Société

Il y a pire que de ne pas être informé: c’est penser l’être

Le 7 août 2012, nous avons perdu un être cher, ami et collègue du département de physique de l'Université d'Oran.

En son souvenir, notre ami Rachid Brahmi, également du département de physique, a écrit un texte touchant que j'aimerais partager avec vous.

 

Lors du fameux débat sur l'immigration et les accommodements raisonnables qui a fait rage il y a quelques années au Québec, j'avais décidé d'écrire un article pour donner mon point de vue de citoyen canadien sur un sujet qui me touchait au plus haut point. En effet, je suis non seulement immigrant, mais aussi musulman et arabe. Les attaques contre ces communautés n'ont pas été tendres, mais le paroxysme était atteint lorsqu'un groupe communautaire combinait les trois caractéristiques.

J'ai donc rédigé un texte intitulé "L'effet papillon inverse" que j'ai envoyé au journal "La Presse" le 17 janvier 2007. Il était accompagné du message suivant:

Il est des moments qui nous invitent à célébrer le sacrifice de millions de nos concitoyens, martyrs de multiples révolutions, qui se sont dressés contre l’oppression, l’injustice et  le déni d’humanité.

Il est des moments qui nous appellent à chérir la mémoire de ceux qui ont, de leurs mains nues, défriché le chemin de notre liberté, par leur sang, insufflé dans notre âme la notion de dignité humaine et par leur abnégation nous ont permis de nous mettre debout et de lever nos têtes.

Il est des moments qui nous poussent à crier haut et fort qu’il n’y a rien de bon dans le colonialisme que d’aucuns cherchent à glorifier pour justifier leurs massacres, s’absoudre de leurs méfaits ou bien décorer les livres de leurs écoliers.

Il est des moments qui nous exigent de transcender nos clivages, surmonter nos divisions et galvaniser les citoyens de notre patrie.

Il est des moments qui nous obligent à dire NON à ceux d’entre nous qui, pour plaire à certains, nuire à d’autres, ou par égarement fugace, regrettent la présence du colon, de l’oppresseur, de l’agresseur, du génocidaire.

Il est des moments qui nous imposent de faire table rase de tout syndrome de Stockholm, de toute trace de scotomisation de faits historiques et d’idéalisation de l’envahisseur, occupant illégal et belliqueux d’une Terre, NOTRE Terre, l’Algérie.

Il est des moments qui nous incitent à ne pas regarder uniquement et exclusivement les années qui ont suivi un évènement historique (ce que nous faisons à longueur d’année), mais plutôt à découvrir, déchiffrer et nous approprier les longues années qui ont précédé cet événement et qui lui ont permis de se réaliser.

Il est des moments qui nous somment de nous remémorer que des Algériens comme moi, dont les parents et les aïeux sur quatre générations étaient TOUS analphabètes par la « bénédiction » du colon, ont réussi, en une génération, à gravir TOUS les échelons du savoir grâce à un seul et unique mot qui s’appelle INDÉPENDANCE.

Il est des moments, rares je le concède mais ô combien savoureux, qui permettent au Bien de terrasser le Mal, à la lumière de conquérir la noirceur, à la justice de vaincre  l’iniquité.

Il est des moments qui nous ordonnent, tous ensemble, de chanter, célébrer, fêter, « youyouter », pétarader, canonner afin de commémorer la fin de 132 années noires, avilissantes et dégradantes.

Il est des moments, comme aujourd’hui, où nous devons tous, à l’unisson, clamer jusqu’à nous égosiller :

Gloire à nos martyrs et joyeux cinquantenaire, mon pays!


Cet article a été publié le 5 juillet 2012 dans colonnes du "Quotidien d'Oran"

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