rachad, même combat?
Échaudé par ma première expérience et connaissant parfaitement la notion de « liberté d’expression » chez LQO, je n’ai pas osé demander un droit de réponse. Néanmoins, un honnête journaliste a décidé de ne pas laisser passer la chose.
Ah, j’oubliais. Il parait que BAD est « Professeur associé à l’École supérieure de journalisme et des sciences de l’information d’Alger/Ben Aknoun). Non, sérieux, ce n’est pas une blague?
Après cette nécessaire introduction pour situer dans quelle fange se vautre LQO, allons à notre sujet principal.
Il y a quelques jours, un ami me fit parvenir une copie du LQO datée du 23 mars 2022. J’allais poliment la mettre dans la corbeille lorsqu’un encadré, bien visible sur la une, attira mon attention.
Il s’agissait de trois articles présentés comme « supplément autour du monde » :
- « Les conséquences économiques de la guerre en Ukraine » par Mohamed A. El-Erian;
- « Des sanctions économiques, une arme de destruction massive », par Raghuram Rajan;
- « Le Potemkine militaire de Poutine », par Daniel Gros.
Il est donc question de trois articles traitant tous du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Intéressant à lire, n’est-ce pas?
Certes, mais on se rend vite compte que les articles en question sont politiquement orientés selon une vision occidentale, clairement anti-russe. On aurait cru qu’ils étaient écrits par le secrétaire général de l’OTAN en personne.
Extrait de la une du LQO du 23 mars 2022
Mohamed A. El-Erian, Raghuram Rajan et Daniel Gros sont des contributeurs mensuels de «Project Syndicate»
Dans le premier texte, on peut lire, par exemple :
« La Russie va être confrontée à de graves problèmes de change, des pénuries massives, l’effondrement du rouble, des arriérés de plus en plus importants et aux prévisions d’une population qui s’attend à ce que sa situation se dégrade ».
Mais avec ce portrait de fin du monde en Russie, l’auteur est beaucoup plus indulgent quant aux conséquences du conflit sur les pays occidentaux qui ne cessent de souffler sur la braise de la guerre au lieu de chercher des solutions pour une rapide fin de crise.
Dans le second, l’auteur traite la Russie de « nain économique relativement à sa puissance militaire » et prédit que les sanctions contre la Russie « porteront atteinte au niveau de vie et la santé de la population russe et pousseront à la hausse son taux de mortalité ». Il qualifie les sanctions contre la Russie de « moyen efficace (autrement dit, douloureux) mais civilisé de répondre à l’agression et à la barbarie », tout en encourageant de « s’en prendre aux biens des élites du pays agresseur ».
On aurait bien aimé l’entendre parler de l’isolement politique de l’Occident par rapport au reste du monde, ou des conséquences économiques de ces sanctions sur les pays occidentaux eux-mêmes.
Dans le troisième et dernier article, Daniel Gros nous apprend que « les Ukrainiens qui défendent chèrement leur patrie, semblent avoir un net avantage sur les forces russes d’invasion », que « la corruption a envahi la gouvernance russe », que « les pilotes russes semblent avoir peu d’expérience », que « Poutine a déclaré une guerre à partir d’un point de départ matériel faible » et qu’il « a mis la Russie sur la voie d’un déclin économique démoralisant ».
Il ne s’agit pas d’un article d’analyse, mais d’un pamphlet de pure propagande otanesque anti-russe.
Dans ces trois textes, aucun mot n’a été prononcé sur les causes réelles du conflit, sur la position agressive de l’OTAN et son inexorable expansion vers l’Est, sur le coup d’État de l’Euromaïdan, sur les conséquences négatives des sanctions sur les pays occidentaux et sur l’isolement historique de l’Occident.
Mais pourquoi LQO publie-t-il les textes de propagande de l’OTAN? Pourquoi participe-t-il à la gigantesque opération de désinformation menée par les médias occidentaux? Que viennent faire ces trois auteurs dans un journal algérien?
La réponse se trouve dans le petit rectangle placé au-dessus des noms des auteurs : « Project Syndicate : an association of newspapers around the world ».
Logo de « Project Syndicate »
Une visite sur le site officiel de « Project Syndicate » nous donne nombre d’informations sur cet organisme.
Tout d’abord, sur la page d’accueil on peut lire une série d’articles idéologiquement orientés contre la Russie. Pas un seul petit billet qui pourrait nuancer la vision du conflit ou donner la parole à des analystes susceptibles de faire la part des choses. NIET!
Mais quel est cet organisme et quelle est sa mission? La réponse est sur leur site.
Tout d’abord voici son slogan :
« Nous croyons que le monde entier mérite d'avoir accès à ses plus grands esprits. Notre mission est d'atteindre ceux qui n'ont pas cette opportunité ».
Sa mission est définie comme suit :
« Project Syndicate produit et diffuse des commentaires originaux de haute qualité à un public mondial. Avec des contributions exclusives d'éminents dirigeants politiques, décideurs, universitaires, chefs d'entreprise et militants civiques du monde entier, nous fournissons aux médias et à leurs lecteurs des analyses et des informations de pointe, quelle que soit leur capacité de paiement. Nos membres comprennent plus de 600 médias - dont plus de la moitié reçoivent nos commentaires gratuitement ou à des tarifs subventionnés - dans 156 pays ».
