Pourquoi le Maroc collabore-t-il avec Israël ? Entretien avec Ahmed Bensaada et Michel Collon
Pourquoi le Maroc collabore-t-il avec Israël ?
Entretien avec Ahmed Bensaada et Michel Collon
Investig'Action, mardi 11 janvier 2022
Pourquoi le Maroc collabore-t-il avec Israël ?
Entretien avec Ahmed Bensaada et Michel Collon
Investig'Action, mardi 11 janvier 2022
Contre l’idéologie harkie
Par Kaddour Naimi
1- Pour la culture libre et solidaire
Algérie Patriotique, le 12 avril 2018
Le propos est de considérer trois formes de comportement en Algérie : économique, idéologico-politique et leur corollaire «culturel». La présente contribution examine d’abord ce dernier ; elle s’intéressera successivement aux deux autres dans des contributions suivantes. Cette précision préliminaire vise à souligner la relation de dépendance réciproque entre ces trois aspects de l’activité sociale, en reconnaissant à l’aspect culturel la prééminence, non pas comme base de l’ensemble des trois aspects, mais comme étant le plus apparent, parce que livré aux projecteurs médiatiques, afin de conditionner l’opinion publique.
A ma connaissance, une observation, qui n’a pas été exprimée, justifie cette contribution. Pour la mettre dans son cadre et en comprendre l’utilité, il est nécessaire de connaître un article d’Ahmed Bensaada(1) et d’avoir en tête ce qu’on appelle les «mtournis»(2) et les «contrebandiers de l’histoire»(3). Pour ma part, je les nomme «faussaires». Il est cependant plus judicieux de caractériser leur comportement comme «harki» : ce terme a l’avantage de les placer dans une correcte perspective historique algérienne. En France, on appelle ce genre de personnes «collabos».
Les articles ci-dessus mentionnés ont exposé le pourquoi et le comment des écrits (articles, romans, films ou autre) et déclarations verbales de ces auteurs. Il paraît nécessaire, alors, d’approfondir le résultat «objectif» de leurs écrits et déclarations. Boileau demanda : «Il faut appeler un chat un chat et un fripon, un fripon.» Pour ma part, j’appelle un microbe, microbe. La méthode est on ne peut plus honnête. Allons-y donc !
Le monde actuel est le terrain et l’objet d’une lutte de plus en plus visible, brutale, impitoyable. Elle fait suite à la fin du système bipolaire qui opposait l’«Est» et l’«Ouest». Le capitalisme ayant vaincu, sa voracité originelle revient ; elle se masque comme défense de la «liberté», de la «démocratie», des «droits humains», de la «civilisation», de la «culture», quand ne s’ajoutent pas à la liste les «valeurs judéo-chrétiennes».
Ce capitalisme triomphateur a réveillé, avec lui, son sous-produit, aussi vorace que lui : le néocolonialisme. Ce dernier, aussi, veut ardemment sa revanche sur les luttes de libération nationale.
Et le troisième larron, également, ne se contente plus de ce que les puissances étrangères hégémoniques lui avaient concédé : une partie du territoire de la Palestine. Il la veut toute entière, en la colonisant au détriment du peuple qui y vit.
Si le but recherché par l’Etat sioniste est clair, ceux du capitalisme et du néocolonialisme le sont moins. Propagande de guerre oblige ! Hitler, Mussolini et l’empereur du Japon ne se sont-ils pas présentés comme «bienfaiteurs de l’humanité», pour justifier leurs agressions de la seconde boucherie mondiale ?
Toutefois, il suffit d’être un lecteur intelligent, sachant distinguer entre les «fake news» et les informations vraies, pour se rendre compte des buts de l’impérialisme et du néocolonialisme : la mainmise sur les ressources naturelles des peuples et l’exploitation de leur force de travail au moindre prix. Sans les premières, le système capitaliste ne peut pas se maintenir : pour lui, c’est une question de vie ou de mort. En toute logique, il préfère pour lui la vie et pour les autres, la mort(4).
L’Algérie n’échappe pas à ce conflit planétaire. Elle possède des ressources stratégiques : pétrole et gaz. Ils sont «vitaux» pour le système capitaliste. Lequel a, partout et toujours, utilisé des relais locaux, indigènes, pour agir, en employant l’habituelle méthode : la corruption par l’argent, la promesse d’accéder au pouvoir dans le pays convoité pour continuer l’action servile de laquais, en recueillant les «miettes» suffisantes comme caste.
Si l’on pas conscience claire et nette de cette situation fondamentale, si on l’ignore ou la néglige, on ne comprend pas l’enjeu fondamental. Conséquemment, on se perd dans des considérations stupides et on devient des perroquets, manipulés par ceux qui ont intérêt à obscurcir l’enjeu fondamental. Ils y parviennent en évoquant de faux problèmes, les présentant comme réels, ou des problèmes réels présentés comme principaux, alors qu’en fait ils sont secondaires. Ils le sont, parce que causés, précisément, par le système social de domination-exploitation. Ceci étant clarifié, poursuivons.
Auteurs
Considérons, d’une part, les «auteurs» (hommes et femmes) incriminés. Ils objectent : «Mais j’ai le droit d’exprimer mon opinion, comme tout le monde !» ; «La liberté d’expression est un droit inaliénable ; la contester, c’est du fascisme, de la police de la pensée !» ou encore : «Le métissage culturel est une manifestation d’ouverture et d’universalité !»(5)
Concernant les deux premières objections, voici deux observations.
La première. Bien entendu, toute personne a le droit inaliénable d’exprimer ses opinions, même les plus abjectes. Cela interdit-il à une autre personne d’utiliser sa propre liberté pour critiquer les opinions de la première personne, et montrer, d’une part, leur inconsistance du point de vue de la raison et de la logique, et, d’autre part, l’intérêt caché (éthiquement injuste et socialement nocif) poursuivi par ces «opinions» soi-disant «libres» ?… En définitif, ces dernières ne peuvent servir que l’une de ces deux catégories sociales : soit les dominateurs-exploiteurs, soit les dominés-exploités. Croire ne pas devoir tenir compte de cette opposition sociale fondamentale, croire se placer «au-dessus» d’elle, c’est simplement manifester un pharisaïsme hypocrite, tel ce consul romain impérialiste qui «se lava les mains» du sang de Jésus qu’il laissa crucifier. Par conséquent, au sujet de tout écrit et de toute déclaration verbale, il est indispensable de demander : qui paie l’auteur ? Et son écrit, quel intérêt sert-il réellement : les dominateurs ou les dominés ?… Nul auteur n’est «au-dessus» de ce conflit social ; son «objectivité» et sa «libre opinion» ne le sont pas et ne peuvent pas l’être. Si on ignore ou nie ce fait, on est, comme auteur, dans l’ignorance ou le mensonge manipulateur (au service des dominateurs) et, comme lecteur, dans l’ignorance ou victime du conditionnement manipulateur (par des agents au service des dominateurs).
Seconde observation à propos de la liberté d’expression. Partout et toujours, la proclamer comme droit absolu inaliénable ne provient pas uniquement des auteurs visant à la libération sociale. Ceux qui servent la domination exploiteuse, eux aussi, revendiquent cette « liberté » comme leur «droit». Je le mets entre guillemets pour ce motif : distinguer le droit authentique (servant à l’émancipation humaine), du «droit» inacceptable : celui des dominateurs et de leurs laquais pour légitimer la mainmise sur les ressources naturelles d’un peuple et le vol de sa force de travail.
Ceci dit, oui, il est indispensable de laisser complètement libre l’expression de l’opinion, même quand elle est monstrueuse et criminelle. Pourquoi ?… Parce que, comme les microbes, elle ne peut être neutralisée qu’au soleil du débat. Parce qu’il ne faut pas (l’expérience historique le montre) s’ériger en «défenseur» du peuple, en prétendant le «protéger» d’idées malsaines, sous prétexte qu’il serait «mineur», incapable de discerner le vrai du faux, ce qui sert son intérêt et ce qui le dessert. Le meilleur moyen de venir en aide au peuple est de le laisser prendre librement connaissance des idées contraires à ses intérêts, et de les critiquer publiquement, avec patience et intelligence, en employant tous les moyens pacifiques indispensables. Uniquement de cette manière, les idées malsaines peuvent être combattues efficacement.
Lecteurs
D’autre part, à propos des auteurs, intéressons-nous à leurs «lecteurs et commentateurs» (hommes et femmes). Ces derniers avancent ce genre d’«argument» : «Mais qu’avez-vous contre cette personne ?» ; «Etes-vous jaloux de son succès parce que vous ne l’avez pas ?» ou encore : «Allons ! Assez avec la critique et la division ! Union !»
Ces objections ne voient :
1) que la personne et non l’idéologie qu’elle incarne ; or, c’est cette dernière qui est critiquée ;
2) que le succès commercial-médiatique et non la vision sociale qu’il vend ; or, là encore, c’est cette marchandise précise qui est critiquée ;
3) que la nécessité de l’union ; or, comment des partisans de la liberté solidaire peuvent-ils s’unir avec des mercenaires de l’asservissement aux capitalistes ?… Le poète espagnol Federico Garcia Lorca déclara : «Je suis et serai toujours du côté de ceux qui ont faim.» Voilà la ligne de démarcation, la ligne rouge (du sang du peuple) qui sépare et oppose ceux qui aiment et servent le peuple, de ceux qui ne servent qu’eux-mêmes, en servant leurs fournisseurs d’argent et de gloire médiatique. Les premiers luttent pour une vie digne, pour soi-même et tous les autres, au prix du risque le plus fatal ; les seconds s’avilissent pour une «carrière» individuelle.
Ceci dit, précisons que cette contradiction n’existe pas uniquement en Algérie ; elle est partout et depuis toujours, plus ou moins grave, plus ou moins nette, selon l’intensité de l’opposition entre dominateurs-exploiteurs et dominés-exploités.
Par conséquent, les objections des auteurs incriminés et celles de leurs défenseurs ne sont pas recevables pour les motifs ci-dessus explicités. Par la suite seront examinés les deux domaines principaux où ces auteurs interviennent : la Guerre de Libération nationale et la société algérienne actuelle.
K. N.
A suivre...
(2) Algérianisation du terme français «retournés», qui ont changé de conception historique. Voir Abdellali Merdaci, et les diverses parties commencées.
(3) Expression de l’écrivain algérien Rachid Boudjedra dans un pamphlet du même titre. Il y dénonce la frange d’intellectuels et d’écrivains, algériens ou d’origine algérienne, qui s’efforcent de «réviser» la réalité coloniale, pour la rendre moins criminelle, en présentant uniquement des aspects discutables de la résistance patriotique qui combattit et réussit à mettre fin au système colonial.
(4) Voir La guerre, pourquoi ? La paix, comment ?, librement accessible sur http://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits.html
(5) Ce thème sera traité ultérieurement de manière spécifique.
Algérie Patriotique, le 16 avril 2018
En ce qui concerne la Guerre de Libération nationale, les auteurs harkis se distinguent par une caractéristique : ils ne trouvent dans ce combat patriotique que des faits condamnables. Non pas qu’ils n’aient pas existé ou qu’ils doivent être occultés, mais ne faut-il pas, en les évoquant, les insérer dans le cadre général d’une guerre de libération ?
Considérons un cas. Ahmed Bensaada écrit(5) : «Le premier exemple est celui du roman Le Village de l’Allemand de Boualem Sansal qui traite d’un Allemand converti à l’islam et réfugié en Algérie après la Seconde Guerre mondiale. Marié à une Algérienne, ce personnage était un bourreau nazi qui a mis ses compétences au service de l’ALN. Qualifiée d’authentique par l’auteur, cette théorie a été battue en brèche par de nombreuses personnes, dont M. Bouhamidi. Mais qu’elle soit vraie ou non importe peu. Ce qui compte c’est cette relation entre le nazisme, l’ALN, l’islamisme et les banlieues françaises. Ce mélange explosif représente un grimoire qui fait mousser les ventes. Je ne vous apprendrais rien si je vous disais que plusieurs pays ont acquis les droits de traduction de ce roman, dont Israël(6).»
Approfondissons l’examen. Il est possible que des Allemands aient pu rejoindre l’Armée de libération nationale. Des militants français, partisans de l’indépendance de l’Algérie, ont essayé de sensibiliser des militaires de la légion étrangère, dont certains étaient d’origine allemande ; le but était de les encourager soit à déserter, soit à rejoindre les combattants algériens. Les cas de succès de ces tentatives furent très rares, tandis que l’écrasante majorité de ces légionnaires ont exécuté leur infâme action colonialiste. J’en sais personnellement quelque chose. Je suis né à Sidi Bel-Abbès, comme disait la propagande officielle d’alors «berceau de la Légion étrangère». Ma première enfance s’est déroulée pendant la Guerre de Libération nationale. Plus d’une fois, en pleine nuit, je fus réveillé en sursaut, avec toute ma famille. Mon grand-père allait ouvrir la porte à ces légionnaires et nous étions, femmes et enfants, jeunes et vieux, extrêmement préoccupés, réunis dans la cour pour «inspection» au cas où des moudjahidine étaient parmi nous. Il arrivait à ces «représentants de la civilisation française», s’ils étaient ivres, de tirer une balle dans la tête des personnes à «contrôler» et cela «pour rire», ou de violer une femme sous les yeux de toute sa famille… Et même, cela est arrivé, un légionnaire, d’un coup de crosse, tua une femme enceinte, s’amusant de voir éclater son ventre et de voir tomber le fœtus qu’il contenait. Plus d’une fois ma mère, alors enceinte, jeune et «attrayante» pour ces criminels sadiques, avait craint le pire. Par chance, dans notre famille, rien de grave n’eut lieu.
Ce qu’était la majorité écrasante de la légion, la voici. Imbue d’idéologie nazie, mais pas seulement. Celle-ci était renforcée par l’idéologie coloniale française. Les méthodes de répression étaient absolument les mêmes ! Les Algériens étaient les juifs, les Tziganes et les Russes de l’armée française. Pis encore, au début de l’invasion, les Algériens étaient soumis à la «solution indienne» : extermination de la population indigène pour la remplacer par des colons français. Massacres en masse des civils et enfumage des réfugiés dans des grottes.
Quant à épouser une Algérienne, la majorité écrasante des légionnaires allemands fréquentaient le bordel de Filaj Allaft (village du Navet) de Sidi Bel-Abbès, quand ils ne violaient pas des femmes autochtones durant leur «mission civilisatrice» de «pacification».
Dès lors, posons la question : si Sansal avait mis en scène l’un de ces criminels, est-ce que les éditeurs occidentaux capitalistes et israéliens sionistes(6) auraient été intéressés à la promotion d’un tel roman ?… L’expérience répond par la négative. Ces éditeurs n’y auraient vu qu’une «dénonciation haineuse contre l’Occident» et sa «civilisation» de la part d’un «Arabe» (ou Kabyle) vindicatif, rongé par le «ressentiment» et «incapable d’oublier le passé» (comme dirait le président français Emmanuel Macron, lors de son bain de foule à Alger).
Par contre, raconter le genre de personnage présenté par Sansal va dans le sens de l’idéologie présentant la Guerre de Libération nationale algérienne comme inspirée par le nazisme et l’islam le plus rétrograde. Alors qu’en réalité, la Guerre de Libération fut nourrie essentiellement par un nationalisme patriotique, démocratique et une interprétation progressiste et libératrice de l’islam. La version obscurantiste de l’islam existait, mais elle était incarnée essentiellement par les zaouïas, alliées au système colonial, notamment par l’affirmation suivante : «Le colonialisme nous a été envoyé par Allah Tout-Puissant ! Nous devons, par conséquent, nous plier à Sa Volonté !» Ce n’est pas un hasard si l’administration coloniale encouragea la création de «marabouts».
Autre cas encore signalé par Ahmed Bensaada : «Le second exemple est Le Rapt d’Anouar Benmalek, roman qui déterre l’histoire du massacre de Melouza perpétré par l’ALN sur des populations civiles algériennes pendant la Guerre de Libération. Il va sans dire qu’il est important de se pencher sur notre Histoire afin d’en analyser aussi bien les faits d’armes que les exactions. Cacher honteusement des pans de notre Histoire pour protéger la mémoire de certains n’est ni constructif ni éthique.
Mais vous conviendrez avec moi qu’il est quand même étonnant de voir le succès époustouflant de cette histoire, alors que le film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb a subi les foudres de nombreuses personnalités politiques françaises avant même qu’ils ne le voient. La raison ? Ce film aborde le massacre d’Algériens par l’armée française, le 8 mai 1945 à Sétif. Reprochant son contenu «antifrançais», des députés UMP ont même demandé son retrait du Festival de Cannes en menaçant de perturber la projection du film. «Comment peut-on accuser un film de « falsifier l’histoire » lorsqu’il s’agit du massacre d’Algériens par des Français et de qualifier de chef-d’œuvre un roman qui relate le massacre d’Algériens par des Algériens ? N’y a-t-il pas là une conception biaisée de la liberté de création et d’expression ?»
Certes, on est dans le cas où la liberté devrait être uniquement celle des dominateurs, anciens et actuels. Elle consiste à fournir leur version de l’histoire, celle qui convient à leur idéologie dominatrice. Et, pour la «légitimer» aux yeux de l’opinion publique, il faut «angéliser» les actions du dominateur et «diaboliser» celles de la victime. Et comment réaliser cette opération mieux qu’en utilisant non pas des Occidentaux, mais des individus issus du peuple dominé lui-même ? En effet, dans le premier cas, l’opinion publique risque de soupçonner l’existence d’une «vérité» uniquement des vainqueurs, donc partiale, tandis que dans le second cas, l’apparence de vérité vraie est plus crédible, puisque formulée par un «représentant» des victimes.
La tragédie relatée dans le roman de Benmalek est, évidemment, absolument condamnable. Mais ne faut-il pas la placer dans son contexte général ? Afin d’en relativiser l’aspect, en reconnaissant que le massacre de civils perpétré par l’Armée de libération nationale se place dans le cadre d’une guerre atroce, imposée par l’armée coloniale, sans oublier ses supplétifs indigènes. Elle fut la première à commettre des massacres généralisés de civils, dès l’invasion de l’Algérie, et, à peine la Seconde Guerre mondiale finie, où des Algériens sont morts pour sauver la France, la même armée coloniale commit le massacre de civils à Sétif.
Bien entendu, comparaison n’est pas raison. Les immenses crimes contre l’Humanité de l’armée coloniale française ne justifient pas le massacre de civils par l’Armée de Libération Nationale. Ce qui est en examen et en cause est le fait suivant : la tragédie relatée par le romancier est-elle placée dans son cadre général ?… Autrement, n’est-on pas dans la manipulation de l’histoire à des fins de propagande ? Et qui sert-elle, dans la lutte actuelle des dominateurs-exploiteurs contre les dominés-exploités, sinon les premiers ?
A propos du choix de son sujet, Benmalek répondit à Ahmed Bensaada, selon ce dernier : «Tout auteur a le droit de choisir les sujets qui l’intéressent.» Bien entendu !… Reste la question : cet intérêt de l’auteur, avec quel intérêt social général coïncide-t-il ? Celui des dominateurs ou celui des dominés ?
On découvre, alors, la vérité occultée. Elle est dans le cadre de la propagande stratégique mondiale actuelle, celle du «choc des civilisations» du fameux Samuel Hungtington(7). Son ouvrage prépara l’opinion occidentale à l’agression de l’armée états-unienne contre l’Afghanistan, ensuite l’Irak, dans le cadre de la création du «nouveau» Moyen-Orient, conforme aux intérêts de l’oligarchie militaro-financière US et de son gendarme dans la région : l’oligarchie sioniste.
Voilà comment la «littérature» se révèle être un instrument de guerre psychologique et idéologique dans la stratégie, dans ce cas celle de l’impérialisme étatsunien et de son allié sioniste. Dès lors, on comprendra le motif du «succès» commercial et médiatique des romans de Sansal, de Benmalek et de toute œuvre fabriquée avec cette recette(8). Elle est très simple : mettez dans la marmite (roman ou film) un ou plusieurs éléments qui montrent la «barbarie», passée et/ou présente, du peuple et/ou du régime de la nation à agresser. Comme par hasard, cette dernière a toujours des ressources naturelles et/ou un territoire stratégique… pour les intérêts de l’oligarchie capitaliste mondiale.
Si par hasard, l’écriture de l’auteur n’est pas à la hauteur, les commanditaires sont là pour fournir l’«aide» nécessaire, comme ce fut le cas du premier roman de Kamel Daoud, sauf erreur de ma part. L’essentiel est que l’argent versé à l’auteur pour la promotion commerciale de son œuvre serve l’intérêt stratégique de domination mondiale. Car, sans l’accès aux ressources naturelles du Moyen-Orient (sans oublier la Libye, et, prochainement l’Algérie ?), notamment pétrole et gaz, comment faire fonctionner l’industrie (qui fournit les profits commerciaux) et les instruments de guerre (qui garantissent son existence) ?… Que l’on ne se trompe pas sur les «bons rapports» actuels entre les dirigeants algériens et américains et européens (notamment anglais et français) ; il en était de même de ces derniers avec les Talibans, Saddam Hussein et Mouammar El Kedhafi avant de décider leur élimination parce que les intérêts stratégiques changèrent.
