Monsieur Charly Abdou,
Je vous écris ces quelques lignes pour vous faire savoir que je suis fâché.
En réalité, ce n’est pas moi qui vous écris car je n’ai pas eu la chance d’aller à l’école. Mon père a travaillé toute sa vie comme émigré en France et un jour il est revenu dans un cercueil. J’étais jeune et on m’avait dit qu’un homme qui n’aime pas les Arabes avait mis le feu au foyer d’émigrés où il vivait. Pourtant, il a travaillé très fort pour construire votre pays. Il a construit des routes, des bâtiments et il a fait tous les boulots que les Français ne voulaient pas faire pour ne pas se salir.
Après sa mort, je suis allé au marché faire les petits boulots (comme on dit chez nous) pour aider ma mère à élever mes frères et sœurs qui sont tous allés à l’école. C’est mon oncle Hamza qui m’a fait travailler. Il connait ça, lui, le marché. Il y travaille depuis l’indépendance et même avant car, comme moi, il a perdu son père, tué par l’armée française pendant la guerre. Il a commencé avec des petits boulots et maintenant il a une petite table où il vend des légumes.
Mon oncle ne sait pas écrire, lui aussi, et c’est mon petit frère Bilal qui va à l’école qui vous écrit ce que je pense.
Eh oui, parce que je pense beaucoup depuis que j’ai entendu que vous avez dessiné des dessins pas gentils sur mon prophète (SAWS) que j’aime beaucoup. Même que des fois, je n’arrive pas à bien dormir et je me réveille au milieu de la nuit car je fais toujours le même rêve étrange. Je vois mon père habillé tout de blanc qui me dit : « Mais pourquoi Charly Abdou se moque de notre prophète? Je l’ai vu, moi notre saint prophète et c’est quelqu’un de bien. Peux-tu dire à Abdou de ne pas le ridiculiser? ». Et mon père se met à pleurer, ce qui me fait beaucoup de peine et me réveille en sursaut.
C’est pour ne pas revoir mon père pleurer encore que j’ai décidé de vous envoyer cette lettre.
Vous savez, je m’appelle Mohamed, comme notre prophète. Chez nous, l’ainé de la famille prend toujours un des noms de notre noble prophète pour qu’on se rappelle tout le temps de lui.
Quand on m’a dit votre nom, je n’ai pas très bien compris. Comment cela se fait-il que votre prénom est roumi et que votre nom est arabe? Je me suis dit alors que peut-être votre mère est roumia et que votre père est de chez nous.
Vous savez, vous vous appelez Abdou, comme le cheikh Abdou, notre imam et aussi mon meilleur ami, Abdou, le fils de l’épicier qui prend souvent des bonbons à son père pour les partager avec moi, en cachette. Il y a aussi le cheb Abdou qui fait de la bonne musique Raï sur laquelle on danse beaucoup pendant les mariages.
J’ai longtemps pensé sans vraiment comprendre. Comment quelqu'un qui s'appelle Abdou peut manquer de respect au prophète de l’Islam? Moi aussi j’aime dessiner, mais je dessine des maisons, des arbres, des montagnes. Je ne dessine jamais les prophètes.
Même que cheikh Abdou, notre imam, nous a dit que ce n’était pas bien de se moquer des prophètes. Tous les prophètes, sans exception : Jésus, Moïse, Abraham (AS) et tous les autres.
On m’a aussi dit que ce n’était pas la première fois que vous vous moquez de notre prophète. À chaque fois vous recommencez des dessins sur lui. Mais pourquoi vous faites ça? Est-ce que c’est parce que vous manquez d’inspiration?
Moi aussi quand je dessine, cela m’arrive des fois. Je dessine un bel arbre et, quelques semaines après je dessine le même arbre. L’inspiration, ce n’est pas facile. Surtout quand on n’est pas allé à l’école comme moi.
Mon oncle Hamza connaît beaucoup de choses même s’il n’est pas allé à l’école. Il dit toujours qu’il a fréquenté l’école de la vie. C’est celle que je fréquente moi aussi et je saurai autant de choses que lui quand je serai grand.
Je lui ai demandé si les dessinateurs pouvaient dessiner n’importe quoi en France. Il m’a dit que non. Il y avait certains sujets dont il était interdit de parler non seulement en France, mais dans tous les pays des roumis.
Il m’a dit le mot, mais je ne m’en rappelle pas car il est compliqué. Il parait qu’un humoriste français avec un drôle de nom a essayé de rire de ça. Le pauvre! Il est encore en vie, mais il a été persécuté. Tous lui sont tombés dessus!
Et c’est là où j’ai été étonné. Expliquez-moi M. Abdou. C’est vrai que chez vous, en France, dans ce grand pays, il y a des lois qui protègent certains sujets mais aucune ne protège les prophètes?
Hier, j’ai vu à la télé qu’il y avait beaucoup de problèmes à travers le monde à cause des moqueries sur notre prophète. Des morts, des blessés, des gens en colère. Il parait même que des Américains ont été tués.
Alors, dites-moi, M. Abdou, est-ce que vous faites des dessins pour vendre des livres ou pour tuer des gens?
Mon oncle m’a toujours dit que ce n’était pas bien de faire des choses juste pour fâcher les autres et je pense qu’il a raison. Je l’aime beaucoup mon oncle car il a toujours des bonnes idées et des belles paroles, même s’il n’est pas allé à l’école comme vous.
Je termine cette lettre en souhaitant de tout mon cœur que vous ne manquiez plus jamais d’inspiration. Comme cela, vous ne dessinerez plus la même chose et il y aura moins de gens tristes, fâchés, blessés ou morts.
Et puis même si vous n’avez plus d’idées, s’il vous plait, ne dessinez plus mon prophète. Je ne veux plus revoir mon père pleurer ni des gens malheureux à la télé.
Promis, M. Abdou?
Salam.
Signé : Mohamed
Cet article a été publié le 27 septembre 2012 dans les colonnes du Quotidien d'Oran
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