Ainsi, cet organisme s’est fixé comme tâche, entre autres, de diffuser les écrits des « plus grands esprits » occidentaux ou non, pourvu qu’ils interprètent les évènements avec une grille d’analyse occidentale. Car, même si les noms des auteurs des trois articles cités précédemment ne sont pas tous occidentaux, il n’en demeure pas moins que leurs écrits épousent les thèses occidentales, sans nuance aucune. Comme nous l’avons souligné à maintes reprises par le passé, l’Occident a besoin de ses « néocolonisés » et de ses « alibis ethniques ».
Cette vision occidentale est ensuite propagée dans les pays moins développés et ce, en plusieurs langues. Tout cela gratuitement ou à des coûts très modiques.
Parmi les auteurs estampillés « grands esprits » par « Project Syndicate », on peut citer de célèbres noms comme Donald Rumsfeld, secrétaire à la Défense (2001-2006) de George W. Bush, George Robertson, secrétaire d’État à la Défense (1997-1999) de Tony Blair et secrétaire général de l’OTAN (1999-2003), Joseph S. Nye, concepteur américain du « Soft power », Zbigniew Brzezinski, conseiller à la sécurité nationale (1977-1981) du président Jimmy Carter, Saad Eddin Ibrahim (le collègue de Lahouari Addi à la NED), activiste égyptien largement financé par l’administration américaine et George Soros, spéculateur financier et milliardaire américain. N’oublions pas que Soros est le grand promoteur de la « société ouverte », qu’il a parmi ses multiples « réalisations », le financement des « révolutions colorées », en particulier la « révolution orange » (Ukraine 2004) et qu’il a été partie prenante dans la formation des cyberactivistes arabes qui ont été fortement impliqués dans le « printemps » arabe.
Comme on peut le constater, il s’agit bien de « grands esprits » qui ont servi avec ardeur le bellicisme de l’OTAN et l’hégémonie américaine à travers le monde.
À titre indicatif, il faut savoir que le plus récent article de George Soros publié sur le site de « Project Syndicate » a pour titre : « Vladimir Poutine et le risque de la IIIe guerre mondiale ». Pour se faire une idée sur sa teneur, il suffit de lire la dernière phrase :
« Nous ne pouvons qu'espérer que Poutine et Xi [Jinping] seront chassés du pouvoir avant qu'ils ne puissent détruire notre civilisation ».
Avec une telle animosité, on comprend bien pourquoi la fondation « Open Society » de Soros a été bannie de la Russie en 2015.
D’autre part, « Open Society » a récemment créé le « Fonds ukrainien pour la démocratie » doté de 25 millions de dollars, ce qui en dit long sur le positionnement de Soros et de sa fondation en ce qui concerne le conflit entre la Russie et l’Ukraine.
Et, bien entendu, si le nom de Soros est cité dans « Project Syndicate » son chéquier ne doit pas être très loin. En effet, le site officiel de « Project Syndicate » indique que « Open society » figure en première place parmi ses contributeurs financiers et cela a été ainsi depuis plusieurs années. À titre d’exemple, pour les années 2000 et 2002, la contribution de la fondation Soros a été respectivement de 902 000$ et 1 151 000$.
Dans un article universitaire intitulé « L'"empire" des médias Soros : le pouvoir de la philanthropie pour créer le consentement » publié en 2008, Michael Barker cite une « une liste non exhaustive de projets médiatiques financés par Soros pour illustrer la gamme d'organisations que Soros utilise pour manipuler la démocratie dans le monde ». Bien évidemment, « Project Syndicate » y figure.
Sur un autre document, on apprend que seuls deux journaux algériens ont été en relation avec « Project Syndicate » : LQO et La Tribune. Le second n’existant plus depuis quelques années, seul LQO continue à s’abreuver du savoir des « grands esprits » occidentalistes et à le disséminer dans les cerveaux de ses lecteurs.
LQO et La Tribune, les deux seuls membres algériens de « Project Syndicate »
En résumé, nous pouvons dire que le « Project Syndicate » sert à diffuser des analyses typiquement occidentales et otanesques. Financé, entre autres, par « Open Society » de George Soros, il permet actuellement à LQO à diffuser la propagande de l’OTAN en Algérie dans le cadre du conflit russo-ukrainien.
Sachant que nous vivons à l’ère des guerres de quatrième génération (G4G) et que l’information est devenue un produit « arsenalisé », il est inquiétant pour notre pays de constater que de tels points de vue, totalement orientés, puissent être aussi facilement publiés dans des journaux algériens et fallacieusement considérés comme émanant de « sommités » mondiales. Pourtant, les trois articles cités auparavant sont d’une navrante médiocrité.
D’autant plus que cela se fait par l’intermédiaire d’une organisation occidentale qui sous-entend que les « grands esprits » ne sont que celles ou ceux qui produisent des analyses qui sont en accord avec les intérêts occidentaux ou considérés comme tels. Ajoutons à cela un schéma de diffusion de l’information à sens unique, purement néocolonial : de l’Occident vers les pays moins développés.
Cela veut dire aussi qu’il est impossible à un « petit esprit » (non occidentaliste, bien sûr!) de publier, dans un journal occidental, un point de vue différent de celui dicté par les médias mainstream. Cela est encore plus clair actuellement, dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne.
Tout cela tendrait à expliquer pourquoi mes livres dérangent tant la ligne éditoriale de LQO et pourquoi BAD a été chargé des basses besognes : Ahmed Bensaada n’a été adoubé ni par « Project Syndicate », ni par « Open Society ». Il ne sera donc jamais un « grand esprit » à leurs yeux parce qu’il ne parle pas leur langage.
Et toute voix discordante est automatiquement traitée de complotiste. N'est-ce pas BAD?
Cet article a aussi été publié par:
École populaire de philosophie et de sciences sociales
La Tribune diplomatique internationale