Ceci étant clarifié, l’auteur en question déclara : «Je suis libre d’exprimer mes idées, et je dénonce la police de la pensée.» Hitler déclarait la même chose quand il écrivit son Mein Kampf (Mon combat), aidé dans l’écriture par quelqu’un d’autre et, comme on le sait, cet ouvrage eut un immense succès commercial. Ferdinand Céline et Robert Brasillach revendiquaient, eux aussi, la même «liberté» de s’exprimer et ils eurent leur succès de librairie.
Revenons à la Guerre de Libération nationale. En considérant son cadre général, les fautes et les méfaits des combattants pour l’indépendance étaient nettement inférieurs en comparaison des crimes du colonialisme, depuis son installation dans le pays jusqu’à la guerre qui l’a chassé. Souvenons de la réplique de Larbi Ben M’hidi aux journalistes français qui lui reprochaient l’emploi de bombes artisanales contre les civils, laissant sous-entendre par là le côté «barbare» des combattants algériens : «Donnez-nous vos chars et vos avions, et nous vous donnerons nos couffins de bombes artisanales.»
Si l’on est objectif du point de vue historique, il est donc nécessaire de distinguer mais, aussi, de mettre en relation crimes épisodiques de la Guerre de Libération (sans rien en diminuer) et crimes du colonialisme contre l’Humanité (là, aussi, sans rien en diminuer). Autrement, sous prétexte de dénoncer les premiers, on justifie les seconds. Au tribunal de l’Histoire doit également être appliquée la règle : la vérité, toute la vérité et rien d’autre que la vérité. Est-ce le cas dans les œuvres romanesques ou filmiques des auteurs en examen ?
Tout roman ou film charrie une idéologie, une vision sociale, que l’auteur le veuille ou pas. Celle-ci est claire ou voilée, mais toujours existante. L’art pour l’art n’existe que dans la cervelle de ceux qui croient produire «au-dessus» des conflits sociaux. Si l’auteur nie le «message» idéologique, explicite ou implicite, de son œuvre, soit il est stupidement ignorant, soit ignoblement menteur. Il ne s’agit pas, ici, de défendre la théorie passée, stérile et totalitaire, du «réalisme socialiste» ni de l’«engagement social», mais de montrer les implications, non avouées, d’une littérature et d’un art. Sous prétexte de «droit à la liberté d’expression», ils servent en réalité les intérêts des oligarchies dominatrices-exploiteuses.
L’œuvre littéraire ou artistique de l’auteur – voilà en quoi il est harki – fonctionne objectivement comme une arme de préparation psychologique afin de disqualifier l’aspect libérateur de la guerre anticolonialiste algérienne. Dans quel but ? A travers les consommateurs de ces œuvres, l’objectif est, d’une part, de désarmer moralement le peuple algérien et, d’autre part, de préparer l’opinion publique des pays dominateurs à une agression contre l’Algérie. Pourquoi ?… Parce que, après l’agression contre la Syrie devrait venir le tour de l’Iran, puis de l’Algérie. Parce que dans ces pays, il y a le pétrole et le gaz ! Et qu’il faut réduire les gouvernants de ces pays au rôle de laquais, à l’image de ceux d’Arabie et du Golfe. Autrement, comment garantir la continuité de l’hégémonie étatsunienne (et de ses alliés européens) face à la montée en puissance de la Chine et de la Russie et du désir de pays comme l’Algérie à se développer économiquement ?
Voilà donc ce qu’il faut souligner et tenir en permanence dans notre esprit : ce serait la plus grande des catastrophes si les générations algériennes actuelles, n’ayant pas subi le colonialisme, ignorent ce qu’il fut(9). Dans cette ignorance, osons une métaphore adéquate : des rats sont à l’action pour inoculer la peste dans la mémoire. Cette action infâme leur fournit argent, projecteurs médiatiques et «invitations» dans des colloques organisés par certains Etats ; comme par hasard ils font partie du « club » des agresseurs d’autres nations. La « culture » harkie, comme préparation psychologique à l’agression, est une méthode traditionnelle. À ce propos, rien de nouveau.
Il reste à se poser une autre question. Depuis l’indépendance, les détenteurs du pouvoir en Algérie, qu’ont-ils fait pour perpétuer l’indispensable mémoire du combat héroïque du peuple algérien pour son indépendance nationale et maintenir vive la flamme patriotique ? Non pas par ressentiment stérile, non pas par dérisoire rabâchage d’un passé révolu, mais parce que la menace impérialiste et néocolonialiste est redevenue actuelle(10). La réponse à cette question sera examinée dans les trois parties à venir.
K. N. (This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it.)
A suivre...
(5) Article cité dans la partie 1.
(6) Veillons toujours à distinguer les sionistes israéliens des citoyens du même pays qui luttent courageusement pour la reconnaissance des droits légitimes du peuple palestinien, en conformité avec les résolutions de l’ONU, telles l’organisation Gush Shalom et celle des militaires Refuznik qui refusent de servir dans l’armée d’occupation. Voir La Guerre, pourquoi ? La paix, comment ? librement accessible ici: http://www.kadour-naimi.com/f_sociologie_ecrits.html
(7) Paru en 1996, voir La Guerre, pourquoi ? La paix, comment ? déjà cité.
(9) Voilà dans quel cadre il faut comprendre la fameuse phrase du président français Macron, lors de sa dernière visite en Algérie. Dans un «bain de foule», il voulut convaincre un jeune Algérien de ne plus penser au «passé».
(10) Pour l’analyse de la stratégique mondiale impérialiste-sioniste contre les peuples, notamment palestinien, voir les autres auteurs (de romans et de films) examinés par Ahmed Bensaada, afin d’y appliquer l’analyse globale exposée dans cette contribution. Pour effectuer encore mieux cette analyse, il est très utile de relire ou de lire les œuvres de Frantz Fanon et d’Albert Memmi, dont les écrits se révèlent encore actuels.
Algérie Patriotique, le 18 avril 2018
Pour comprendre clairement l’attitude des dirigeants algériens, concernant la Guerre de Libération nationale, et cela depuis l’indépendance, il est nécessaire d’établir deux comparaisons : une première avec la Chine, dans cette troisième partie, et une seconde avec le Vietnam, dans la quatrième partie.
Ce 4 avril 2018, en Chine, était le Qing Ming, le jour annuel, traditionnel et plurimillénaire du souvenir des morts, ceux des familles. On se rend sur leurs tombes pour les honorer, en perpétuant le cher et émouvant souvenir que l’on conserve de leur séjour sur terre. Cependant, en Chine, cette tradition a été enrichie par une autre. D’autres disparus sont honorés de la même manière : ce sont les morts de la nation, tués durant la guerre de libération anti-impérialiste, antiféodale et anticapitaliste. Depuis la victoire du peuple chinois sur ces agents dominateurs-exploiteurs, en 1949, partout en Chine, les autorités ont construit des musées et des monuments. Dans les premiers, les Chinois (et étrangers en visite) viennent voir les preuves concrètes, d’une part, des victimes de l’impérialisme et du féodalo-capitalisme, et, d’autre part, des combattants et combattantes qui les ont affrontés et vaincus. Devant ces preuves concrètes, aucune personne, chinoise ou étrangère, qui a un cœur sensible et un esprit ouvert aux souffrances et aux luttes d’un peuple ne peut rester indifférent.
Bien entendu, l’une de mes premières actions en arrivant en Chine fut la visite de ces musées et monuments.
Ce 4 avril donc, j’ai passé quelques heures à voir sur CCTV1, le canal principal et officiel de la télévision chinoise, les nombreux reportages sur la commémoration de la guerre de libération populaire chinoise. Des plus grandes méga pôles aux villages les plus isolés dans les montagnes, au sein de l’ethnie majoritaire han comme de toutes les cinquante-six ethnies minoritaires du pays, les citoyennes et citoyens, les élèves des écoles primaires, des lycées et des universités, les militaires appelés ou professionnels, les intellectuels, les artistes, bref tout le peuple alla rendre hommage à ses combattants et combattantes.
En outre, ce même jour, sur le canal officiel principal de la télévision étatique, une émission de plusieurs heures fut consacrée aux combattantes et combattants tombés durant la résistance populaire armée, à travers les témoignages de leurs enfants ou petits-enfants, collègues de travail ou compagnons de lutte. Je voyais ces témoins raconter et rappeler, avec dignité mais fermeté, les horribles souffrances et les héroïques combats de celles et ceux qui leur ont offert la libération de l’impérialo-féodalo-capitalisme. Puis, le témoin, homme ou femme, allait devant le portrait du ou de la martyre, présenté sur une immense photo, posait un bouquet de fleurs rouges, s’inclinait en signe du plus profond respect, enfin s’adressait au/à la martyre en lui exprimant à haute voix tout l’amour ressenti, toute l’admiration éprouvée, et toute la dette reconnue. Le témoin pleurait, les spectateurs et spectatrices dans le studio pleuraient, et, dans la maison où je me trouvais avec une famille chinoise, des larmes baignaient nos yeux et nos joues. L’émotion du cœur stimulait la vigilance de l’esprit, l’indignation pour les effroyables crimes commis contre le peuple renforçait la résolution de penser : «Plus jamais ça !»
Ainsi, depuis 1949, année de la libération, ce peuple chinois, chaque année, entretient vive la mémoire du combat qui lui a donné l’indépendance, garde vive la mémoire des immenses sacrifices consenties, garde vive la mémoire des méfaits de l’impérialisme et du féodalo-capitalisme, garde vive la vigilance. Car, au-delà des relations commerciales et diplomatiques, les dirigeants de ce peuple prennent le soin de faire savoir à leur peuple, par des émissions de télévision quotidiennes, sur des canaux thématiques, que l’impérialisme est encore présent(1).
Ajoutons à cela que divers canaux de la télévision officielle chinoise diffusent quotidiennement, – je dis bien : quotidiennement – des documentaires, des films et des téléfilms sur la guerre de libération nationale, ainsi que des témoignages de survivants combattants et combattantes, ou victimes.
On objectera : «D’accord ! Mais le régime chinois est retourné au capitalisme !» C’est vrai. Et, à part les couches sociales qui en profitent, les travailleurs manuels et les paysans pauvres s’en plaignent et même se révoltent parfois. Néanmoins, le peuple, dans son ensemble, au-delà de ses conflits sociaux internes, manifeste un authentique et très fort patriotisme. C’est que ce peuple a tellement souffert dans le passé les très humiliants crimes des envahisseurs, plus humiliants encore que ceux des dominateurs intérieurs. Et dans quasi chaque endroit, comme déjà dit, on trouve des musées et des monuments qui rappellent ces faits. Parfois, dans les musées, ils sont exposés même crûment, quasi insupportables à voir. Mais, les décideurs ont eu raison ! Il faut voir pour croire ! Des cadavres de civils, des deux sexes, de tout âge, sont visibles dans certains musées, présentés dans la position où les victimes furent assassinées. Deux de ces cadavres m’ont particulièrement impressionné : une mère tenant son bébé.
L’événement qui reste le plus cruellement dans la mémoire du peuple, c’est le massacre dans la ville de Nankin(2) : «Un événement de la guerre sino-japonaise qui a eu lieu à partir de décembre 1937, après la bataille de Nankin. Pendant les six semaines que dure le massacre de Nankin, des centaines de milliers de civils et de soldats désarmés sont assassinés et entre 20 000 et 80 000 femmes et enfants sont violés par les soldats de l’armée impériale japonaise.»(3)
Dès lors, pour le Chinois, quelle que soit sa classe sociale, une chose est certaine : la terre et le peuple de la patrie sont sacrés ! Quelques soient les conflits internes au peuple, un aspect l’unit fermement : la dignité et la défense du pays, de la patrie et de son peuple.
La Chine connut un phénomène tel que celui des harkis d’Algérie : il s’incarna dans une marionnette d’«empereur» installé par l’armée japonaise dans le nord-est de la Chine. Mais ce pays ne produisit pas de harkis intellectuels, tel celui dénoncé par Abdellali Merdaci(4).
Même quand les Chinois émigrent pour chercher un meilleur travail ou pour jouir de plus de liberté d’expression, que ces Chinois soient du peuple ordinaire ou de l’élite intellectuelle, on ne trouve aucun ni aucune, du moins à ma connaissance, qui se conduit comme nos harkis «intellectuels» et «militants» : aucune insulte, aucun reniement du peuple dont on est issu, aucun mépris du peuple d’origine suite à la prise de nationalité d’un autre pays, principalement ex-colonisateur. Et ce n’est pas dans le pays dont le peuple chinois a le plus cruellement souffert que, généralement, les Chinois s’exilent : le Japon, même si sa langue est celle qui est la plus proche de l’idiome chinois. Jusqu’à aujourd’hui, les autorités et le peuple chinois réclament la reconnaissance officielle des crimes de guerre de l’armée impériale fasciste japonaise contre le peuple chinois. Et le refus d’y consentir des divers gouvernements japonais, jusqu’à aujourd’hui, ne permet pas l’établissement de relations de «bon» voisinage.
Même parmi les militants ou intellectuels qui furent emprisonnés en Chine, à cause de leurs idées démocratiques, torturés, croupis pendant de longues années en détention, aucun ni aucune, sauf ignorance de ma part, ne déclare, en exil ou demeurant dans le pays, mépriser son peuple, vouloir «changer de peuple»(5) ou adopter une autre «identité» culturelle en renonçant à celle d’origine(6) : simplement, ces militants et intellectuels critiquent sévèrement les autorités pour leur négation des droits démocratiques du peuple.
Tout Chinois sait, parce que les canaux télévisés le déclarent chaque jour, que la Chine, même capitaliste, est contrainte d’affronter la menace concurrentielle de ses ennemis : les Etats-Unis en premier lieu, et leurs alliés. Les Chinois savent que l’impitoyable concurrence économique actuelle est la première forme de guerre contre les nations et les peuples aspirant à se développer, et, dans ce but, se libérer de la domination capitaliste hégémonique mondiale. Les autorités et le peuple chinois sont parfaitement conscients que les Etats impérialistes dirigés par celui hégémonique, les Etats-Unis, font et feront tout pour empêcher le peuple chinois, y compris ses capitalistes, d’accéder au niveau de développement auquel ils aspirent, parce que celui-ci signifie, automatiquement, la perte de l’hégémonie mondiale détenue actuellement par le capitalisme US.
Par conséquent, le peuple et les dirigeants chinois doivent demeurer prêts à défendre leur patrie contre les agresseurs. Dans cette perspective, les dirigeants du pays font tout afin que le peuple maintienne en mémoire les crimes dont furent (et demeurent encore capables) les agresseurs étrangers, sous peine de retomber dans la dépendance étrangère. A chaque occasion, même la plus ordinaire, je note personnellement l’impressionnante ferveur patriotique des Chinois, entretenue par la mémoire vive du passé subi par les agressions étrangères. Cette ferveur permanente, nourrie quotidiennement par une mémoire vive des crimes étrangers passés, est parfaitement en concordance avec les agissements impérialistes actuels qui menacent le développement pacifique du pays.
La prochaine partie examinera l’attitude des autorités vietnamiennes concernant leurs deux guerres de libération nationale. Cela permettra d’en arriver aux autorités algériennes à propos de leur comportement concernant la guerre de libération nationale.
K. N. (This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it.)
A suivre...
(2) Voir http://fr.cntv.cn/special/journenationaledecommemoration/
(3) Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_de_Nankin#cite_note-1
(4) In https://www.algeriepatriotique.com/2018/03/28/contribution-dabdellali-merdaci-breve-adresse-a-naturalise-honteux/, https://www.algeriepatriotique.com/2018/03/30/mise-point-merdaci/ et les diverses parties commencées avec https://www.algeriepatriotique.com/2018/04/04/franches-explications/
(6) Voir note 4.
À propos de la présence de M. Slimane Benaïssa dans le panel du dialogue national
Le panel, le mtourni et l’espoir dévoyé
Par Abdellali MERDACI*
Le 24 août 2019
Le 1er-Novembre 1954 marque l’acte de naissance de l’Algérie moderne parachevé par le vote d’autodétermination des Algériens du 1er juillet 1962, qui ont choisi massivement leur indépendance nationale. Mais l’avènement de la nation algérienne, solennellement annoncé le 3 juillet 1962, a été suffisamment coûteux en vies humaines pour que le pacte du sang de centaines de milliers d’Algériens qui se sont engagés dans la guerre anticoloniale, morts pour la libération de leur pays, soit oublié, dénaturé et piétiné.
Sujets français ou pour certains d’entre eux naturalisés français, les Indigènes d’Algérie (rappelons que le qualificatif « Algérien » était réservé aux seuls européens) accédaient progressivement à la faveur des Ordonnances de 1944 et de 1947 à la citoyenneté française, sans la disparition des deux collèges électoraux (européen et indigène), fondement de la politique coloniale. Ces mesures législatives, ils ne pouvaient s’en satisfaire. Avant l’insurrection armée du 1er-novembre 1954, à l’appel du FLN, les partis politiques indigènes ou franco-indigène (ainsi, le PCA) ont recherché plusieurs formules pour éradiquer le système colonial, et parmi ces formules l’État fédéral algéro-français, un moment pressenti et défendu par Ferhat Abbas que n’aurait pas dédaigné Messali Hadj, chef du PPA-MTLD. Toutes les hypothèses de sortie de l’emprise coloniale des Indigènes d’Algérie sont tombées devant l’incernable défense institutionnelle et politico-militaire de l’État colonial français. La seule perspective, qui s’imposait, certainement ruineuse pour les combattants algériens démunis face à une puissance militaire mondiale, était la guerre ; elle appelait une rupture juridique et identitaire.
L’indépendance de l’Algérie mettait un terme à l’Algérie française, à ses rites et à ses hiérarchies statutaires. Au printemps 1962, les Accords d’Évian (paraphés par le GPRA et le gouvernement du général de Gaulle) prévoyaient une période intérimaire pour permettre aux Algériens et aux Français – sans exception d’appartenance communautaire et confessionnelle – de faire librement, en Algérie et en France, le choix de leur nationalité. Cette ultime page de l’Algérie coloniale a été tournée sans heurts ni passions. Des Indigènes d’Algérie se sont résolument tournés vers la France ; des Français d’Algérie, catholiques, israélites et agnostiques, se sont reconnu Algériens.
Bi-nationalité et double jeu
Depuis la révolution ratée d’Octobre 1988 et, plus encore, depuis la montée de l’islamisme armé et ses guerres sanglantes, des Algériens, nés et grandis en Algérie, dont les parents ont choisi nettement l’Algérie et la nationalité algérienne, le plus souvent formés et promus par l’Algérie, ont profité du chaos des années 1990 pour faire leur retour dans la nationalité française. Quittant leur pays en flammes, ils ont été moins dans un repli provisoire que dans une fuite éperdue. Ils l’ont fait en toute responsabilité sous le prétexte qu’ils étaient menacés par l’islamisme. Mais, à cette époque, ce sont toutes les forces vives du pays qui l’étaient et un responsable du FIS, ancien troupier de la Wehrmacht et des « « SS Mohamed » dans la France occupée des années 1940, projetait, lors d’un meeting du FIS dans un grand stade d’Alger, la mise à mort de trois millions d’Algériens. Funeste comptabilité d’un islamisme encore toléré ? Les élites du pays, toutes spécialités confondues, étaient promises à la « solution finale ».
Mais le malheur de l’Algérie était pour beaucoup une aubaine pour retourner sans état d’âme à la nationalité française. C’est le cas typique (et quelque peu pittoresque !) des frères Lamdaoui de Constantine, dont l’un deviendra l’indispensable et dispendieux valet de pied de M. François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste français, puis président de la République française (2012-2017).
Les Algériens qui ont quitté leur pays, au cœur de la guerre fratricide de la « décennie rouge », qui en compromettait l’unité et l’avenir, non pas pour un courageux et édifiant exil, mais pour se placer sous la protection et le confort de la nationalité de l’ancien colonisateur, n’ont pas droit au respect. Ils ont quasiment déserté devant le feu, qui a emporté nos frères et sœurs par dizaines de milliers, et abdiqué leur dignité nationale. Ce fait peut-il être frappé de sourde indifférence ?
Or, s’il est sans grande conséquence que des Algériens, à l’étroit dans le plus grand pays d’Afrique, deviennent Américains, Canadiens, Anglais, Australiens ou nationaux de pays de tous les continents qui n’ont pas avec l’Algérie le lourd contentieux historique de la colonisation, le retour à la nationalité française est un déni du sacrifice des martyrs de la guerre d’indépendance et de tous les génocides de la conquête militaire française, au XIXe siècle, et du maintien de l’ordre colonial, notamment à Sétif, Guelma et Kherrata, au XXe siècle. Chaque Algérien, redevenu Français, prolonge l’Algérie française, en apostasiant le lien national sacré.
Cependant, les Algériens d’hier, d’aujourd’hui et de demain sont libres de changer de pays et de nationalité, de se faire précisément Français, à la seule condition d’avoir le courage de ce choix et de l’assumer sans faillir, d’exister exemplairement pour leur pays d’adoption, sans convoiter d’incroyables prébendes dans le pays autrefois abandonné. À l’image de l’écrivain Anouar Benmalek, indécrottable invité du Salon international du Livre d’Alger, qui déclarait entrer au pays avec le passeport français, en s’en vantant avec une malsaine jubilation, ils sont nombreux à retourner en Algérie pour prendre des responsabilités et des honneurs qui devraient distinguer les seuls Algéro-algériens qui ont vécu et continuent à vivre, souvent dans la meurtrissure, leur pays au quotidien.
Quel est donc ce pays du million et demi de martyrs qui les trahit en attribuant la Médaille du Mérite national à un néo-Français originaire d’Algérie, vestale du sionisme international ? Plus que par l’Histoire, ceux qui ont accordé cette Médaille, irriguée du sang des Chouhada, au réalisateur français d’origine algérienne Merzak Allouache, de retour du Festival du cinéma de Haïfa (Israël) où il soutenait cyniquement avoir représenté son pays, la France, doivent être jugés par les Hommes. Ni l’Algérie, ni sa politique, ni sa Culture n’ont besoin de cette confusion, de ce double jeu et des ambiguïtés de la bi-nationalité.
Une espérance de paix pour les Algériens et par les Algériens
J’ai dénoncé publiquement, en 2018, dans les colonnes de la presse en ligne d’Algérie la nomination par M. Azzeddine Mihoubi, alors ministre de la Culture, de M. Slimane Benaïssa, bruyamment naturalisé Français au début des années 1990, dans les fonctions de commissaire du Festival international du théâtre de Bejaia. Il serait vain de considérer le dramaturge au moment de son passage en France comme un aventureux et misérable harrag. Je recommande instamment à ceux qui veulent savoir dans quelles conditions il a été pris en charge et exfiltré par les services de l’ambassade de France à Alger pour rejoindre Paris et retourner à la nationalité française de lire les pages que lui consacre Sévérine Labat dans son ouvrage La France réinventée. Les nouveaux bi-nationaux franco-algériens (Paris, Publisud, 2010).
J’ai découvert fortuitement, dans l’édition du Soir d’Algérie du 10 août 2019, que le dénommé Slimane Benaïssa a été intégré dans le panel du dialogue national dirigé par M. Karim Younès. Cette désignation d’un mtourni honteux dans une institution nationale qui a pour objectif de favoriser un consensus entre Algériens dans cette phase difficile de leur histoire est autant imméritée que choquante.
Cette nouvelle turpitude, à l’heure foisonnante du « hirak », rejoint les errements des gouvernements de M. Bouteflika qui ont ouvert la porte aux binationaux de tous acabits. M. Benaïssa est-il irréprochable ? Algérien, il a demandé et obtenu la nationalité de la France envers laquelle il a des droits et des devoirs. C’est un acte d’infidélité envers son pays d’origine, envers son histoire singulière : l’Algérie est et restera le Pays des Martyrs ; on ne lui fait pas l’affront d’une seconde mère. Le dramaturge a estimé devoir refaire sa vie en France et il s’y est prêté plutôt mal que bien : comédien et metteur en scène sans enracinement dans la profession et, hasardement, auteur de romans de piètre qualité, sans aucune audience.
Sur le tard, comme bon nombre de ses congénères qui ont tout raté en France, Slimane Benaïssa est retourné dans son pays d’origine pour faire du rattrapage, guignant en prédateur avisé provendes et prébendes. Ainsi, le commissariat du Festival du théâtre de Bejaia. Et, désormais, une mission inouïe au panel du dialogue national.
Comment, lorsqu’on a trahi et répudié son pays, peut-on faciliter et arbitrer le dialogue entre Algériens ? Quels sont ces nationalistes avérés qui vont accepter la médiation d’un néo-Français ? Plus que jamais, le changement est nécessaire et urgent dans notre pays et dans notre société. Mais est-il à ce prix ? M. Younès, qui ne doit pas douter que le dialogue, s’il a lieu, mettrait sur la table d’improbables vérités, prend-il la mesure de sa décision d’accueillir dans son panel le Français d’origine algérienne Slimane Benaïssa ? La loi algérienne est claire : les hautes responsabilités politiques et stratégiques de l’État ne peuvent être confiées à des binationaux.
Faudrait-il y insister ? L’espérance de paix en Algérie ne doit être discutée et partagée qu’entre Algériens, de quelque tendance sociopolitique qu’ils soient, et il est souhaitable qu’ils retrouvent plus que l’unanimité le sens de l’unité de notre cher pays pour lui donner un destin neuf. Ceux qui ont trahi l’Algérie et la nation algérienne au moment où elles étaient à terre, dans la souffrance, les deuils et la mortification, les mtournis de toutes obédiences au front grêlé de sombres infamies, ne devraient pas y émerger en donneurs de leçons fantasques et infatués.
Depuis l’irruption du « hirak », ces coopérants, d’une triste complexion, ces « pied-gris », autoproclamés experts salvateurs, squattent les colonnes de la presse algérienne, déblatèrent à l’envi sur tout et rien, même sur les qualités physico-chimiques du drapeau national dont ils se sont volontairement détournés pour saluer d’autres couleurs, d’autres croyances, et jurer fidélité à d’exclusives allégeances. Cette nation blessée, qu’ils ont quittée sans regret, vers laquelle ils reviennent la conscience embrumée, garde les traces de leurs mordantes forfaitures. Ils n’y ont aucune légitimité.
*Professeur des Universités, écrivain.
D’un pays à l’autre, d’une langue à l’autre. Où se situe l’exil?
Par Slimane Benaïssa (*)
Le Soir d'Algérie, le 20 mars 2018
Qui est l’autre ?
Celui qui a une couleur de peau différente de la mienne ? Celui qui est d’une religion différente, de sexe différent, de nationalité différente, de culture différente ?
Qu’est-ce que l’autre ? L’autre, avant d’être une différence, est avant tout et en grande partie une ressemblance. Car on ne peut comparer, en positif ou en négatif, que des choses qui se ressemblent.
Pour accepter ou rejeter un individu, il faut qu’il soit totalement comme nous, à une différence près. Le paradoxe est que cette différence devient le tout et le tout qui nous ressemble devient une quantité négligeable. Et certains oseront affirmer que cette infime différence détermine le tout !
Si on s’arrête à cette définition de l’autre, on ouvrira la porte à toutes sortes de discriminations qui répondent à la simple équation : il est différent, donc il mauvais ; il est différent de moi qui suis le bien, donc il est le mal.
«Autre» avant d’être un pronom indéfini, un adjectif, est philosophiquement défini comme «catégorie de l’être et de la pensée qualifiant l’hétérogène, le divers, le multiple».
Et là, je citerai une manière chez les Arabes d’introduire l’enseignement de la philosophie ; ils instruisent le débutant sur la notion de philosophie par l’anecdote suivante : deux frères jumeaux qui, pour se différencier, portent chacun un tarbouche différent. Un matin, l’un des deux se réveille et met le tarbouche de son frère. En se regardant dans le miroir, il se dit : «Si maintenant je suis mon frère, alors qui suis-je ?» Cette question est le début de la philosophie.
On voit bien qu’on ne peut s’interroger sur l’autre sans s’interroger sur soi-même, ce qui nous mène tout droit à la troisième définition de l’autre, la définition psychanalytique. Selon Lacan : «L’autre est le lieu où se situe un au-delà du partenaire imaginaire, ce qui est intérieur et extérieur au sujet et le détermine néanmoins.» On passe à travers les différentes définitions de l’autre, de l’adjectif qui mène au rejet en passant par la définition philosophique qui mène à l’interrogation sur nous-même et la définition psychanalytique qui définit l’autre comme quelque chose qui me détermine. Donc l’autre est en moi.
La meilleure façon de considérer l’autre, c’est d’être l’autre, de vivre avec l’idée que l’autre c’est tout simplement moi. L’autre est en nous ! Si l’autre est en nous et que nous sommes les autres, alors on est enclin à se poser la question que se pose le deuxième frère : qui sommes-nous ?
Ce NOUS qui peut être collectif ou individuel est déterminé par notre propre histoire. Nous évoluons ou nous régressons, selon les cas, en fonction de notre histoire.
Comme chaque individu, société, communauté a une histoire différente et dans beaucoup de cas opposée à celle de l’autre, sinon antagoniste, comment ces sociétés vont-elles construire leur paix ? En tout état de cause, ce n’est ni en additionnant toutes les histoires ni en exhibant les douleurs engendrées, ou les gloires obtenues. L’histoire, malheureusement, est une suite d’événements justes ou injustes sur lesquels nous ne pouvons plus agir, mais, au contraire, nous devons les considérer telles qu’elles sont, quelle que soit la douleur, quelles que soient les injustices. Nous n’avons sur l’histoire qu’un seul pouvoir, celui de la lire et de la relire pour comprendre ce qui s’est réellement passé et cette compréhension constitue la mémoire. La mémoire est en quelque sorte constituée de notre compréhension de notre histoire et de l’analyse qu’on fera des événements à travers le prisme de nos valeurs.
Les mémoires, contrairement à l’histoire qui nous enferme, peuvent fusionner entre elles et construire de nouvelles mémoires qui intègrent celles des autres. C’est pour cela qu’il est important que la mémoire soit l’émanation de la vraie histoire ; si on déforme l’histoire, la mémoire sera mal nourrie et inopérante pour l’évolution des sociétés. Si nos histoires respectives nous séparent, nous éloignent, les mémoires peuvent nous rapprocher, nous unir.
J’ai été élevé et j’ai grandi dans quatre langues : l’arabe dialectal, le tamazight, le français et l’arabe classique. La question de l’autre était en principe résolue en moi, puisque mon MOI était fait d’autres, puisque l’altérité ne peut être concevable que dans un cadre pluriel. Mais pour beaucoup d’Algériens, l'autre non conflictuel ne peut être qu'étranger… Et je commencerai par une citation de la sociolinguiste Amina Aït-Sahlia qui écrit dans un article en 1999 : «L’autre en discours» : «Reconnaître la part d'autre dans un même, c'est aussi reconnaître en soi sa part d'autre. Plus que la crainte de reconnaître l'autre en tant que tel, c'est aussi peut-être la crainte d'être déstabilisés que redoutent les Algériens en reconnaissant l'autre en eux-mêmes. N'est-ce pas la crainte de se retrouver étrangers à eux-mêmes ? Et pourtant... Moi-même et tous les Algériens sommes tous le résultat de siècles de brassages culturels. Nous sommes tous inévitablement porteurs de notre part d'autre.»
Les communautés ou les sociétés comme l’Algérie revendiquent l’altérité vis-à-vis de l’extérieur et la refusent à l’intérieur. Cette double relation à l’altérité est contradictoire et dangereuse en cas de conflit. Étant tous les mêmes en tant qu’éléments d’une même communauté, nous avons les mêmes différences et nous devons avoir les mêmes agissements vis-à-vis de l’autre extérieur. C’est ainsi que n’importe quel Arabe peut venger n’importe quel autre Arabe. La négation de l’altérité à l’intérieur par la négation de la pluralité multiplie à l’infini les conflits avec la pluralité extérieure.
Voici dans quel esprit j’ai reçu l’héritage de ma pluralité et le pétrin dans lequel a fermenté la pâte de mon métissage. J’ai compris que je devais défendre la pluralité, qui me définit sur tous les fronts.
Expérience algérienne
Au théâtre, j’ai choisi de m’exprimer en arabe dialectal qui est la langue maternelle de la majorité des Algériens et représentative de son histoire. Elle a drainé toutes les influences qu’a connues le peuple algérien : berbère, romaine, turque, arabe, française. Elle est à ce titre une référence sûre. C’est dans cette langue que le public algérien s’entend, qu’il se comprend, qu’il veut débattre et évoluer.
Cette langue étant une langue d’oralité, elle a une structure dont le centre est la mémoire et la mémorisation. Elle est organisée de manière à ce que tous les récits développés soient mémorisés à l’écoute. La culture orale développe à cette fin d’innombrables techniques :
Elle possède, entre autres, deux grandes qualités qui me permettent de dépasser tous ces conflits linguistiques et me servir de point d’appui pour créer une langue pour le théâtre :
Sa première qualité est d’avoir su dépasser les limites du discours social à travers un langage par sous-entendus que les poètes et les narrateurs, qui ne pouvaient pas tout dire en public, ont développé.
Sa deuxième qualité est d’avoir su déjouer la censure coloniale à travers des codes de communication développés par les orateurs.
Face à cette double répression, morale et politique, la langue n’était plus dans ses mots, elle n’était plus dans ce qu’on entendait, mais dans ce qu’elle sous-entendait.
Par ailleurs, à l’école française, j’ai appris que le théâtre ne se réalisait pas totalement dans ce qui est dit, mais dans le non-dit. J’ai tenté alors d’élever les sous-entendus de la langue maternelle à la force des non-dits pour construire une langue pour le théâtre algérien. A un moment de cette expérience, j’ai compris que cela ne suffisait pas, parce que le sous-entendu était une construction qui se développait sur les images. A partir d’une image, on suggère une autre. Ce procédé déguise la langue mais n’apporte pas du sens, il favorise la redondance, alors que le non-dit surfe justement sur le sens. On développe un sens audible, qui ouvre la porte sur plusieurs sens non-dits, et ces non-dits prennent tout leur sens dans l’imaginaire du public.
Toutes ces techniques, une fois libérées de la problématique de la mémoire, deviennent des outils dont on se sert pour faciliter l’écoute au théâtre et nous offrent différents registres au service de l’écriture dramaturgique. L’arabe dialectal a subi l’influence de l’arabe classique qui est intimement lié au Coran. Il fallait le laïciser, le libérer de son contenu systématiquement religieux et en faire une langue qui parle simplement de l’humain. On ne peut atteindre notre public qu’en arabe algérien, mais cette langue a l’expérience et les limites culturelles de ceux qui la parlent. La seule issue pour nous, dramaturges, était de faire évoluer la langue elle-même. Mais compte tenu de l’évolution sociale rapide, la langue dialectale, bousculée par la réalité industrielle et technologique, se trouve acculée à un enrichissement anachronique et s’exténue. Il fallait lui éviter cela… Mais on ne fait pas penser une langue, c’est la langue qui nous fait penser. Conscients de cela, on comprendra aisément que toute pensée nouvelle s’affronte en premier lieu à l’outil linguistique. Une idée nouvelle qui s’affronte à un code traditionnel ne peut s’imposer qu’en créant un code à sa mesure, partant du premier et se référant à lui. Nous poussions la langue dans ses limites naturelles tout en essayant de tracer des limites à nos idées acquises ailleurs et qui, elles, étaient sans limite. L’arabe dialectal devait évoluer afin de devenir une langue nationale. A notre niveau, tout en inventant un théâtre, nous avons forgé cette langue en brassant les régionalismes linguistiques, nous avons participé à la création de notre langue nationale.
Nous avons perdu beaucoup de temps et d’énergie à redonner à chaque langue sa juste valeur, sa juste place, dans un contexte politique hostile qui manquait de vision et de sérénité à l’égard de toute forme de pluralité. Il est important de signaler qu’au vu de la situation conflictuelle dans laquelle se trouvaient les différentes langues, le fait de choisir telle ou telle langue pour s’exprimer publiquement constitue une posture politique en soi, car dans ces conditions de guerre des langues, le choix d’une langue par rapport à une autre a une signification politique. C’est pour toutes ces raisons que la langue n'est pas pour moi un simple outil que je façonne, que je perfectionne, elle est le fantôme qui hante mon histoire et par laquelle il me faut rêver. Je ne porte pas ma langue maternelle, je suis porté par elle. Je porte la langue française et je suis emporté par elle. Telle est l’équation de mon bonheur de métis, au-delà des malheurs de mon histoire et des miens.
C’est à travers cette histoire, qu’elle soit belle, sereine ou conflictuelle, que nous avons dit notre peuple avec les colères qui sont les siennes, avec la pudeur qui est la nôtre, et parfois avec les maladresses des poètes errants que nous sommes, dans un monde où il est souvent ridicule d’expliquer et douloureux de se taire.
L’Histoire des «Nôtres» a forgé notre esprit et notre imaginaire jusque dans l’intimité des métaphores. Le malheur a fait le poème, notre espoir est que la paix en fasse un chant.
Par ailleurs, étant le fils d'un pays qui ne cesse depuis des siècles de chercher sa paix, le début de ma paix est dans la paix des langues qui m’habitent et que j'apaise sans cesse pour les apprivoiser afin qu'elles puissent porter nos malheurs avec sérénité et oser la joie. L'apaisement de ces langues est un poème en soi, il est notre vrai talent.
Je dirais même notre unique talent, celui qui nous est prescrit par ordonnance testamentaire.
Les langues qui me traversent sont porteuses de toute mon énergie à dire et à écrire, quand elles sont en conflit à l’intérieur de moi, ma colère devient inaudible parce qu’aucune des langues n’ose la dire et je perds la voix. Quant à mon peuple, il mélange d’instinct l’arabe au français, le tout assaisonné de berbère, il cherche désespérément leur alliance pour dire sous une forme nouvelle ce qu’il ressent depuis toujours, parce que le peuple, malgré la misère, a horreur de se répéter face au malheur. Il crée pour se garder en estime.
Les langues écrites nous sont utiles certes, mais nos langues maternelles qui ne sont qu’orales nous sont vitales malgré tout, parce qu’elles nous déterminent. Elles sont l'espace de cette mémoire qu'on oublie et qui continue de nous transformer malgré nous. Les langues populaires naissent dans le peuple et s’épanouissent dans l’élite.
Les peuples, rarement heureux, ont très peu de mots pour dire le bonheur, trop de mots pour cacher la honte du malheur. Quand celui-ci n'est plus à cacher, il se tait. Et la langue s'atrophie, elle se noie dans les larmes, elle se fait clandestine dans les terreurs. Elle se fait petite parce qu'elle reconnaît son impuissance à dire autant de malheurs. Et nous sommes contraints de dire ce malheur comme gage de notre liberté.
De quelle liberté suis-je capable si je dois piétiner l’analphabétisme de ma mère et de mon père ? Eux qui souffraient déjà de leur ignorance parce qu’ils mesuraient ce qu’ils ne savaient pas. Je voudrais vous faire un aveu : à mon âge, et malgré tout ce que j’ai écrit, je n’ai écrit que l’analphabétisme de mes parents et je ne sais pas quand je commencerais à exprimer ma propre conscience du monde, quand vais-je pouvoir m’écrire.
Comment, dans ce chaos linguistique, arriver à créer un théâtre pour un public algérien et dans sa langue maternelle ?
Au bout de toutes ces tentatives, je ne sais comment, j’ai décidé, afin d’arrêter de tourner en rond, de faire en sorte que la langue soit le personnage principal de toutes mes pièces.
C’est-à-dire mettre en situation hors réalité des personnages pour qui il fallait inventer une langue, sinon ils ne sauraient pas dire ce qu’ils vivent et seraient incapables de dialoguer. Il fallait supprimer tous les référents culturels de la langue et l’obliger à assumer une situation inédite.
De cette façon, j’ai eu une plus grande aisance à travailler mes textes parce que j’ai libéré la langue de sa quotidienneté et l’ai inscrite dans un autre réel, là où elle ne s’est jamais risquée. Par cette démarche, c’est moi qui décide à quelle référence je rattache la langue, les références de la langue ne s’imposent plus à moi.
En fin de compte, quand l’idée d’une pièce me vient, je sais quelles idées je dois écrire dans ma langue maternelle et celles que je dois écrire en français. C’est le projet d’écriture lui-même qui me guide pour prendre la décision d’écrire soit en arabe soit en français. Ce qui détermine mon choix est très instinctif, mais il y a d’autres paramètres qui entrent en jeu pour justifier rationnellement ce choix.
J’ai longtemps cru que les deux démarches étaient totalement distinctes et séparées. J’essayais alors de me placer dans le cadre culturel de chaque langue pour trouver ma démarche théâtrale et dramaturgique. Pour moi, celle-ci était intraduisible d’une langue à l’autre et si je devais les traduire il n’y avait qu’une seule issue : réécrire. Je considérais que si moi j’étais bilingue, mes écrits n’étaient pas bijectifs et vice-versa.
Douze ans après avoir écrit Les fils de l’amertume, pièce sur l’intégrisme islamiste et la décennie noire en Algérie qui a été jouée en 1995 dans le «In» du Festival d’Avignon, j’étais convaincu qu’elle était intraduisible dans ma langue maternelle pour plusieurs raisons, dont deux principales. Je pensais d’abord que si je la traduisais, il fallait que je tienne compte des formules religieuses minimum, du code linguistique inhérent au discours religieux et sur la religion. Ce qui ferait dire à la pièce le contraire de ce que je voulais dire.
Ensuite, je pensais que pour décrire la société dans laquelle est né cet intégrisme, il fallait plonger dans ses profondeurs et fatalement bousculer ces codes moraux, éclater les limites du discours social jusqu’à la trahison, jusqu’à la dénonciation.
Pour toutes ces raisons, je pensais que cette pièce resterait à jamais intraduisible, du moins injouable, devant un public algérien, en arabe algérien.
Pendant 12 ans j’étais tourmenté par le fait qu’elle soit intraduisible parce que je ne voulais pas m’inscrire dans un théâtre d’exil. Si elle était inaudible pour le public algérien, j’avais trop honte d’avoir mal traduit ses malheurs au public français. Il me fallait une preuve qui légitime au moins mon rôle de passeur.
Jusqu’au jour où, revenant de Bruxelles, seul en voiture, alors que je ne pensais pas particulièrement à cette traduction, je ne sais pas par quelle démarche hasardeuse l’équivalent d’une réplique de la pièce en arabe algérien me traverse l’esprit. Je sors au prochain arrêt d’autoroute et je traduis de mémoire toute une scène.
C’était tellement juste et beau que j’en ai pleuré. Je suis resté trois heures dans cet arrêt, incapable de reprendre la route, comme si j’étais arrivé quelque part en moi. Je venais de retrouver ma langue maternelle cachée derrière la langue française et tellement intimidée par elle qu’elle m’a fait croire à moi, pendant 12 ans, qu’elle n’était pas là.
J’ai repris la route, unifié dans ma pensée et plus pluriculturel que jamais. Voilà un exemple où les deux cultures et les deux langues que je porte en moi fusionnaient parfaitement dans mon esprit pour dire aux Français ce que vivaient les Algériens. Est-ce la gravité des événements qui font l’objet de la pièce qui m’ont obligé à aller chercher en moi plus que la synthèse des langues et leur indépendance ? Est-ce la force des émotions qui me traversaient qui a chauffé à blanc les deux langues, les deux cultures pour n’en faire qu’une ? Est-ce le désir de porter à un public français la vérité douloureuse d’un vécu algérien qui a fait que les deux cultures se sont mêlées et que les deux langues ont tressé un seul et unique texte pour deux langues ? Je ne le sais pas.
Toujours est-il que, depuis ce jour, je suis convaincu que la littérature cache plus qu’une langue, comme l’art cache plus qu’un regard. La littérature et l’art sont pluriels par essence, il est regrettable d’avoir une seule culture pour lire et un seul regard pour voir.
Expérience française
La génération d’écrivains qui nous ont précédés, celle de Kateb Yacine, Mohammed Dib, Malek Haddad, Mouloud Feraoun, était inscrite au cœur même du combat pour l'indépendance et la langue française était l’outil idéal pour porter le combat en métropole. La problématique de la langue ne se posait même pas pour eux tant la nécessité, l'urgence de la lutte n'avaient pas le temps de discuter des langues à utiliser.
Mais aujourd'hui, après l'indépendance, nos politiques ont rejeté la langue française avec les valeurs qu'elle porte en elle, droit de l’homme, démocratie, etc., sous prétexte qu’elle était la langue du colonisateur. L’identité de la société algérienne allait se construire en dehors des valeurs de la culture française et c'est là où les choses se compliquent. Car l'amalgame a été fait entre valeurs, culture, identité et histoire.
Il est difficile de faire admettre à nos gouvernants, qu'on peut s'approprier la culture française dans ses valeurs et construire notre identité propre tout en réglant nos problèmes d'histoire avec la France.
C'est cette incompréhension qui nous a placé nous comme opposant naturel aux différents pouvoirs et nous a contraint petit à petit à un exil intérieur et qui a fini par devenir un exil vers l’extérieur.
Nous, dramaturges, avons été formés en français, certains en arabe classique, deux langues dont l’expérience n’est pas celle de notre langue maternelle. Comme dit Benjamin Stora : «La migration algérienne en France est marquée d'une double empreinte. Elle est à la fois héritière d'une tradition maghrébine et islamique, mais aussi du très long contact entretenu par les Algériens avec le colonisateur, qui leur a imposé sa langue comme moyen d'expression.»
Notre regard sur la réalité relève de nos connaissances, mais celles-ci furent acquises ailleurs. Nous regardons notre réalité à partir d’un espace extérieur à la langue avec laquelle nous devons communiquer. Un Français éduqué et formé dans sa langue maternelle (le français), quand il parle de la réalité française, il s’exprime parce qu’il y a dans son imaginaire une continuité linguistique et culturelle.
Quant à moi, quand je regarde la société algérienne pour en parler en arabe algérien à des Algériens, souvent je pense en français ou en arabe classique, pour dire en arabe algérien, ce qui fait que je ne m’exprime pas, je traduis. Parce qu’il y a discontinuité linguistique et culturelle due à ma formation. Cette discontinuité fait que je négocie les mots, je ne les invente pas, elle me pousse au compromis et là, soit je compromets la réalité que je veux dire, soit je compromets la langue que j’utilise. Je n’ai pas les angoisses du créateur, j’ai les aphtes du créateur réduit à se traduire.
Ajoutons à cela que les trois cultures, les trois langues, ne sont pas superposées et indépendantes dans mon esprit. Mon métissage n’est pas la somme des langues que je connais, il est une fusion des cultures en moi. Ma pluralité est une synthèse faite des trois cultures. De ce point de vue, mon regard est différent de celui de ma culture d’origine. Il est aussi différent de celui de mes cultures acquises.
Si je maîtrise la langue, cela ne veut pas dire que je connais suffisamment la société française pour pouvoir y exister comme homme de théâtre. Édouard Bond dit : «Le théâtre n'est pas une chose que l'écrivain crée en misant sur sa seule ingéniosité personnelle, c'est une activité sociale.»
En quittant mon pays, je me retrouvais en tant qu’homme de théâtre, doublement menacé d'exil territorial et d'exil professionnel. D’autant plus que c’est dans l'espace de théâtre que je reconstituais l’idée que je pouvais avoir de mon pays.
Pour pouvoir échapper à l’exil professionnel, il m'a fallu plonger dans la société française avec enthousiasme et grand appétit pour la connaître et me laisser imprégner d’elle. Il me fallait aussi l’aimer pour me donner le désir de la raconter à elle-même, c'est-à-dire à un public français. Cette plongée ne pouvait se faire qu'avec un seul guide : notre histoire commune.
Tout exilé doit s’adapter au pays d'accueil. Pour les hommes de théâtre, il ne s'agit pas de s'adapter à la vie du pays mais de se convertir, et cette conversion nécessaire va mettre en danger, non pas nos choix politiques et philosophiques, mais bien plus que ça. Elle met à l'épreuve notre capacité à accepter l’autre.
Écrire et faire du théâtre, c’est choisir les émotions justes sur lesquelles on articule des idées pour les rendre audibles. C’est cette alchimie qui entre en jeu, consciemment ou inconsciemment, dans tout processus de création. L’équilibre entre émotions et idées, entre le ludique et l’intellectuel, doit être maintenu. S’il est profondément perturbé, il devient alors déstabilisant et engendre une perte de confiance en soi et l’autre devient dangereux.
Un voyage initiatique est nécessaire pour se refaire et apprendre à accepter l’autre. Ceux qui osent le voyage deviendront féconds pour le pays d'accueil. Ceux qui n'osent pas ou refusent ce voyage nourrissent des ressentiments contre le pays d'accueil parce qu'ils le rendent responsable de les avoir mis devant des choix impossibles.
Quel a été mon voyage ?
Je me définis comme triculturel, de culture berbère, française et arabe. Ma langue est ma pluralité ; mon lieu culturel est mon métissage. Ma parole en est la synthèse. Ainsi, je suis le fils de l’histoire et non de mes parents. Ils ont été mes géniteurs biologiques et mon existence culturelle allait se faire ailleurs que dans l’espace d’origine.
L’histoire allait devenir une sorte de lieu psychanalytique dans lequel je forge ma pluralité. Aujourd’hui elle est la justification et la raison de mon outil : la langue. Elle est mon alibi identitaire. Celle du métis qui sait plusieurs langues et que chaque langue ignore.
Et c’est là où j’ai pris conscience que la liberté francophone n’est pas une essence, mais une conséquence. Parce qu’une fois qu’on a pris suffisamment le temps de tout détruire autour de vous, jusqu’au moindre balbutiement, quand ma mère a fini par parler le silence dialectal, la langue française devient un véritable espace de liberté et le lien réel et unique avec l’universel. Mais à partir d’où et pour dire quoi ? Et là, les questions se succèdent creusant un gouffre entre ce que je ressens vouloir dire et les outils que j’ai pour le dire.
Naissent alors en moi des blocages, des inhibitions, dues au fait que je prends conscience au fur et à mesure, que je possède une langue, une culture qui m’ont déplacé de mon espace d'origine sans m’inscrire tout à fait dans son espace. Nous sommes des banlieusards de la littérature. Parce que du côté français l'esprit de culture dominante persiste avec force. Voilà ce que dit M. Dominique Wolton dans une conférence faite sur le thème «Diversités culturelles et francophonies». Je cite :
«Je prendrai un exemple politique important : nous venons de vivre en France – et nous continuons de le vivre — un débat très important sur la question de la laïcité et sur le problème de savoir s'il faut ou non faire une loi concernant le voile, vu comme un symbole. On a longtemps perçu la laïcité française comme un modèle d'intégration. Nous l'avons vécue culturellement comme un moyen d'intégration mais avec une connotation de domination.
Autrement dit, depuis 1905, les gens s'intégraient au modèle de la laïcité, modèle républicain français, parce qu'ils n'avaient pas le choix. Ce qui change — et on le voit très bien dans les réactions en France et à l'étranger par rapport à l'hypothèse d'une loi — c'est que les autres sont beaucoup plus visibles qu'avant. Autrement dit, celui pour lequel on veut défendre les valeurs laïques ou que l'on veut intégrer dans un modèle républicain n'est plus d'accord. Parce que nous étions dans un modèle culturel de domination et que nous sommes maintenant dans un modèle culturel de coopération et qu'on ne peut pas imposer à d'autres communautés, en France et à l'étranger, au titre d'un certain ‘‘art démocratique’’ ou d'une certaine conception de la laïcité, un modèle qui ne lui correspond pas.
Et je suis frappé de constater, dans le débat sur la laïcité, que les meilleures intentions du monde se retournent contre ceux qui les invoquent, tout simplement parce que l'autre est présent chez nous, et en fait, traite la République française de néo-communautariste, ce qui est exactement l'inverse de ce que nous voulions faire.
Je vois dans ce symptôme, ce surgissement des hostilités radicales à une législation, le fait que ce qui a changé en un siècle, c’est que l’autre est présent et que l'altérité existe. Ce qu’il se passe pour la laïcité, je pense qu’il pourrait se passer pour la francophonie : une partie des peuples, des communautés francophones, pourrait un jour se retourner contre la France en disant : ‘‘Vous avez un rôle essentiel dans la francophonie, mais vous n'êtes plus propriétaire de la francophonie et vous n'êtes plus propriétaire de sa définition et des compétences culturelles.’’ Pour éviter cette espèce de boomerang que nous sommes en train de recevoir sur la laïcité, il nous faut ouvrir, le plus tôt possible, la francophonie à une bien plus grande diversité culturelle en son sein. De ce point de vue-là, comme travail pratique, il faudrait faire une liste des divergences qui existent au sein de cette francophonie, avec les enjeux culturels, politiques, idéologiques et historiques... Il faut aussi reprendre quelque chose qui me tient énormément à cœur, car je pense qu'on n'avancera pas dans la diversité culturelle au niveau mondial sans cela, ce sont les problématiques de la colonisation et de la décolonisation pour comprendre ce qui fait que les gens, malgré le fait qu'ils soient sensibles à la francophonie, sont d'accord ou pas sur telle ou telle chose.»
Cette domination culturelle qui persiste est aliénante, elle prend en otage notre imaginaire. Nous sommes considérés comme des utilisateurs de la langue et non des créateurs dans la langue. Le seul apport créatif dans la forme attendu de notre part, c’est introduire des arabismes ou des africanismes dans la langue et tout le monde crie au génie !
Et les critiques sur nous sont des jugements paternalistes, et les prix qu’on peut avoir sont des prix politico-littéraires, qui récompensent non pas notre talent d’écrivains mais plus notre talent à nous sentir francophones. Les gouvernements étant politiquement alliés de nos gouvernants, leur complicité fait qu’on n’existe plus là-bas et qu’on a l’illusion d’exister ici.
Nous finissons par être des hybrides qui ne correspondent à rien. Entre-temps, nous avons été évacués de notre réel terrain d’efficacité, c'est-à-dire nos sociétés, et nous avons servi à renforcer les politiques francophones. Si j’ose dire cela c’est parce que j’ai un sérieux problème avec la «solidarité francophone». Où se situe cette solidarité ? On est solidaire de quoi ? Et pour faire quoi ? Et qui est solidaire avec qui ?
Les raisons profondes de ce genre de situations sont très bien analysées par Mme Baida Chikhi dans un article «La francophonie aujourd’hui : réflexion critique».
«En somme, déclinée à tous les modes, à tous les genres, comme la ‘‘fée Clochette’’, la francophonie est soumise au paraître/disparaître et à l'humeur d'un agitateur masqué ; son apparence et son intérêt varient selon le point de vue à faire valoir. Mais reconnaissons que c'est en France que la francophonie semble poser problème.
La même question revient, à peine voilée, comme une litanie : que faire de tout ça ? De tous ces textes écrits en français ? De ces écrivains qui viennent d'ailleurs et se font publier ici, raflent les prix littéraires, envahissent les librairies et les salons littéraires ? Comment les nommer ? Où les placer ? Comment les classer ?»
Par ailleurs, l’occultation de l’histoire est aussi chose aliénante et jusqu’où peut-on occulter l’histoire. Si la langue française porte la culture française, elle porte aussi notre histoire commune et ceci d’une manière indélébile, sinon je ne m’explique pas comment je suis devenu francophone. La seule manière de retrouver ma liberté totale, c’est de liquider ce contentieux, c’est de nous libérer des vicissitudes de l’histoire car c’est à partir de cette histoire commune que je raconte mes histoires.
C’est grâce à cette histoire commune qu'à chaque étape, j'ai essayé de retrouver une place dans cette société et cette place n'était autre qu'une interrogation nouvelle sur ma propre histoire. La seule manière d’y répondre a été de convoquer l'histoire au théâtre et de l'interroger publiquement. Car il s'agit avant toute chose de savoir de quelle histoire relève notre malheur. Et si le théâtre, c'est danser sur le malheur, avant de danser, il faut nommer ce malheur. Et à ce moment, j’ai l’impression de ne pas être compris par les Français. Cette incompréhension par les Français constitue déjà la première barrière à l’universalité. On n’a pas le «label rouge» Quand je suis arrivé en France, la première pièce que j’ai voulu monter était Le conseil de discipline.
Ce que raconte la pièce :
«Fin mai 1959, dans un collège de l’Est algérien. Au cours d’une dispute, Jacomino a blessé Atmourt d'un coup de couteau. Un conseil de discipline est décidé. Vu la situation politique et les tensions qui règnent un peu partout, tant dans la ville qu'au collège, le proviseur craint que ce conseil de discipline ne dégénère en bataille rangée. Afin de prévenir les affrontements, il organise une rencontre, qu'il voudrait conviviale, et y invite six professeurs, représentatifs des différentes tendances, pour tenir une sorte de ‘’pré-conseil’’. Sultanat, Sisco, Mauzer, Tahar, Billard, Cohen et le proviseur se retrouvent donc dans une clairière, aux alentours de la ville, pour un étrange pique-nique.»
Cette pièce, parce qu’elle traite de la guerre de libération et malgré le soutien du Festival des francophonies de Limoges, plus de vingt metteurs en scène n’ont pas voulu y toucher, et c’est en Belgique qu’elle fut réalisée.
Quand je parle de ma société dans l’espace de la langue française, il y a globalement deux attitudes :
- La première, je considère que les deux espaces sont isomorphes, qu’ils ont les mêmes limites, les mêmes libertés, la même densité. A ce moment toute critique de ma société est accablante et toute générosité à son égard est ridicule. Parce que mon regard est extérieur à ma société ou plutôt son point de départ n'est pas dans le centre de ce qui fait l'objet de mon discours. Je ne suis pas dans l’œil de mon cyclone. Mais j’aurais parlé de moi dans les codes de la langue française pour un lectorat français. Pour plusieurs raisons, les Algériens n’y ont pas accès du tout, d’autant plus qu’elle ne leur parle pas. La littérature africaine existe comme elle peut en France, mais en Afrique, on ne sait pas ce qui se crée, puis s’édite à Paris.
Ainsi, nous écrivons des livres où nous parlons d’une société qui ne nous lit pas et ils sont vendus dans une société qui à la limite s’en fout. Quelle est notre utilité ? Je me le demande.
- La seconde attitude est de tenter de rester soi, dans les limites de notre société, et prendre dans la langue française juste les mots pour dire sans se référer à elle ; à ce moment, on est auteur mineur pour la langue française.
Comment être totalement moi dans une langue qui n'est pas totalement moi ? Comment prendre l’envol nécessaire ?
La langue française est magicienne, elle me séduit, elle est ciselée depuis des siècles par des talents, elle vous happe, vous imbibe, on a beau se défendre on finit par céder à l’ivresse de sa beauté, tout en étant malheureux d’être sur la défensive. On s'égare longtemps pour dire un mot qui puisse ressembler à une parole, qui serait le début d’une écriture. Qu’est-ce qu’être auteur si ce n’est faire vivre autrement la langue que j’utilise et la poursuivre jusqu’à lui faire dire ce qu’elle n’a jamais dit autant dans la forme que dans le contenu ? Comme dit Mme Barbara Cassin : «Une langue, c’est des auteurs et des œuvres, c’est-à-dire une vision du monde.» Dans ces conditions, je n’ai pas une vision du monde, je suis bloqué à une vision des langues.
La langue française me séduit à me faire dire que ma mère n’est rien, parce que la référence du tout est ailleurs. Est-ce que ma mère est rien ? Pardonnez-moi mais je ne le crois pas… Ma mère peut être le rien de beaucoup de «tout», je n’en disconvins pas et je ne le nie pas. Ce qui m’intéresse, ce qui me pousse à écrire, c'est la recherche de son tout à elle. Seul idéal psychanalytique que je connaisse sans lequel toute écriture est vaine.
Écrire, c’est se réfléchir, c’est se projeter dans l'imaginaire avec comme seule certitude notre naissance et avec comme espoir toujours une renaissance pour un monde meilleur. Comment renaître dans le doute de sa naissance ? En tant que francophone, je me considère enfant adoptif qui, à un moment, doit trouver réponse à sa naissance. En conclusion, la francophonie est comme toutes les politiques, elle ne tient pas ses promesses. Et d’abord qu’est-ce qu’elle nous a promis ? A vrai dire, rien ! Donc c’est une politique qui ne promet rien. La liberté et aliénation francophonique relève d’un paradoxe, la langue française nous donne une distance par rapport à notre société et c’est là que s’inscrit la liberté. Mais cette distance est trop grande, elle modifie fatalement notre regard sur nous-mêmes, et ça c’est aliénant. Sur le plan culturel, elle est une grande ouverture ; sur le plan de notre relation historique, elle demeurera dans notre imaginaire, la blessure par laquelle nous sommes contraints de dire toutes nos autres blessures. La difficile coexistence des langues durera tant qu’on n’aura pas résolu notre problème avec l’histoire et qu’on «trimbalera» nos diverses langues comme des tares et comme les pires de nos ennemis. Pour moi, c’est grand dommage et en tant qu’écrivain, c’est une vraie douleur. Mis sur le banc de deux sociétés, celle du départ et celle de l’arrivée, on devient un regard libre. Notre projection dans le temps se mesure en unités d’existence et non d’appartenance. Nous sommes obligés de nous dépecer de nos douleurs pour pouvoir encore lire le malheur qui nous entoure. Je troque ainsi mes douleurs d’homme contre des joies d’artiste. Nul n’est exempt du malheur, et rares sont les artistes heureux.
S. B.
(*) Dramaturge
Source:
Brève adresse à un naturalisé honteux
Par Abdellali Merdaci (*)
Algérie Patriotique, le 28 mars 2018
Vous nous avez quittés, muni d’un titre de passage de frontières et de long séjour de l’ambassade de France à Alger. Une résidence d’écriture en province. Et, certes, à cette époque, vous n’étiez pas le seul. C’était en 1993, un terrible millésime. La France accueillait et protégeait sereinement les tueurs islamistes et, aussi, leurs probables victimes. Vous en étiez donc, Slimane Benaïssa, ni tueur ni victime, mais fieffé chasseur d’aubaine. Les raisons de votre migration vers le nord étaient, pour vous, claires et celles de votre retour dans ce qui était votre pays ne devaient pas, pour nous, l’être moins. Ne cherchez pas le refuge d’un faux débat sur l’altérité ; c’était une séparation. Car le mot «exil» n’existe pas dans votre maigre glossaire. Vous êtes resté en France et vous vous êtes fait naturaliser français : vous avez «réintégré» ce qui vous fut une mère-patrie d’antan et ses douces commodités, celle que vous chérissez plus que votre «mère biologique». Mais, contrairement à beaucoup de vos comparses qui proclament leur totale francité, à l’image d’un Anouar Benmalek, vous êtes un Français honteux. Vous vous cachez, craignant le vif opprobre.
Comme vous ne serez jamais reçu dans un journal français pour semer vos sombres et tardives billevesées, vous les étalez sur trois pages dans un quotidien algérien. Sans doute, dans un pays de jeunes, les lecteurs de ce titre qui ont plus de cinquante ans vous connaissent un peu, qui se remémorent le comédien, votre profession principale. A aucun moment de votre infinie et ridicule logorrhée philosophico-analytique sur un incernable Autre, vous ne leur concédez l’essentiel, ce qui est nécessaire à la compréhension de votre ruineuse et nauséeuse tirade. C’est à partir de votre position de «mtourèze» que vous construisez un inquiétant argumentaire de survie après un quart de siècle accompli dans la nationalité de l’ancien colonisateur, celle que le peuple algérien a expurgée par une sanglante guerre d’indépendance (1954-1962) et par son vote unanime, le 1er juillet 1962, pour une patrie retrouvée. Vous pouvez cracher sur cette Histoire qui n’est plus la vôtre : vous avez été retourné, revêtu des oripeaux du «m’torni» de sinistre mémoire, dans une accablante version néo-indigène.
Né sujet français, élevé à la citoyenneté française dans une vaine politique coloniale de la vingt-cinquième heure, Algérien par filiation à l’indépendance, vous êtes donc «retourné» à la France, ce qui est votre droit. Et vous n’en ignorez pas le protocole aisé, indiscutable : Français par «choix individuel». Comme l’exigeaient les sénatus-consultes (1863-1865) de l’Empire et, désormais, les lois de la République française. Mais, de grâce, foutez-nous la paix. Trois pages de «chiens écrasés» valent mieux que vos aveux. Les Algériens ne vous demandent rien, alors que vous en attendez tout. Vous êtes encore là, à l’affût pour grappiller, toute honte bue, des rôles dans le cinéma algérien et aussi, pourquoi pas, des hommages publics nationaux, comme votre compatriote naturalisé Merzak Allouache, ami du sionisme international, gratifié au printemps 2017 par l’Etat algérien de la médaille du Mérite national, qui, comme vous, n’a plus depuis longtemps aucune attache avec le pays et la nation. Probablement, une erreur de casting, mais elle ne vous empêche pas d’y croire, malgré que vous ayez depuis si longtemps coupé et piétiné le lien national.
Comme Anouar Benmalek – décidément ! –, vous n’hésitez pas à prendre ce qu’il y a encore à prendre dans un pays que vous avez en toute conscience abandonné lorsqu’il tombait en quenouille sous les coups de boutoir de l’islamisme armé, l’enlevant voracement de la bouche de ses enfants méritants. Pour vous et pour vos semblables, ce n’est jamais assez. Où est l’éthique ?
En 1993, vous vouliez vivre parce que Tahar Djaout, Abdelkader Alloula, Youcef Sebti, Salah Fellah, Azzedine Medjoubi, mais aussi des dizaines de milliers d’Algériens sont tombés sous les balles assassines de l’AIS, des GIA et des «katibate» de toutes obédiences barbares. Vous ne vouliez pas résister, mais prendre le large, réintégrant – c’est, en effet, le terme juridique idoine – la nationalité française au moment où des Algériens mouraient. Laissez-moi vous parler de mes amis du Théâtre régional de Constantine, listés sur de funèbres affiches accolées dans les mosquées du Bardo et d’Aouinet El-Foul, condamnés à mort par d’inattendus tribunaux de la foi, leur sang licité, guettés aux aubes muettes. Ils n’étaient pas, en ces années 1990 comme aujourd’hui, moins grands que vous prétendez l’être. Ils gardèrent les murs de leur théâtre, montant sur scène à l’heure antique de tous les sacrifices. Ils résistèrent, cousant chaque jour une taie d’espoir. Et avec eux, sur tous les tréteaux de fortune du pays, les corps noirs de comédiennes et de comédiens hallucinés, accrochés à des lendemains sans sang et sans deuils : leur théâtre ne s’est pas tari. Ils jouaient à tromper la mort ; c’était-là leur honneur inaliénable. Et, à leur image, de centaines de milliers d’Algériens anonymes présents à leurs postes de travail pour maintenir, vaille que vaille, leur pays debout, malgré les écoles détruites, les routes assiégées, les usines saccagées, les terres calcinées. Ils n’ont pas abdiqué devant la violence islamiste. Vous avez déserté, face à la mort et au malheur, pour sauver votre peau et profiter d’une impénétrable ligne de crédit de l’obscure diplomatie française. Lorsqu’on a traversé la mer non pas pour le respectable exil qui a formé les Grands Esprits, la décence aurait été de ne point en rajouter, simplement de vous taire.
Et voilà que vous nous revenez, sans un mot de remords, sans contrition, en criant sur les toits. Comme si vous étiez toujours de cette famille de Veilleurs d’espérances, que vous avez répudiée pour aimer et apprendre à aimer, vous le scandez dans votre confession, une Autre. Alors, vous vous emparez de la posture du maître pour nous enseigner le vain couplet des Pleureuses de l’ancien temps, qui ne reviendra pas. Vous vous complaisez à suriner cette complainte du néocolonisé miséreux, s’agenouillant devant la sacro-sainte France et sa langue. Vous nous bassinez ce couplet, maintes fois entendu depuis Senghor pour devenir rébarbatif, de la langue française dispensatrice de liberté. Vous secouez cette fumeuse potion d’une «pluralité» et d’un «métissage» circonstanciés, pour en fin de course vous découvrir français. Car cette «pluralité» et ce «métissage», lourdement invoqués, ne sont que le déni de la nationalité algérienne originelle qu’il vous faut noyer dans le putrescent alambic de certitudes avariées.
La France a fait de vous un «métis», subjugué par sa langue. Vous ne le seriez pas si vous étiez resté en Algérie pour revivifier votre habituel répertoire de théâtre en arabe dialectal et vous n’auriez pas été requis d’apporter de bruyants gages de fidélité et d’assimilation réussie par la langue au pays qui vous a enrôlé dans ses empressées harkas, aussi amorales que le furent celles de la guerre anticoloniale, tirant dans le dos des Innocents.
Mais voilà que vous vous interrogiez, après avoir égrené à longueur de colonnes du Soir d’Algérie vos indigestes palinodies d’Arabe français, sur la destinée des écrivains qui vous ressemblent. Vous vous alarmez de tous ces écrivains d’ailleurs édités en France et squattant ses librairies et ses salons littéraires : «Comment les nommer ? Où les placer ? Comment les classer ?» En ce qui vous concerne, vous ne cultivez pas le doute. Vous vous situez à la suite d’«une génération d’écrivains qui nous ont précédés, celle de Kateb Yacine, Mohammed Dib, Malek Haddad, Mouloud Feraoun». Or, cela est vérifiable : aucun de ces écrivains n’a opté pour la nationalité française après l’indépendance, comme c’est le cas pour vous. Vous avez choisi d’être français, vous ne pouvez plus revendiquer, et c’est valable pour ceux qui ont suivi le même chemin que vous, une appartenance à la littérature algérienne qui n’est ni un bordel en rase campagne ni un miteux hôtel pour demi-soldes de la France littéraire.
Entendons-nous : ne sont dignes de la littérature algérienne et de la nationalité littéraire algérienne que ceux et celles qui portent l’histoire passée, présente et à venir de leur nation, dont vous vous êtes volontairement exclu, par «choix individuel», il convient de le répéter. Français, vous devez vous battre pour vous faire reconnaître dans la littérature française, la littérature de votre pays, car c’est une vérité universelle que la littérature affleure dans le corpus national d’un Etat libre et indépendant, avant d’atteindre l’universalité. Shakespeare, c’est l’Angleterre, Cervantès, l’Espagne, Goethe, l’Allemagne, Voltaire, la France, Dante, l’Italie, Tolstoï, la Russie. Ne prétendez pas incarner la littérature des Algériens ; ils ne vous ont pas sollicité pour être leur interprète auprès de la France dont ils n’ont cure. Vous devez vous convaincre que le «vécu algérien» vous échappe, parce que vous êtes un Français, de Paris ou de Nogent-le-Rotrou, peu importe.
Pourtant, il vous arrive d’être lucide. Pour diverses raisons, vous n’excluez pas la possibilité de n’être qu’un «auteur mineur» et de produire une littérature désemparée, sans lecteurs et sans perspectives, incompris dans votre pays d’adoption. En un quart de siècle de nationalité française, vous n’avez pas changé le visage de la France. En retour, vous avez outrageusement zingué le vôtre à l’horizon de cruelles illusions. Cela est si vrai que la France littéraire vous néglige, nonobstant vos «In» à Avignon. Vous ne serez jamais élu à ses grands prix littéraires ni coopté dans ses académies, ni comme Alain Mabamckou, autre «zingueur de face» à votre façon, invité dans sa plus prestigieuse institution universitaire pour exhaler le sanglot de l’Arabe peinturluré de vernis de civilisation française.
Si la France ne vous attend pas et ne vous a pas attendu, l’Algérie vous a oublié. Votre drame, vous le résumez parfaitement : vous êtes «le fils d’une histoire», assurément française, qui ne vous a rien donné. Il aurait mieux valu pour vous rester celui de vos parents biologiques. Algérien et Français, éveillant en vous la défunte Algérie française, vous vous autorisez l’imparable prophétie. Vous prédisiez, au tournant des années 2000-2010, que l’idée de nation algérienne s’effilochait en raison de ceux qui vous ont imité, trop nombreux à votre gré : «Si l’Algérie continue comme ça, elle deviendra française par choix individuels.» (Cf. Séverine Labat, La France réinventée. Les nouveaux binationaux franco-algériens, Paris, Publisud, 2010, p.173). Aujourd’hui comme hier, le pays ne s’est pas vidé de sa population et les fondations de la nation algérienne restent inébranlables. Dix ans après, l’Algérie n’est pas devenue française ; elle s’est, salutairement, débarrassée de ses dernières légions de soldats perdus, semblables à ceux de l’An VII de la Révolution, jetés dans les décombres fumantes de la trahison et l’ignominie.
Ce qui transparaît, de manière évidente, dans votre monologue de «métis», obstinément théâtreux, cherchant éperdument les ultimes feux de la rampe, c’est l’insurmontable fêlure d’une identité algérienne niée, torturant de ténèbres votre parcours de Français dissimulé. Ni votre philosophe de café du commerce ni votre «psychanalyse pour les nuls» n’endigueront le désarroi d’un quart de siècle de reniement.
A. M.
(*) Professeur de l’enseignement supérieur. Écrivain et critique
Source:
Franches explications pour clore un débat (I)
Par Abdellali Merdaci (*)
Algérie Patriotique, le 4 avril 2018
Ce débat que j’ai proposé sur le positionnement du comédien et écrivain français d’origine algérienne Slimane Benaïssa relativement à une culture de «métis», pensée, vécue et assumée pendant un quart de siècle de vie en France sous la couverture juridique de la nationalité française, obtenue en 1993 par la procédure de la «réintégration», n’a pas été inutile. Il s’est prolongé dans d’imprévues incriminations et a suscité la réaction de plusieurs dizaines de lecteurs d’Algérie patriotique, réagissant parfois sous le sceau de l’anonymat, le plus souvent à charge contre l’auteur de ces lignes. Et, aussi, d’acteurs des champs culturel et intellectuel algériens intervenant ès-qualité. Notons que celui qui est directement mis en cause, promu par le gouvernement de M. Ouyahia à l’éminente responsabilité du Festival international du théâtre de Bejaia, se tait.
On m’aura reproché de m’être focalisé sur le comédien et écrivain français d’origine algérienne Slimane Benaïssa et de ne pas évoquer le cas des ministres binationaux du gouvernement, qui n’ont pas manqué dans le cas de certains d’entre eux de se présenter devant la presse nationale comme des «coopérants techniques». Ils existent, certes, et prennent la place d’avérés militants de partis du pouvoir. Mais, il n’a jamais été dans mon objectif de faire un quelconque procès de la bi-nationalité et toutes les bi-nationalités ne se valent pas. Je ne connais pas de bi-national qui ait aussi passionnément milité pour l’Algérie, son premier pays, que mon estimé ami Ahmed Bensaada, physicien, didacticien et écrivain algéro-canadien, revenu servir l’Université algérienne et ses étudiants, apportant régulièrement dans ses écrits son tribut à la culture nationale algérienne. Entre l’Algérie et le Canada, il n’y a pas d’équivoques de l’Histoire ; il n’y en a pas avec la Grande-Bretagne, les États-Unis d’Amérique, l’Australie, la Russie, la Chine et tous les pays du monde sans exception aucune.
La France restera toujours la puissance colonisatrice qu’elle a été. Aucun traité d’amitié n’effacera les ruines de ses généraux de la conquête, ses enfumages et ses génocides et ne dissipera les effets de cent-trente-deux années de soumission. La séparation de l’Algérie d’avec la France a été la plus violente de tous les pays de son défunt domaine colonial. Une guerre sanglante de sept années et un vote massif d’autodétermination des Algériens ont rompu définitivement le joug colonial français.
Le choix de la nationalité française pour un Algérien est toujours politique en ce sens qu’elle est une survivance et une légitimation de l’Algérie française, et le faire, dans les années 1990, au moment où le pays était à terre, est abject. Il trahit le contrat moral d’un peuple et le sacrifice de centaines de milliers de ses enfants. C’est Slimane Benaïssa qui prédisait dans l’enquête de Séverine Labat (La France réinventée. Les nouveaux binationaux franco-algériens, Paris, Publisud, 2010) que l’Algérie redeviendrait française par le choix individuel de ses habitants d’opter pour la nationalité française – ou de la réintégrer. N’agitait-il pas dans ce propos les oripeaux de la politique néocoloniale de la France ?
De l’introuvable exil à la curée des grappilleurs
Je voudrais lever une ambiguïté qui apparaît dans certaines réactions. Je ne connais pas Slimane Benaïssa et je ne l’ai jamais rencontré. Je n’ai personnellement aucun contentieux – caché – à régler avec lui. Je n’appelle ni à une «déchéance de nationalité», l’intéressé s’étant déchu lui-même de sa propre initiative, ni au «meurtre rituel» et à la «lapidation publique», sornettes d’un autre temps. Voilà donc que des binationaux masqués, qui ne peuvent exciper que de la pleutrerie de l’anonymat, secourant leur frère de turpitudes, convoquent les nuées du martyrologe, qui sied si mal à Slimane Benaïssa et à ses agapes françaises.
Ce qui est, de mon point de vue, fondamental dans ce débat, je l’ai dit dans ma première contribution («Brève adresse à un naturalisé honteux, AP, 28 mars 2018), c’est le mépris affiché par Benaïssa envers les Algériens et leur culture nationale dans un interminable texte de trois pages dans le quotidien Le Soir d’Algérie (20 mars 2018) où il justifie, en recourant à un gribouillis prétentieux de philosophie et de psychanalyse buissonnières, une démarche individuelle de naturalisé («mtourèze», «mtorni»), induisant, pour lui, une rupture nécessaire d’avec la culture de ses géniteurs biologiques. Il reconnaît ainsi la France comme nouvelle mère, au sein nourricier, faisant prévaloir un regard différent sur son passé. C’est sur cette posture nodale du changement de culture et de nationalité que j’avais répondu à Slimane Benaïssa, dressant son bilan d’un quart de siècle dans la francité (1993-2018), à partir de ma position d’universitaire algérien, loyal envers mon pays, formant pendant et avant cette période des milliers d’étudiants dans mes spécialités d’enseignant-chercheur en linguistique et en littérature, publiant quinze ouvrages et des dizaines d’articles dans des revues scientifiques et des journaux, tout en étant suffisamment présent et engagé dans le débat culturel national. Et, justement, dans ces années 1990 de toutes les ruptures, au devant des menaces et des risques quotidiens d’une guerre civile.
Alors, allons à l’essentiel. Bien entendu, au-delà de Slimane Benaïssa, tout Algérien a le droit de mener sa vie comme il l’entend et, partant, de changer de nationalité et de patrie. Ce n’est pas ce droit que je conteste. Je reste respectueux envers ces anciens Algériens, à l’étroit dans leur pays natal, qui ont émigré dans le vaste monde, sans y retourner en donneurs de leçons. Français, Benaïssa aurait dû vivre sereinement sa vie dans sa nouvelle patrie sans revendiquer l’ancienne, en raison même des conditions de son départ d’Algérie et de sa coupure du lien national. Il raconte lui-même dans quelles conditions il a été exfiltré, en 1993, vers la France par les services de l’ambassade de ce pays. Je renvoie les lecteurs d’Algérie patriotique, dans l’ouvrage cité de Séverine Labat, aux déclarations du comédien néo-français et à celles d’autres naturalisés bien connus de la scène culturelle, médiatique et scientifique algérienne. Ces naturalisés ont profité de l’état de guerre civile fomentée par l’islamisme armé en Algérie, pour partir à l’étranger, particulièrement en France, avec l’objectif de s’y installer définitivement, de changer de nationalité et de patrie. Ils le disent sans ambages. Pourquoi reviennent-ils en Algérie pour enlever des places et des récompenses qu’ils n’ont pas gagnées en France ?
Il se pose ainsi une question de sens des mots : ces candidats à la migration en France ne relèvent pas de l’image surannée de la «ghorba», autrefois chantée avec émotion par Aïssa Djermouni et Slimane Azzem, ni de l’exil. Comme le spécifient les dictionnaires de langue française, consultables par tous, le mot «exil» renvoie à la contrainte qui frappe une personne «obligée de vivre loin de sa patrie» ou du lieu où, «habituellement, elle aime vivre». Il y a des exils exemplaires : Lénine, Ho-Chi-Minh, Gandhi, Neruda et bien d’autres, n’ont pas vendu leur attachement à leur nation pour un plat de lentilles. L’exil – on l’a observé chez plusieurs acteurs du champ politique algérien, singulièrement Aït Ahmed, Boudiaf, Ben Bella, Mahsas – peut s’inscrire dans la durée et il n’implique pas un changement radical de statut juridique. Plusieurs personnalités politiques, contraintes à l’exil pendant les présidences de Houari Boumediene et de Chadli Bendjedid, sont rentrées dans le pays après Octobre 1988 et l’ouverture du champ politique pour y reprendre leurs activités partisanes. Sans aliéner le nom de leur patrie et leurs convictions politiques.
Lorsque j’avais écrit et proposé ma réponse à Slimane Benaïssa à la rédaction d’Algérie patriotique, j’ignorais sa nomination en qualité de commissaire du Festival international du théâtre de Béjaïa par le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, communiquée le 28 mars 2018 par un quotidien national. Je me devais de répondre à cette situation scandaleuse en publiant une «Mise au point» (AP, 30 mars 2018) dans laquelle je manifeste résolument ma réprobation d’une nomination indue. Si cette nomination est une récompense du gouvernement, elle devrait consacrer dans la famille du théâtre algérien un(e) professionnel(le) qui n’a pas baissé les bras devant la barbarie islamiste, qui, en toutes circonstances, n’a pas compromis les chartes de son pays.
Ceux qui ont quitté le pays pour la France, dans les années 1990, au plus fort de la guerre civile, l’ont fait pour des motivations exécrables. Envisageons les choses sereinement : lorsqu’on a nourri l’hypothèse du pire pour le pays que l’on a abandonné, comment peut-on ambitionner un quart de siècle après d’y convoiter des responsabilités ?
A. M.
(*) Professeur de l’enseignement supérieur. Écrivain et critique
Source:
Information complémentaire
Le Soir d'Algérie, le 28 mars 2018
L’homme de théâtre Slimane Benaïssa a été désigné par le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, en qualité de commissaire du Festival international du théâtre de Béjaïa. Le festival, qui accueillera des troupes de plusieurs pays, se déroulera du 29 octobre au 4 novembre 2018.
D’un pays à l’autre, d’une langue à l’autre. Où se situe l’exil ?
Par Slimane Benaïssa (*)
Qui est l’autre ?
Celui qui a une couleur de peau différente de la mienne ? Celui qui est d’une religion différente, de sexe différent, de nationalité différente, de culture différente ?
Qu’est-ce que l’autre ? L’autre, avant d’être une différence, est avant tout et en grande partie une ressemblance. Car on ne peut comparer, en positif ou en négatif, que des choses qui se ressemblent.
Pour accepter ou rejeter un individu, il faut qu’il soit totalement comme nous, à une différence près. Le paradoxe est que cette différence devient le tout et le tout qui nous ressemble devient une quantité négligeable. Et certains oseront affirmer que cette infime différence détermine le tout !
Si on s’arrête à cette définition de l’autre, on ouvrira la porte à toutes sortes de discriminations qui répondent à la simple équation : il est différent, donc il mauvais ; il est différent de moi qui suis le bien, donc il est le mal.
«Autre» avant d’être un pronom indéfini, un adjectif, est philosophiquement défini comme «catégorie de l’être et de la pensée qualifiant l’hétérogène, le divers, le multiple».
Et là, je citerai une manière chez les Arabes d’introduire l’enseignement de la philosophie ; ils instruisent le débutant sur la notion de philosophie par l’anecdote suivante : deux frères jumeaux qui, pour se différencier, portent chacun un tarbouche différent. Un matin, l’un des deux se réveille et met le tarbouche de son frère. En se regardant dans le miroir, il se dit : «Si maintenant je suis mon frère, alors qui suis-je ?» Cette question est le début de la philosophie.
On voit bien qu’on ne peut s’interroger sur l’autre sans s’interroger sur soi-même, ce qui nous mène tout droit à la troisième définition de l’autre, la définition psychanalytique. Selon Lacan : «L’autre est le lieu où se situe un au-delà du partenaire imaginaire, ce qui est intérieur et extérieur au sujet et le détermine néanmoins.» On passe à travers les différentes définitions de l’autre, de l’adjectif qui mène au rejet en passant par la définition philosophique qui mène à l’interrogation sur nous-même et la définition psychanalytique qui définit l’autre comme quelque chose qui me détermine. Donc l’autre est en moi.
La meilleure façon de considérer l’autre, c’est d’être l’autre, de vivre avec l’idée que l’autre c’est tout simplement moi. L’autre est en nous ! Si l’autre est en nous et que nous sommes les autres, alors on est enclin à se poser la question que se pose le deuxième frère : qui sommes-nous ?
Ce NOUS qui peut être collectif ou individuel est déterminé par notre propre histoire. Nous évoluons ou nous régressons, selon les cas, en fonction de notre histoire.
Comme chaque individu, société, communauté a une histoire différente et dans beaucoup de cas opposée à celle de l’autre, sinon antagoniste, comment ces sociétés vont-elles construire leur paix ? En tout état de cause, ce n’est ni en additionnant toutes les histoires ni en exhibant les douleurs engendrées, ou les gloires obtenues. L’histoire, malheureusement, est une suite d’événements justes ou injustes sur lesquels nous ne pouvons plus agir, mais, au contraire, nous devons les considérer telles qu’elles sont, quelle que soit la douleur, quelles que soient les injustices. Nous n’avons sur l’histoire qu’un seul pouvoir, celui de la lire et de la relire pour comprendre ce qui s’est réellement passé et cette compréhension constitue la mémoire. La mémoire est en quelque sorte constituée de notre compréhension de notre histoire et de l’analyse qu’on fera des événements à travers le prisme de nos valeurs.
Les mémoires, contrairement à l’histoire qui nous enferme, peuvent fusionner entre elles et construire de nouvelles mémoires qui intègrent celles des autres. C’est pour cela qu’il est important que la mémoire soit l’émanation de la vraie histoire ; si on déforme l’histoire, la mémoire sera mal nourrie et inopérante pour l’évolution des sociétés. Si nos histoires respectives nous séparent, nous éloignent, les mémoires peuvent nous rapprocher, nous unir.
J’ai été élevé et j’ai grandi dans quatre langues : l’arabe dialectal, le tamazight, le français et l’arabe classique. La question de l’autre était en principe résolue en moi, puisque mon MOI était fait d’autres, puisque l’altérité ne peut être concevable que dans un cadre pluriel. Mais pour beaucoup d’Algériens, l'autre non conflictuel ne peut être qu'étranger… Et je commencerai par une citation de la sociolinguiste Amina Aït-Sahlia qui écrit dans un article en 1999 : «L’autre en discours» : «Reconnaître la part d'autre dans un même, c'est aussi reconnaître en soi sa part d'autre. Plus que la crainte de reconnaître l'autre en tant que tel, c'est aussi peut-être la crainte d'être déstabilisés que redoutent les Algériens en reconnaissant l'autre en eux-mêmes. N'est-ce pas la crainte de se retrouver étrangers à eux-mêmes ? Et pourtant... Moi-même et tous les Algériens sommes tous le résultat de siècles de brassages culturels. Nous sommes tous inévitablement porteurs de notre part d'autre.»
Les communautés ou les sociétés comme l’Algérie revendiquent l’altérité vis-à-vis de l’extérieur et la refusent à l’intérieur. Cette double relation à l’altérité est contradictoire et dangereuse en cas de conflit. Étant tous les mêmes en tant qu’éléments d’une même communauté, nous avons les mêmes différences et nous devons avoir les mêmes agissements vis-à-vis de l’autre extérieur. C’est ainsi que n’importe quel Arabe peut venger n’importe quel autre Arabe. La négation de l’altérité à l’intérieur par la négation de la pluralité multiplie à l’infini les conflits avec la pluralité extérieure.
Voici dans quel esprit j’ai reçu l’héritage de ma pluralité et le pétrin dans lequel a fermenté la pâte de mon métissage. J’ai compris que je devais défendre la pluralité, qui me définit sur tous les fronts.
Expérience algérienne
Au théâtre, j’ai choisi de m’exprimer en arabe dialectal qui est la langue maternelle de la majorité des Algériens et représentative de son histoire. Elle a drainé toutes les influences qu’a connues le peuple algérien : berbère, romaine, turque, arabe, française. Elle est à ce titre une référence sûre. C’est dans cette langue que le public algérien s’entend, qu’il se comprend, qu’il veut débattre et évoluer.
Cette langue étant une langue d’oralité, elle a une structure dont le centre est la mémoire et la mémorisation. Elle est organisée de manière à ce que tous les récits développés soient mémorisés à l’écoute. La culture orale développe à cette fin d’innombrables techniques :
Elle possède, entre autres, deux grandes qualités qui me permettent de dépasser tous ces conflits linguistiques et me servir de point d’appui pour créer une langue pour le théâtre :
Sa première qualité est d’avoir su dépasser les limites du discours social à travers un langage par sous-entendus que les poètes et les narrateurs, qui ne pouvaient pas tout dire en public, ont développé.
Sa deuxième qualité est d’avoir su déjouer la censure coloniale à travers des codes de communication développés par les orateurs.
Face à cette double répression, morale et politique, la langue n’était plus dans ses mots, elle n’était plus dans ce qu’on entendait, mais dans ce qu’elle sous-entendait.
Par ailleurs, à l’école française, j’ai appris que le théâtre ne se réalisait pas totalement dans ce qui est dit, mais dans le non-dit. J’ai tenté alors d’élever les sous-entendus de la langue maternelle à la force des non-dits pour construire une langue pour le théâtre algérien. A un moment de cette expérience, j’ai compris que cela ne suffisait pas, parce que le sous-entendu était une construction qui se développait sur les images. A partir d’une image, on suggère une autre. Ce procédé déguise la langue mais n’apporte pas du sens, il favorise la redondance, alors que le non-dit surfe justement sur le sens. On développe un sens audible, qui ouvre la porte sur plusieurs sens non-dits, et ces non-dits prennent tout leur sens dans l’imaginaire du public.
Toutes ces techniques, une fois libérées de la problématique de la mémoire, deviennent des outils dont on se sert pour faciliter l’écoute au théâtre et nous offrent différents registres au service de l’écriture dramaturgique. L’arabe dialectal a subi l’influence de l’arabe classique qui est intimement lié au Coran. Il fallait le laïciser, le libérer de son contenu systématiquement religieux et en faire une langue qui parle simplement de l’humain. On ne peut atteindre notre public qu’en arabe algérien, mais cette langue a l’expérience et les limites culturelles de ceux qui la parlent. La seule issue pour nous, dramaturges, était de faire évoluer la langue elle-même. Mais compte tenu de l’évolution sociale rapide, la langue dialectale, bousculée par la réalité industrielle et technologique, se trouve acculée à un enrichissement anachronique et s’exténue. Il fallait lui éviter cela… Mais on ne fait pas penser une langue, c’est la langue qui nous fait penser. Conscients de cela, on comprendra aisément que toute pensée nouvelle s’affronte en premier lieu à l’outil linguistique. Une idée nouvelle qui s’affronte à un code traditionnel ne peut s’imposer qu’en créant un code à sa mesure, partant du premier et se référant à lui. Nous poussions la langue dans ses limites naturelles tout en essayant de tracer des limites à nos idées acquises ailleurs et qui, elles, étaient sans limite. L’arabe dialectal devait évoluer afin de devenir une langue nationale. A notre niveau, tout en inventant un théâtre, nous avons forgé cette langue en brassant les régionalismes linguistiques, nous avons participé à la création de notre langue nationale.
Nous avons perdu beaucoup de temps et d’énergie à redonner à chaque langue sa juste valeur, sa juste place, dans un contexte politique hostile qui manquait de vision et de sérénité à l’égard de toute forme de pluralité. Il est important de signaler qu’au vu de la situation conflictuelle dans laquelle se trouvaient les différentes langues, le fait de choisir telle ou telle langue pour s’exprimer publiquement constitue une posture politique en soi, car dans ces conditions de guerre des langues, le choix d’une langue par rapport à une autre a une signification politique. C’est pour toutes ces raisons que la langue n'est pas pour moi un simple outil que je façonne, que je perfectionne, elle est le fantôme qui hante mon histoire et par laquelle il me faut rêver. Je ne porte pas ma langue maternelle, je suis porté par elle. Je porte la langue française et je suis emporté par elle. Telle est l’équation de mon bonheur de métis, au-delà des malheurs de mon histoire et des miens.
C’est à travers cette histoire, qu’elle soit belle, sereine ou conflictuelle, que nous avons dit notre peuple avec les colères qui sont les siennes, avec la pudeur qui est la nôtre, et parfois avec les maladresses des poètes errants que nous sommes, dans un monde où il est souvent ridicule d’expliquer et douloureux de se taire.
L’Histoire des «Nôtres» a forgé notre esprit et notre imaginaire jusque dans l’intimité des métaphores. Le malheur a fait le poème, notre espoir est que la paix en fasse un chant.
Par ailleurs, étant le fils d'un pays qui ne cesse depuis des siècles de chercher sa paix, le début de ma paix est dans la paix des langues qui m’habitent et que j'apaise sans cesse pour les apprivoiser afin qu'elles puissent porter nos malheurs avec sérénité et oser la joie. L'apaisement de ces langues est un poème en soi, il est notre vrai talent.
Je dirais même notre unique talent, celui qui nous est prescrit par ordonnance testamentaire.
Les langues qui me traversent sont porteuses de toute mon énergie à dire et à écrire, quand elles sont en conflit à l’intérieur de moi, ma colère devient inaudible parce qu’aucune des langues n’ose la dire et je perds la voix. Quant à mon peuple, il mélange d’instinct l’arabe au français, le tout assaisonné de berbère, il cherche désespérément leur alliance pour dire sous une forme nouvelle ce qu’il ressent depuis toujours, parce que le peuple, malgré la misère, a horreur de se répéter face au malheur. Il crée pour se garder en estime.
Les langues écrites nous sont utiles certes, mais nos langues maternelles qui ne sont qu’orales nous sont vitales malgré tout, parce qu’elles nous déterminent. Elles sont l'espace de cette mémoire qu'on oublie et qui continue de nous transformer malgré nous. Les langues populaires naissent dans le peuple et s’épanouissent dans l’élite.
Les peuples, rarement heureux, ont très peu de mots pour dire le bonheur, trop de mots pour cacher la honte du malheur. Quand celui-ci n'est plus à cacher, il se tait. Et la langue s'atrophie, elle se noie dans les larmes, elle se fait clandestine dans les terreurs. Elle se fait petite parce qu'elle reconnaît son impuissance à dire autant de malheurs. Et nous sommes contraints de dire ce malheur comme gage de notre liberté.
De quelle liberté suis-je capable si je dois piétiner l’analphabétisme de ma mère et de mon père ? Eux qui souffraient déjà de leur ignorance parce qu’ils mesuraient ce qu’ils ne savaient pas. Je voudrais vous faire un aveu : à mon âge, et malgré tout ce que j’ai écrit, je n’ai écrit que l’analphabétisme de mes parents et je ne sais pas quand je commencerais à exprimer ma propre conscience du monde, quand vais-je pouvoir m’écrire.
Comment, dans ce chaos linguistique, arriver à créer un théâtre pour un public algérien et dans sa langue maternelle ?
Au bout de toutes ces tentatives, je ne sais comment, j’ai décidé, afin d’arrêter de tourner en rond, de faire en sorte que la langue soit le personnage principal de toutes mes pièces.
C’est-à-dire mettre en situation hors réalité des personnages pour qui il fallait inventer une langue, sinon ils ne sauraient pas dire ce qu’ils vivent et seraient incapables de dialoguer. Il fallait supprimer tous les référents culturels de la langue et l’obliger à assumer une situation inédite.
De cette façon, j’ai eu une plus grande aisance à travailler mes textes parce que j’ai libéré la langue de sa quotidienneté et l’ai inscrite dans un autre réel, là où elle ne s’est jamais risquée. Par cette démarche, c’est moi qui décide à quelle référence je rattache la langue, les références de la langue ne s’imposent plus à moi.
En fin de compte, quand l’idée d’une pièce me vient, je sais quelles idées je dois écrire dans ma langue maternelle et celles que je dois écrire en français. C’est le projet d’écriture lui-même qui me guide pour prendre la décision d’écrire soit en arabe soit en français. Ce qui détermine mon choix est très instinctif, mais il y a d’autres paramètres qui entrent en jeu pour justifier rationnellement ce choix.
J’ai longtemps cru que les deux démarches étaient totalement distinctes et séparées. J’essayais alors de me placer dans le cadre culturel de chaque langue pour trouver ma démarche théâtrale et dramaturgique. Pour moi, celle-ci était intraduisible d’une langue à l’autre et si je devais les traduire il n’y avait qu’une seule issue : réécrire. Je considérais que si moi j’étais bilingue, mes écrits n’étaient pas bijectifs et vice-versa.
Douze ans après avoir écrit Les fils de l’amertume, pièce sur l’intégrisme islamiste et la décennie noire en Algérie qui a été jouée en 1995 dans le «In» du Festival d’Avignon, j’étais convaincu qu’elle était intraduisible dans ma langue maternelle pour plusieurs raisons, dont deux principales. Je pensais d’abord que si je la traduisais, il fallait que je tienne compte des formules religieuses minimum, du code linguistique inhérent au discours religieux et sur la religion. Ce qui ferait dire à la pièce le contraire de ce que je voulais dire.
Ensuite, je pensais que pour décrire la société dans laquelle est né cet intégrisme, il fallait plonger dans ses profondeurs et fatalement bousculer ces codes moraux, éclater les limites du discours social jusqu’à la trahison, jusqu’à la dénonciation.
Pour toutes ces raisons, je pensais que cette pièce resterait à jamais intraduisible, du moins injouable, devant un public algérien, en arabe algérien.
Pendant 12 ans j’étais tourmenté par le fait qu’elle soit intraduisible parce que je ne voulais pas m’inscrire dans un théâtre d’exil. Si elle était inaudible pour le public algérien, j’avais trop honte d’avoir mal traduit ses malheurs au public français. Il me fallait une preuve qui légitime au moins mon rôle de passeur.
Jusqu’au jour où, revenant de Bruxelles, seul en voiture, alors que je ne pensais pas particulièrement à cette traduction, je ne sais pas par quelle démarche hasardeuse l’équivalent d’une réplique de la pièce en arabe algérien me traverse l’esprit. Je sors au prochain arrêt d’autoroute et je traduis de mémoire toute une scène.
C’était tellement juste et beau que j’en ai pleuré. Je suis resté trois heures dans cet arrêt, incapable de reprendre la route, comme si j’étais arrivé quelque part en moi. Je venais de retrouver ma langue maternelle cachée derrière la langue française et tellement intimidée par elle qu’elle m’a fait croire à moi, pendant 12 ans, qu’elle n’était pas là.
J’ai repris la route, unifié dans ma pensée et plus pluriculturel que jamais. Voilà un exemple où les deux cultures et les deux langues que je porte en moi fusionnaient parfaitement dans mon esprit pour dire aux Français ce que vivaient les Algériens. Est-ce la gravité des événements qui font l’objet de la pièce qui m’ont obligé à aller chercher en moi plus que la synthèse des langues et leur indépendance ? Est-ce la force des émotions qui me traversaient qui a chauffé à blanc les deux langues, les deux cultures pour n’en faire qu’une ? Est-ce le désir de porter à un public français la vérité douloureuse d’un vécu algérien qui a fait que les deux cultures se sont mêlées et que les deux langues ont tressé un seul et unique texte pour deux langues ? Je ne le sais pas.
Toujours est-il que, depuis ce jour, je suis convaincu que la littérature cache plus qu’une langue, comme l’art cache plus qu’un regard. La littérature et l’art sont pluriels par essence, il est regrettable d’avoir une seule culture pour lire et un seul regard pour voir.
Expérience française
La génération d’écrivains qui nous ont précédés, celle de Kateb Yacine, Mohammed Dib, Malek Haddad, Mouloud Feraoun, était inscrite au cœur même du combat pour l'indépendance et la langue française était l’outil idéal pour porter le combat en métropole. La problématique de la langue ne se posait même pas pour eux tant la nécessité, l'urgence de la lutte n'avaient pas le temps de discuter des langues à utiliser.
Mais aujourd'hui, après l'indépendance, nos politiques ont rejeté la langue française avec les valeurs qu'elle porte en elle, droit de l’homme, démocratie, etc., sous prétexte qu’elle était la langue du colonisateur. L’identité de la société algérienne allait se construire en dehors des valeurs de la culture française et c'est là où les choses se compliquent. Car l'amalgame a été fait entre valeurs, culture, identité et histoire.
Il est difficile de faire admettre à nos gouvernants, qu'on peut s'approprier la culture française dans ses valeurs et construire notre identité propre tout en réglant nos problèmes d'histoire avec la France.
C'est cette incompréhension qui nous a placé nous comme opposant naturel aux différents pouvoirs et nous a contraint petit à petit à un exil intérieur et qui a fini par devenir un exil vers l’extérieur.
Nous, dramaturges, avons été formés en français, certains en arabe classique, deux langues dont l’expérience n’est pas celle de notre langue maternelle. Comme dit Benjamin Stora : «La migration algérienne en France est marquée d'une double empreinte. Elle est à la fois héritière d'une tradition maghrébine et islamique, mais aussi du très long contact entretenu par les Algériens avec le colonisateur, qui leur a imposé sa langue comme moyen d'expression.»
Notre regard sur la réalité relève de nos connaissances, mais celles-ci furent acquises ailleurs. Nous regardons notre réalité à partir d’un espace extérieur à la langue avec laquelle nous devons communiquer. Un Français éduqué et formé dans sa langue maternelle (le français), quand il parle de la réalité française, il s’exprime parce qu’il y a dans son imaginaire une continuité linguistique et culturelle.
Quant à moi, quand je regarde la société algérienne pour en parler en arabe algérien à des Algériens, souvent je pense en français ou en arabe classique, pour dire en arabe algérien, ce qui fait que je ne m’exprime pas, je traduis. Parce qu’il y a discontinuité linguistique et culturelle due à ma formation. Cette discontinuité fait que je négocie les mots, je ne les invente pas, elle me pousse au compromis et là, soit je compromets la réalité que je veux dire, soit je compromets la langue que j’utilise. Je n’ai pas les angoisses du créateur, j’ai les aphtes du créateur réduit à se traduire.
Ajoutons à cela que les trois cultures, les trois langues, ne sont pas superposées et indépendantes dans mon esprit. Mon métissage n’est pas la somme des langues que je connais, il est une fusion des cultures en moi. Ma pluralité est une synthèse faite des trois cultures. De ce point de vue, mon regard est différent de celui de ma culture d’origine. Il est aussi différent de celui de mes cultures acquises.
Si je maîtrise la langue, cela ne veut pas dire que je connais suffisamment la société française pour pouvoir y exister comme homme de théâtre. Édouard Bond dit : «Le théâtre n'est pas une chose que l'écrivain crée en misant sur sa seule ingéniosité personnelle, c'est une activité sociale.»
En quittant mon pays, je me retrouvais en tant qu’homme de théâtre, doublement menacé d'exil territorial et d'exil professionnel. D’autant plus que c’est dans l'espace de théâtre que je reconstituais l’idée que je pouvais avoir de mon pays.
Pour pouvoir échapper à l’exil professionnel, il m'a fallu plonger dans la société française avec enthousiasme et grand appétit pour la connaître et me laisser imprégner d’elle. Il me fallait aussi l’aimer pour me donner le désir de la raconter à elle-même, c'est-à-dire à un public français. Cette plongée ne pouvait se faire qu'avec un seul guide : notre histoire commune.
Tout exilé doit s’adapter au pays d'accueil. Pour les hommes de théâtre, il ne s'agit pas de s'adapter à la vie du pays mais de se convertir, et cette conversion nécessaire va mettre en danger, non pas nos choix politiques et philosophiques, mais bien plus que ça. Elle met à l'épreuve notre capacité à accepter l’autre.
Écrire et faire du théâtre, c’est choisir les émotions justes sur lesquelles on articule des idées pour les rendre audibles. C’est cette alchimie qui entre en jeu, consciemment ou inconsciemment, dans tout processus de création. L’équilibre entre émotions et idées, entre le ludique et l’intellectuel, doit être maintenu. S’il est profondément perturbé, il devient alors déstabilisant et engendre une perte de confiance en soi et l’autre devient dangereux.
Un voyage initiatique est nécessaire pour se refaire et apprendre à accepter l’autre. Ceux qui osent le voyage deviendront féconds pour le pays d'accueil. Ceux qui n'osent pas ou refusent ce voyage nourrissent des ressentiments contre le pays d'accueil parce qu'ils le rendent responsable de les avoir mis devant des choix impossibles.
Quel a été mon voyage ?
Je me définis comme triculturel, de culture berbère, française et arabe. Ma langue est ma pluralité ; mon lieu culturel est mon métissage. Ma parole en est la synthèse. Ainsi, je suis le fils de l’histoire et non de mes parents. Ils ont été mes géniteurs biologiques et mon existence culturelle allait se faire ailleurs que dans l’espace d’origine.
L’histoire allait devenir une sorte de lieu psychanalytique dans lequel je forge ma pluralité. Aujourd’hui elle est la justification et la raison de mon outil : la langue. Elle est mon alibi identitaire. Celle du métis qui sait plusieurs langues et que chaque langue ignore.
Et c’est là où j’ai pris conscience que la liberté francophone n’est pas une essence, mais une conséquence. Parce qu’une fois qu’on a pris suffisamment le temps de tout détruire autour de vous, jusqu’au moindre balbutiement, quand ma mère a fini par parler le silence dialectal, la langue française devient un véritable espace de liberté et le lien réel et unique avec l’universel. Mais à partir d’où et pour dire quoi ? Et là, les questions se succèdent creusant un gouffre entre ce que je ressens vouloir dire et les outils que j’ai pour le dire.
Naissent alors en moi des blocages, des inhibitions, dues au fait que je prends conscience au fur et à mesure, que je possède une langue, une culture qui m’ont déplacé de mon espace d'origine sans m’inscrire tout à fait dans son espace. Nous sommes des banlieusards de la littérature. Parce que du côté français l'esprit de culture dominante persiste avec force. Voilà ce que dit M. Dominique Wolton dans une conférence faite sur le thème «Diversités culturelles et francophonies». Je cite :
«Je prendrai un exemple politique important : nous venons de vivre en France – et nous continuons de le vivre — un débat très important sur la question de la laïcité et sur le problème de savoir s'il faut ou non faire une loi concernant le voile, vu comme un symbole. On a longtemps perçu la laïcité française comme un modèle d'intégration. Nous l'avons vécue culturellement comme un moyen d'intégration mais avec une connotation de domination.
Autrement dit, depuis 1905, les gens s'intégraient au modèle de la laïcité, modèle républicain français, parce qu'ils n'avaient pas le choix. Ce qui change — et on le voit très bien dans les réactions en France et à l'étranger par rapport à l'hypothèse d'une loi — c'est que les autres sont beaucoup plus visibles qu'avant. Autrement dit, celui pour lequel on veut défendre les valeurs laïques ou que l'on veut intégrer dans un modèle républicain n'est plus d'accord. Parce que nous étions dans un modèle culturel de domination et que nous sommes maintenant dans un modèle culturel de coopération et qu'on ne peut pas imposer à d'autres communautés, en France et à l'étranger, au titre d'un certain ‘‘art démocratique’’ ou d'une certaine conception de la laïcité, un modèle qui ne lui correspond pas.
Et je suis frappé de constater, dans le débat sur la laïcité, que les meilleures intentions du monde se retournent contre ceux qui les invoquent, tout simplement parce que l'autre est présent chez nous, et en fait, traite la République française de néo-communautariste, ce qui est exactement l'inverse de ce que nous voulions faire.
Je vois dans ce symptôme, ce surgissement des hostilités radicales à une législation, le fait que ce qui a changé en un siècle, c’est que l’autre est présent et que l'altérité existe. Ce qu’il se passe pour la laïcité, je pense qu’il pourrait se passer pour la francophonie : une partie des peuples, des communautés francophones, pourrait un jour se retourner contre la France en disant : ‘‘Vous avez un rôle essentiel dans la francophonie, mais vous n'êtes plus propriétaire de la francophonie et vous n'êtes plus propriétaire de sa définition et des compétences culturelles.’’ Pour éviter cette espèce de boomerang que nous sommes en train de recevoir sur la laïcité, il nous faut ouvrir, le plus tôt possible, la francophonie à une bien plus grande diversité culturelle en son sein. De ce point de vue-là, comme travail pratique, il faudrait faire une liste des divergences qui existent au sein de cette francophonie, avec les enjeux culturels, politiques, idéologiques et historiques... Il faut aussi reprendre quelque chose qui me tient énormément à cœur, car je pense qu'on n'avancera pas dans la diversité culturelle au niveau mondial sans cela, ce sont les problématiques de la colonisation et de la décolonisation pour comprendre ce qui fait que les gens, malgré le fait qu'ils soient sensibles à la francophonie, sont d'accord ou pas sur telle ou telle chose.»
Cette domination culturelle qui persiste est aliénante, elle prend en otage notre imaginaire. Nous sommes considérés comme des utilisateurs de la langue et non des créateurs dans la langue. Le seul apport créatif dans la forme attendu de notre part, c’est introduire des arabismes ou des africanismes dans la langue et tout le monde crie au génie !
Et les critiques sur nous sont des jugements paternalistes, et les prix qu’on peut avoir sont des prix politico-littéraires, qui récompensent non pas notre talent d’écrivains mais plus notre talent à nous sentir francophones. Les gouvernements étant politiquement alliés de nos gouvernants, leur complicité fait qu’on n’existe plus là-bas et qu’on a l’illusion d’exister ici.
Nous finissons par être des hybrides qui ne correspondent à rien. Entre-temps, nous avons été évacués de notre réel terrain d’efficacité, c'est-à-dire nos sociétés, et nous avons servi à renforcer les politiques francophones. Si j’ose dire cela c’est parce que j’ai un sérieux problème avec la «solidarité francophone». Où se situe cette solidarité ? On est solidaire de quoi ? Et pour faire quoi ? Et qui est solidaire avec qui ?
Les raisons profondes de ce genre de situations sont très bien analysées par Mme Baida Chikhi dans un article «La francophonie aujourd’hui : réflexion critique».
«En somme, déclinée à tous les modes, à tous les genres, comme la ‘‘fée Clochette’’, la francophonie est soumise au paraître/disparaître et à l'humeur d'un agitateur masqué ; son apparence et son intérêt varient selon le point de vue à faire valoir. Mais reconnaissons que c'est en France que la francophonie semble poser problème.
La même question revient, à peine voilée, comme une litanie : que faire de tout ça ? De tous ces textes écrits en français ? De ces écrivains qui viennent d'ailleurs et se font publier ici, raflent les prix littéraires, envahissent les librairies et les salons littéraires ? Comment les nommer ? Où les placer ? Comment les classer ?»
Par ailleurs, l’occultation de l’histoire est aussi chose aliénante et jusqu’où peut-on occulter l’histoire. Si la langue française porte la culture française, elle porte aussi notre histoire commune et ceci d’une manière indélébile, sinon je ne m’explique pas comment je suis devenu francophone. La seule manière de retrouver ma liberté totale, c’est de liquider ce contentieux, c’est de nous libérer des vicissitudes de l’histoire car c’est à partir de cette histoire commune que je raconte mes histoires.
C’est grâce à cette histoire commune qu'à chaque étape, j'ai essayé de retrouver une place dans cette société et cette place n'était autre qu'une interrogation nouvelle sur ma propre histoire. La seule manière d’y répondre a été de convoquer l'histoire au théâtre et de l'interroger publiquement. Car il s'agit avant toute chose de savoir de quelle histoire relève notre malheur. Et si le théâtre, c'est danser sur le malheur, avant de danser, il faut nommer ce malheur. Et à ce moment, j’ai l’impression de ne pas être compris par les Français. Cette incompréhension par les Français constitue déjà la première barrière à l’universalité. On n’a pas le «label rouge» Quand je suis arrivé en France, la première pièce que j’ai voulu monter était Le conseil de discipline.
Ce que raconte la pièce :
«Fin mai 1959, dans un collège de l’Est algérien. Au cours d’une dispute, Jacomino a blessé Atmourt d'un coup de couteau. Un conseil de discipline est décidé. Vu la situation politique et les tensions qui règnent un peu partout, tant dans la ville qu'au collège, le proviseur craint que ce conseil de discipline ne dégénère en bataille rangée. Afin de prévenir les affrontements, il organise une rencontre, qu'il voudrait conviviale, et y invite six professeurs, représentatifs des différentes tendances, pour tenir une sorte de ‘’pré-conseil’’. Sultanat, Sisco, Mauzer, Tahar, Billard, Cohen et le proviseur se retrouvent donc dans une clairière, aux alentours de la ville, pour un étrange pique-nique.»
Cette pièce, parce qu’elle traite de la guerre de libération et malgré le soutien du Festival des francophonies de Limoges, plus de vingt metteurs en scène n’ont pas voulu y toucher, et c’est en Belgique qu’elle fut réalisée.
Quand je parle de ma société dans l’espace de la langue française, il y a globalement deux attitudes :
- La première, je considère que les deux espaces sont isomorphes, qu’ils ont les mêmes limites, les mêmes libertés, la même densité. A ce moment toute critique de ma société est accablante et toute générosité à son égard est ridicule. Parce que mon regard est extérieur à ma société ou plutôt son point de départ n'est pas dans le centre de ce qui fait l'objet de mon discours. Je ne suis pas dans l’œil de mon cyclone. Mais j’aurais parlé de moi dans les codes de la langue française pour un lectorat français. Pour plusieurs raisons, les Algériens n’y ont pas accès du tout, d’autant plus qu’elle ne leur parle pas. La littérature africaine existe comme elle peut en France, mais en Afrique, on ne sait pas ce qui se crée, puis s’édite à Paris.
Ainsi, nous écrivons des livres où nous parlons d’une société qui ne nous lit pas et ils sont vendus dans une société qui à la limite s’en fout. Quelle est notre utilité ? Je me le demande.
- La seconde attitude est de tenter de rester soi, dans les limites de notre société, et prendre dans la langue française juste les mots pour dire sans se référer à elle ; à ce moment, on est auteur mineur pour la langue française.
Comment être totalement moi dans une langue qui n'est pas totalement moi ? Comment prendre l’envol nécessaire ?
La langue française est magicienne, elle me séduit, elle est ciselée depuis des siècles par des talents, elle vous happe, vous imbibe, on a beau se défendre on finit par céder à l’ivresse de sa beauté, tout en étant malheureux d’être sur la défensive. On s'égare longtemps pour dire un mot qui puisse ressembler à une parole, qui serait le début d’une écriture. Qu’est-ce qu’être auteur si ce n’est faire vivre autrement la langue que j’utilise et la poursuivre jusqu’à lui faire dire ce qu’elle n’a jamais dit autant dans la forme que dans le contenu ? Comme dit Mme Barbara Cassin : «Une langue, c’est des auteurs et des œuvres, c’est-à-dire une vision du monde.» Dans ces conditions, je n’ai pas une vision du monde, je suis bloqué à une vision des langues.
La langue française me séduit à me faire dire que ma mère n’est rien, parce que la référence du tout est ailleurs. Est-ce que ma mère est rien ? Pardonnez-moi mais je ne le crois pas… Ma mère peut être le rien de beaucoup de «tout», je n’en disconvins pas et je ne le nie pas. Ce qui m’intéresse, ce qui me pousse à écrire, c'est la recherche de son tout à elle. Seul idéal psychanalytique que je connaisse sans lequel toute écriture est vaine.
Écrire, c’est se réfléchir, c’est se projeter dans l'imaginaire avec comme seule certitude notre naissance et avec comme espoir toujours une renaissance pour un monde meilleur. Comment renaître dans le doute de sa naissance ? En tant que francophone, je me considère enfant adoptif qui, à un moment, doit trouver réponse à sa naissance. En conclusion, la francophonie est comme toutes les politiques, elle ne tient pas ses promesses. Et d’abord qu’est-ce qu’elle nous a promis ? A vrai dire, rien ! Donc c’est une politique qui ne promet rien. La liberté et aliénation francophonique relève d’un paradoxe, la langue française nous donne une distance par rapport à notre société et c’est là que s’inscrit la liberté. Mais cette distance est trop grande, elle modifie fatalement notre regard sur nous-mêmes, et ça c’est aliénant. Sur le plan culturel, elle est une grande ouverture ; sur le plan de notre relation historique, elle demeurera dans notre imaginaire, la blessure par laquelle nous sommes contraints de dire toutes nos autres blessures. La difficile coexistence des langues durera tant qu’on n’aura pas résolu notre problème avec l’histoire et qu’on «trimbalera» nos diverses langues comme des tares et comme les pires de nos ennemis. Pour moi, c’est grand dommage et en tant qu’écrivain, c’est une vraie douleur. Mis sur le banc de deux sociétés, celle du départ et celle de l’arrivée, on devient un regard libre. Notre projection dans le temps se mesure en unités d’existence et non d’appartenance. Nous sommes obligés de nous dépecer de nos douleurs pour pouvoir encore lire le malheur qui nous entoure. Je troque ainsi mes douleurs d’homme contre des joies d’artiste. Nul n’est exempt du malheur, et rares sont les artistes heureux.
S. B.
(*) Dramaturge
Contribution d’Abdellali Merdaci – Brève adresse à un naturalisé honteux
Par Abdellali Merdaci (*)
Slimane Benaïssa. D. R.
Vous nous avez quittés, muni d’un titre de passage de frontières et de long séjour de l’ambassade de France à Alger. Une résidence d’écriture en province. Et, certes, à cette époque, vous n’étiez pas le seul. C’était en 1993, un terrible millésime. La France accueillait et protégeait sereinement les tueurs islamistes et, aussi, leurs probables victimes. Vous en étiez donc, Slimane Benaïssa, ni tueur ni victime, mais fieffé chasseur d’aubaine. Les raisons de votre migration vers le nord étaient, pour vous, claires et celles de votre retour dans ce qui était votre pays ne devaient pas, pour nous, l’être moins. Ne cherchez pas le refuge d’un faux débat sur l’altérité ; c’était une séparation. Car le mot «exil» n’existe pas dans votre maigre glossaire. Vous êtes resté en France et vous vous êtes fait naturaliser français : vous avez «réintégré» ce qui vous fut une mère-patrie d’antan et ses douces commodités, celle que vous chérissez plus que votre «mère biologique». Mais, contrairement à beaucoup de vos comparses qui proclament leur totale francité, à l’image d’un Anouar Benmalek, vous êtes un Français honteux. Vous vous cachez, craignant le vif opprobre.
Comme vous ne serez jamais reçu dans un journal français pour semer vos sombres et tardives billevesées, vous les étalez sur trois pages dans un quotidien algérien. Sans doute, dans un pays de jeunes, les lecteurs de ce titre qui ont plus de cinquante ans vous connaissent un peu, qui se remémorent le comédien, votre profession principale. A aucun moment de votre infinie et ridicule logorrhée philosophico-analytique sur un incernable Autre, vous ne leur concédez l’essentiel, ce qui est nécessaire à la compréhension de votre ruineuse et nauséeuse tirade. C’est à partir de votre position de «mtourèze» que vous construisez un inquiétant argumentaire de survie après un quart de siècle accompli dans la nationalité de l’ancien colonisateur, celle que le peuple algérien a expurgée par une sanglante guerre d’indépendance (1954-1962) et par son vote unanime, le 1er juillet 1962, pour une patrie retrouvée. Vous pouvez cracher sur cette Histoire qui n’est plus la vôtre : vous avez été retourné, revêtu des oripeaux du «m’torni» de sinistre mémoire, dans une accablante version néo-indigène.
Né sujet français, élevé à la citoyenneté française dans une vaine politique coloniale de la vingt-cinquième heure, Algérien par filiation à l’indépendance, vous êtes donc «retourné» à la France, ce qui est votre droit. Et vous n’en ignorez pas le protocole aisé, indiscutable : Français par «choix individuel». Comme l’exigeaient les sénatus-consultes (1863-1865) de l’Empire et, désormais, les lois de la République française. Mais, de grâce, foutez-nous la paix. Trois pages de «chiens écrasés» valent mieux que vos aveux. Les Algériens ne vous demandent rien, alors que vous en attendez tout. Vous êtes encore là, à l’affût pour grappiller, toute honte bue, des rôles dans le cinéma algérien et aussi, pourquoi pas, des hommages publics nationaux, comme votre compatriote naturalisé Merzak Allouache, ami du sionisme international, gratifié au printemps 2017 par l’Etat algérien de la médaille du Mérite national, qui, comme vous, n’a plus depuis longtemps aucune attache avec le pays et la nation. Probablement, une erreur de casting, mais elle ne vous empêche pas d’y croire, malgré que vous ayez depuis si longtemps coupé et piétiné le lien national.
Comme Anouar Benmalek – décidément ! –, vous n’hésitez pas à prendre ce qu’il y a encore à prendre dans un pays que vous avez en toute conscience abandonné lorsqu’il tombait en quenouille sous les coups de boutoir de l’islamisme armé, l’enlevant voracement de la bouche de ses enfants méritants. Pour vous et pour vos semblables, ce n’est jamais assez. Où est l’éthique ?
En 1993, vous vouliez vivre parce que Tahar Djaout, Abdelkader Alloula, Youcef Sebti, Salah Fellah, Azzedine Medjoubi, mais aussi des dizaines de milliers d’Algériens sont tombés sous les balles assassines de l’AIS, des GIA et des «katibate» de toutes obédiences barbares. Vous ne vouliez pas résister, mais prendre le large, réintégrant – c’est, en effet, le terme juridique idoine – la nationalité française au moment où des Algériens mouraient. Laissez-moi vous parler de mes amis du Théâtre régional de Constantine, listés sur de funèbres affiches accolées dans les mosquées du Bardo et d’Aouinet El-Foul, condamnés à mort par d’inattendus tribunaux de la foi, leur sang licité, guettés aux aubes muettes. Ils n’étaient pas, en ces années 1990 comme aujourd’hui, moins grands que vous prétendez l’être. Ils gardèrent les murs de leur théâtre, montant sur scène à l’heure antique de tous les sacrifices. Ils résistèrent, cousant chaque jour une taie d’espoir. Et avec eux, sur tous les tréteaux de fortune du pays, les corps noirs de comédiennes et de comédiens hallucinés, accrochés à des lendemains sans sang et sans deuils : leur théâtre ne s’est pas tari. Ils jouaient à tromper la mort ; c’était-là leur honneur inaliénable. Et, à leur image, de centaines de milliers d’Algériens anonymes présents à leurs postes de travail pour maintenir, vaille que vaille, leur pays debout, malgré les écoles détruites, les routes assiégées, les usines saccagées, les terres calcinées. Ils n’ont pas abdiqué devant la violence islamiste. Vous avez déserté, face à la mort et au malheur, pour sauver votre peau et profiter d’une impénétrable ligne de crédit de l’obscure diplomatie française. Lorsqu’on a traversé la mer non pas pour le respectable exil qui a formé les Grands Esprits, la décence aurait été de ne point en rajouter, simplement de vous taire.
Et voilà que vous nous revenez, sans un mot de remords, sans contrition, en criant sur les toits. Comme si vous étiez toujours de cette famille de Veilleurs d’espérances, que vous avez répudiée pour aimer et apprendre à aimer, vous le scandez dans votre confession, une Autre. Alors, vous vous emparez de la posture du maître pour nous enseigner le vain couplet des Pleureuses de l’ancien temps, qui ne reviendra pas. Vous vous complaisez à suriner cette complainte du néocolonisé miséreux, s’agenouillant devant la sacro-sainte France et sa langue. Vous nous bassinez ce couplet, maintes fois entendu depuis Senghor pour devenir rébarbatif, de la langue française dispensatrice de liberté. Vous secouez cette fumeuse potion d’une «pluralité» et d’un «métissage» circonstanciés, pour en fin de course vous découvrir français. Car cette «pluralité» et ce «métissage», lourdement invoqués, ne sont que le déni de la nationalité algérienne originelle qu’il vous faut noyer dans le putrescent alambic de certitudes avariées.
La France a fait de vous un «métis», subjugué par sa langue. Vous ne le seriez pas si vous étiez resté en Algérie pour revivifier votre habituel répertoire de théâtre en arabe dialectal et vous n’auriez pas été requis d’apporter de bruyants gages de fidélité et d’assimilation réussie par la langue au pays qui vous a enrôlé dans ses empressées harkas, aussi amorales que le furent celles de la guerre anticoloniale, tirant dans le dos des Innocents.
Mais voilà que vous vous interrogiez, après avoir égrené à longueur de colonnes du Soir d’Algérie vos indigestes palinodies d’Arabe français, sur la destinée des écrivains qui vous ressemblent. Vous vous alarmez de tous ces écrivains d’ailleurs édités en France et squattant ses librairies et ses salons littéraires : «Comment les nommer ? Où les placer ? Comment les classer ?» En ce qui vous concerne, vous ne cultivez pas le doute. Vous vous situez à la suite d’«une génération d’écrivains qui nous ont précédés, celle de Kateb Yacine, Mohammed Dib, Malek Haddad, Mouloud Feraoun». Or, cela est vérifiable : aucun de ces écrivains n’a opté pour la nationalité française après l’indépendance, comme c’est le cas pour vous. Vous avez choisi d’être français, vous ne pouvez plus revendiquer, et c’est valable pour ceux qui ont suivi le même chemin que vous, une appartenance à la littérature algérienne qui n’est ni un bordel en rase campagne ni un miteux hôtel pour demi-soldes de la France littéraire.
Entendons-nous : ne sont dignes de la littérature algérienne et de la nationalité littéraire algérienne que ceux et celles qui portent l’histoire passée, présente et à venir de leur nation, dont vous vous êtes volontairement exclu, par «choix individuel», il convient de le répéter. Français, vous devez vous battre pour vous faire reconnaître dans la littérature française, la littérature de votre pays, car c’est une vérité universelle que la littérature affleure dans le corpus national d’un Etat libre et indépendant, avant d’atteindre l’universalité. Shakespeare, c’est l’Angleterre, Cervantès, l’Espagne, Goethe, l’Allemagne, Voltaire, la France, Dante, l’Italie, Tolstoï, la Russie. Ne prétendez pas incarner la littérature des Algériens ; ils ne vous ont pas sollicité pour être leur interprète auprès de la France dont ils n’ont cure. Vous devez vous convaincre que le «vécu algérien» vous échappe, parce que vous êtes un Français, de Paris ou de Nogent-le-Rotrou, peu importe.
Pourtant, il vous arrive d’être lucide. Pour diverses raisons, vous n’excluez pas la possibilité de n’être qu’un «auteur mineur» et de produire une littérature désemparée, sans lecteurs et sans perspectives, incompris dans votre pays d’adoption. En un quart de siècle de nationalité française, vous n’avez pas changé le visage de la France. En retour, vous avez outrageusement zingué le vôtre à l’horizon de cruelles illusions. Cela est si vrai que la France littéraire vous néglige, nonobstant vos «In» à Avignon. Vous ne serez jamais élu à ses grands prix littéraires ni coopté dans ses académies, ni comme Alain Mabamckou, autre «zingueur de face» à votre façon, invité dans sa plus prestigieuse institution universitaire pour exhaler le sanglot de l’Arabe peinturluré de vernis de civilisation française.
Si la France ne vous attend pas et ne vous a pas attendu, l’Algérie vous a oublié. Votre drame, vous le résumez parfaitement : vous êtes «le fils d’une histoire», assurément française, qui ne vous a rien donné. Il aurait mieux valu pour vous rester celui de vos parents biologiques. Algérien et Français, éveillant en vous la défunte Algérie française, vous vous autorisez l’imparable prophétie. Vous prédisiez, au tournant des années 2000-2010, que l’idée de nation algérienne s’effilochait en raison de ceux qui vous ont imité, trop nombreux à votre gré : «Si l’Algérie continue comme ça, elle deviendra française par choix individuels.» (Cf. Séverine Labat, La France réinventée. Les nouveaux binationaux franco-algériens, Paris, Publisud, 2010, p.173). Aujourd’hui comme hier, le pays ne s’est pas vidé de sa population et les fondations de la nation algérienne restent inébranlables. Dix ans après, l’Algérie n’est pas devenue française ; elle s’est, salutairement, débarrassée de ses dernières légions de soldats perdus, semblables à ceux de l’An VII de la Révolution, jetés dans les décombres fumantes de la trahison et l’ignominie.
Ce qui transparaît, de manière évidente, dans votre monologue de «métis», obstinément théâtreux, cherchant éperdument les ultimes feux de la rampe, c’est l’insurmontable fêlure d’une identité algérienne niée, torturant de ténèbres votre parcours de Français dissimulé. Ni votre philosophe de café du commerce ni votre «psychanalyse pour les nuls» n’endigueront le désarroi d’un quart de siècle de reniement.
A. M.
(*) Professeur de l’enseignement supérieur. Écrivain et critique
Dossier Kamel Daoud - Al Akhbar
Journal Al Akhbar (Liban), édition du samedi 3 mars 2018
Version française
Liste des articles
Lina Kennouche: "La forfaiture du chroniqueur, un préalable à la consécration du romancier "
Ahmed Bensaada: "Sur Kamel Daoud, informateur indigène " (Entretien: Lina Kennouche)
Karim Kia: "De Cologne à Sétif : les approximations dangereuses d’une plume impatiente "
Mohamed Bouhamidi: "Kamel Daoud ou les métamorphoses du même au même"
La forfaiture du chroniqueur, un préalable à la consécration du romancier
Par Lina Kennouche
Dans une tribune le 7 septembre 2017 publié sur Le Point « La fabrication du traître. Les islamistes réinventent le dictionnaire. L'intellectuel soucieux de liberté doit briser ce monopole sur les mots pour se faire entendre », l’écrivain algérien francophone, Kamel Daoud se revendique comme « traitre » dans une acception sartrienne de l’intellectuel « traitre » à sa classe d’origine. Intervenant dans le débat sur la sexualité au Maroc, il écrit qu’ « il ne s’agit pas en effet de la seule question de l’interdit du corps et du désir, mais de tout le statut des intellectuels opposants aux ordres conservateurs politiques ou religieux. Par une sourde ruse de rhétorique maligne, le discours conservateur dans nos pays a réussi le tour de force d’exclure des concepts du champ éditorial quotidien pour les confondre avec l’Autre, c’est à dire l’Occident et donc disqualifier les porteurs de discours critiques et les réformateurs ». C’est au nom de l’exercice de la pensée critique et de l’impérieuse exigence d’autocritique que Kamel Daoud tente de légitimer ses prises de positions incongrues. Se présentant comme un ardent promoteur des valeurs libertaires et humanistes, le chroniqueur se pose en éclaireur de la conscience occidentale dans le contexte de la guerre contre Gaza en juillet 2014.
Dans un frémissement éditorial, il publie le 12 juillet dans le quotidien d’Oran une chronique (« ce pourquoi je ne suis pas solidaire avec la Palestine ») déroutante à plusieurs égards. Daoud y dénonce l’indignation sélective des opinions publiques arabes et épilogue sur les raisons de sa dissidence sur le terrain de « cette solidarité au nom de l’Islam et de la haine du juif ou de l’autre ». « Cette « solidarité » facile fermerait les yeux sur le Hamas et sa nature, sur les divisions palestiniennes, sur leurs incapacités et leurs faiblesses au nom du respect aux « combattants » écrit-il. Comble de l’ignominie, en plein massacre, le doxosophe reprend à son compte le mythe de la démocratie israélienne « Comment peut-on se permettre la vanité de la « solidarité » alors qu’on n’est pas capable de joueur le jeu des démocraties : avoir des élus juifs « chez nous », comme il y a des élus arabes « chez eux » s’interroge-t-il. Celui que l’on qualifie de « transgressif » a été jusqu’à reproduire dans la presse algérienne le discours de la droite israélienne, en s'inscrivant en faux avec les représentations de sa propre société sur une cause centrale des nations arabes qui condense tous les enjeux de la lutte contre le colonialisme et des rapports Nord/Sud.
Inscrit idéologiquement dans la tradition coloniale et islamophobe de l’Occident, cet auteur à la plume supplétive n’a rien de traitre à une classe au sens sartrien, qui définit l’intellectuel révolutionnaire comme celui qui s’émancipe de la classe bourgeoise dont il est issue pour défendre les classes populaires. Kamel Daoud est traitre tout court, il est l’incarnation caricaturale du faux-intellectuel dissident qui rallie les rangs des puissances dominantes : il trahit les sociétés dominées du sud au profit de l’Occident, il trahit les faibles pour servir les plus forts. C’est sur cette forfaiture du chroniqueur érigeant ses vulgaires clichés orientalistes en vérités apodictiques indiscutables que repose la consécration de l’écrivain en quête de reconnaissance.
Cette idée du chroniqueur qui porte le succès l'écrivain a été mise en exergue par l’universitaire algérien Abdellali Merdaci dans ses différentes chroniques. A travers sa littérature creuse de « l’émancipation » (des pesanteurs des sociétés archaïques), l’écrivain ne fait en effet que reproduire, dans une version esthétisante et édulcorée, les préjugés racistes et les lieux communs machés et rebachés à longueur de chroniques. Comme l’a magistralement relevé l’auteur Djawad Rostom Touati dans sa critique de Zabor, les œuvres de KD sont une montée en puissance dans la névrose et la haine de soi, véhiculant un nécolonialisme implacable derrière le rideau littéraire. L’obsédante représentation d’un islam fanatique, l’antagonisme irréductible entre l’Occidental paré de toutes les vertus et l’Arabe affublé de toutes les tares restent une constante dans ses œuvres. Sans le moindre génie inventif dans le cliché, Daoud insuffle son souffle romanesque pour y décrire des peuples arriérés dotés d’instincts primaires, ces mêmes Arabes et musulmans qu’il désigne par une référence collective et dépersonnalisante dans la presse. La production littéraire de l’écrivain n’est que le miroir symptomatique de son « esprit colonisé » expliqué par l’essayiste Ahmed Bensaada, porté par l’« amour du colonisateur» et une «haine de soi » qui le poussent à épouser « automatiquement les idées les plus réactionnaires de l’ex-colonisateur» et se métamorphoser « à l’image du colonisateur dans le but ultime d’être finalement accepté par son modèle». Nostalgie maladive du colonialisme, mystification du rôle de la langue et la culture française, rejet véhément de toute caractérisation à l’arabité et à l’islam, Kamel Daoud, fait figure de l’intellectuel supplétif qui s’exprime à la place du maître à penser et c’est à la faveur de ce rôle d’agent de diffusion à la solde de l’hégémonie culturelle occidentale que s’affirme le succès littéraire de l’écrivain. Comme le rappelle dans sa chronique Mohamed Bouhamidi, l’écriture de Kamel Daoud est « une écriture au service d’une thèse, non d’une quête de la compréhension d’une Algérie qui change, qui bouge, comme dans les œuvres de Mouloud Mammeri ou de Mohamed Dib, d’une Algérie qui cherche ses pères et sa femme magique. Au service d’une thèse, elle est en sus une écriture mercenaire, une écriture à la commande, comme ce Meursault, le premier livre dans l’histoire de la littérature à avoir une version pour indigène et une version pour la métropole ».
Ces 15 dernières années, tandis que le monde arabe était le « théâtre central des opérations militaires » américaines, et que les Etats-Unis et leurs alliés, au nom de la lutte contre le terrorisme, ont normalisé l’islamophobie comme discours de guerre, allant jusqu'à renouer avec les thèses les plus éculées du colonialisme, Kamel Daoud et ses coreligionnaires ont apporté une caution « autochtone » au discours impérial. C’est précisément dans ce contexte d’interventions étrangères, de déstabilisation des Etats et de déstructuration des sociétés que les pseudo-intellectuel imputent l’origine des blocages économiques et politiques à des facteurs exclusivement internes. Enfourchant dans un mouvement de moutonnie la cause de l’universalisme occidental, Daoud n’a cessé de distiller sa haine du monde arabe et musulman, de dénoncer le pourrissement des consciences dans ces contrées malades en servant ad nauseam les présupposés justificateurs de l’incompatibilité fondamentale de « sa » culture avec les valeurs de la modernité politique. Sans le moindre examen critique de la pratique occidentale en matière de liberté et de droits de l’homme dans la gestion des affaires du monde arabe, Daoud a exprimé sa dévotion à la « suprématie » culturelle occidentale. Sa vision essentialiste considère que les structures anthropologiques dans le monde arabe sont à l’origine de l’échec de la modernité politique. L’écrivain est l’antithèse de l’ « intellectuel soucieux de liberté », producteur de sens et de savoir, qui se doit de comprendre et d'expliquer sa société, ce par quoi elle est travaillée et ce à quoi elle aspire. Avide de reconnaissance, il est au contraire l’anti-intellectuel par excellence, dans l’acception qu’Antonio Gramsci ou Jean Paul Sartre donnait à l’intellectuel.
Ahmed Bensaada:
Sur Kamel Daoud, "informateur indigène"
Interview de Lina Kennouche
Ahmed Bensaada est l'auteur de l’essai : « Kamel Daoud : Cologne, contre-enquête » (Alger, éditions Frantz Fanon, juin 2016 ; préface de Jacques-Marie Bourget)
1/En reprenant la grille de lecture d’Albert Memmi vous décrivez Kamel Daoud comme un écrivain « néocolonisé » qui remplit une fonction « d’informateur indigène » apportant une caution « ethnique » aux idéologues de la théorie du choc des civilisations. Quelles sont les caractéristiques de l’esprit néocolonisé ?
Dans sa précise description du colonisé, Albert Memmi a mis l’accent sur sa déshumanisation, la mystification de ses supposées tares, sa catalepsie sociale et historique, son amnésie culturelle et son éviction de l’Histoire. Le colonisé cultive la haine de soi et la honte de ses racines. Il porte aux nues le colonisateur et œuvre inlassablement pour lui ressembler. À ce sujet, Memmi note que « l'ambition première du colonisé sera d'égaler ce modèle prestigieux, de lui ressembler jusqu'à disparaître en lui ». Ou encore : « L'amour du colonisateur est sous-tendu d'un complexe de sentiments qui vont de la honte à la haine de soi. »
Le colonisé a également un rapport maladif avec sa langue maternelle. Il la méprise et glorifie celle du colonisateur.
Selon Memmi, le colonisé est hors du temps et de l’histoire : « Plus rien ne s’est passé dans la vie de ce peuple. Rien de particulier à son existence propre, qui mérite d'être retenu par la conscience collective, et fêté. Rien qu'un grand vide ». De ce fait, il a honte de ses référents culturels qu’il va systématiquement renier et rejeter. Finalement, il va mimétiser le colonisateur afin d’avoir la satisfaction ultime : être accepté par son modèle.
2/Vous considérez que l’écrivain a atteint le stade ultime du processus de mimétisation qui l’amène à reproduire fidèlement le discours et l’attitude du colonisateur. Comment s'est traduite cette évolution à travers ses écrits ?
Kamel Daoud s’est fait connaitre par ses chroniques dans le Quotidien d’Oran. Sa grande popularité vient du fait qu’il critiquait ouvertement le gouvernement et les travers de la société algérienne.
Cependant, ses écrits ont progressivement glissé de la critique constructive à l’injure de sa communauté, de l’impertinence intellectuelle à la vulgarité de l’insulte.
Après sa nostalgie de la colonisation avec une déclaration du style « la terre appartient à ceux qui la respectent. Si nous, les Algériens, en sommes incapables alors autant la rendre aux colons », son aversion envers la langue arabe qu’il considère morte ou «langue de colonisation », le paroxysme est atteint avec l’affaire des viols de Cologne. Sans même attendre les résultats de l’enquête (qui ont révélé que cette affaire était un pur canular), notre chroniqueur a traité les réfugiés arabes de « violeurs en puissance ». Et d’asséner sa vérité, celle destinée aux lecteurs du monde des lumières, du monde civilisé : « Le grand public en Occident découvre, dans la peur et l’agitation, que dans le monde musulman le sexe est malade et que cette maladie est en train de gagner ses propres terres ».
Avec les résultats de l’enquête à Cologne et le raz-de-marais médiatique provoqué dans le monde occidental (si idéalisé par le chroniqueur) par l’affaire Harvey Weinstein, Kamel Daoud se retrouve le bec dans l’eau et, conséquemment, exhibe sa nudité intellectuelle.
3/Vous citez le propos de Kamel Daoud expliquant son rapport à la langue arabe. A l’exact opposé de Kateb Yacine qui considérait le français comme un « butin de guerre », Daoud lui entretient un rapport pacifié à une langue qu’il considère comme un « bien vacant » et un rapport conflictuel avec la langue arabe perçue comme langue de colonisation. Quelle est la signification profonde de ce rejet linguistique ?
Kamel Daoud cherche toujours à faire du neuf avec du vieux, surtout si le vieux est majestueux. Par ici, il picore du Camus, par là il grappille du Defoe et, entre deux becquetées, il grignote du Kateb Yacine.
Concernant la langue française, les deux expressions se réfèrent à la guerre d’indépendance algérienne. Mais une nuance de taille les sépare : la première considère que l’usage de la langue française a été gagné par une victoire militaire, alors que la seconde juge que cette langue a été abandonnée en Algérie par les colons après la révolution. Kateb Yacine a gagné cette langue par les armes alors que Kamel Daoud se l’est appropriée « ni par la violence ni par la guerre ». Pour le premier, il s’agit d’une langue de libération du joug colonial alors que pour le second, le français est la langue de la liberté intellectuelle, abandonnée par les colons en Algérie. Pour confirmer sa vision nostalgique de la période coloniale, il affirme qu’il a « un rapport pacifié au français ».
Pour Daoud, la langue arabe est par contre une langue morte « piégée par le sacré, par les idéologies dominantes », une langue « fétichisée, politisée et idéologisée ». Il admet que la langue arabe est une langue de colonisation allant même jusqu’à écrire qu’il s’agit « d’une colonisation réussie ». Et la langue française est-elle une langue de colonisation ? Bien sûr que non ! Oubliés les 132 ans de colonisation, de déculturation et d’acculturation méthodiques. Comme l’a si bien dit Hassan Gherab : « Là où la France passait, la culture trépassait ».
Pour Daoud, la langue du colonisateur est la langue du progrès, du développement, de la prospérité et de la lumière.
Ce rapport maladif à la langue arabe dont semble souffrir Kamel Daoud est très bien décrit par Albert Memmi qui a su, il y a de cela plusieurs décennies, si bien le cerner : « Dans le conflit linguistique qui habite le colonisé, sa langue maternelle est l'humiliée, l'écrasée. Et ce mépris, objectivement fondé, il finit par le faire sien. De lui-même, il se met à écarter cette langue infirme, à la cacher aux yeux des étrangers, à ne paraître à l'aise que dans la langue du colonisateur. »
4/ Vous expliquez que le « refus de solidarité » de Daoud avec la Palestine n’est pas lié à des convictions intellectuelles ou la moraline qui rejette la centralité de la cause palestinienne au nom d’autres combats. Comment analysez-vous, en ce cas, une position aussi controversée ?
Le rejet des référents culturels et idéologiques de sa communauté est bien illustré par cet exemple. Dans le monde, le peuple algérien est probablement celui qui a le plus d’amour et de respect pour le peuple palestinien. Sa cause est considérée comme une cause nationale algérienne et sa souffrance est vécue dans la chair de chaque Algérien.
Et voilà que notre chroniqueur écrit « qu’il n’est pas solidaire avec la Palestine » alors que les bombes pleuvent sur Gaza en 2014 et que des milliers d’enfants et d’adultes sont massacrés par l’État hébreux. Un carnage qui a même été dénoncé par des militants progressistes de confession juive !
Pire, il va jusqu’à encenser la démocratie israélienne (sic !) : « Comment peut-on se permettre la vanité de la « solidarité » alors qu’on n’est pas capable de jouer le jeu des démocraties : avoir des élus juifs "chez nous", comme il y a des élus arabes "chez eux" ».
Mais ce rejet n’est pas seulement idéologique, il est aussi intéressé. En effet, ces différents messages s’adressent particulièrement au lobby sioniste français, sans lequel il est difficile de prétendre à une brillante carrière dans l’Hexagone et dans cet Occident « daoudien » si lumineux.
D’un autre côté, chaque fois que l’auteur oranais est pris dans une tourmente médiatique, les premiers à monter au créneau pour le défendre sont des membres ou des affidés de ce lobby.
5/Dans le chapitre sur les « fatwas », vous rappelez le parallèle que dresse Mohammed Yefsah et Djamel Zerrouk entre Daoud et le Salafiste Hamadache, quel est le dénominateur commun entre les deux ?
D’après Mohammed Yefsah, « Hamadache et Daoud ont un point en commun : des haines et des frustrations, la matrice idéologique de la droite fascisante, mais chacun a sa sémantique. Ils sont des professionnels de la lapidation avec des mots ». Djamel Zerrouk, quant à lui, renvoie dos à dos les deux protagonistes de l’affaire en citant un internaute qui pense que « l’un voudrait être auréolé du titre d’un Salman Rushdie algérien et l’autre de chef d’une antenne algérienne de Daech ».
Certes, je suis contre toute espèce de fatwa provenant d’illuminés qui ont pris la religion en otage, mais il ne faut pas passer sous silence les « fatwas journalistiques » dont le chroniqueur est devenu un expert et qui lui ont valu la célébrité. Ces fatwas avec lesquelles il dégrade ses concitoyens et les rabaisse au niveau de bêtes ou de « tubes digestifs ». Ces fatwas avec lesquelles il discrédite leur foi et leur culture, et leur colle tous les maux de la Terre jusqu’à les traiter de violeurs par essence ou de se demander « En quoi les musulmans sont-ils utiles à l’humanité ? ».
Les deux sont donc des experts de la « fatwa », chacun dans son domaine. D’autant plus que Daoud en connait un rayon sur le sujet. N’a-t-il pas été, entre 1983 et 1990, imam islamiste de son lycée ? Ce qui fait dire au professeur Abdellali Merdaci : « l’écrivain-chroniqueur et l’imam constituent dans leur singulier face-à-face l’envers et l’avers d’une même histoire tragique ».
6/Dans le camp des défenseurs de Kamel Daoud, vous recensez notamment Manuel Valls, Elisabeth Lévy, Michel Onfray, Alain Finkielkraut, BHL qui ont tous en commun leur engagement sioniste et un puissant attachement à l’Etat d’Israël. En quoi Kamel Daoud intéresse-t-il ce milieu ?
En effet, toutes ces personnes font partie de la « ligue de défense » de Kamel Daoud. Ils se dressent comme une seule personne lorsque leur « protégé » est malmené à cause de ses écrits désobligeants envers sa communauté ou lorsqu’une fatwa est lancée contre lui.
Alain Gresh utilise une terminologie particulière qui explique pourquoi certains auteurs orientaux - comme Kamel Daoud - intéressent cette « ligue » occidentale.
Pour lui, il s’agit d’un « informateur indigène », « quelqu’un qui, simplement parce qu’il est noir ou musulman, est perçu comme un expert sur les Noirs ou sur les musulmans». Selon cette définition, Kamel Daoud est un « musulman qu’on aime bien en Occident ». Il s’agit d’un « "bon musulman", celui qui dit ce que nous avons envie d’entendre, et qui peut même aller plus loin encore dans la critique, car il ne saurait être soupçonné, lui qui est musulman, d’islamophobie ».
Pour Thomas Serres, Kamel Daoud sert d’« alibi ethnique qui vient à l’appui des discours culturalistes, racistes ou islamophobes ».
En écologie, une telle relation entre deux espèces est baptisée « mutualisme ». Il s’agit d’une interaction dans laquelle les organismes impliqués tirent tous les deux un bénéfice de leur association. Transposée aux humains, cette relation n’est viable que si le bénéfice du plus puissant est garanti par le labeur du plus faible. En cas de défaillance, l’association est tout naturellement rompue. Mais le processus ne s’arrête pas pour le plus puissant : il recommence, mais avec un nouvel « alibi ethnique », un autre « informateur indigène ».
7/Vous terminez votre livre sur un message poignant de vérité en écrivant « Je pense que ni Kamel Daoud, ni moi ne serions en train de débattre de la sorte si l’Algérie n’avait pas payé un lourd tribut afin de mettre fin au joug colonial français et accéder à son indépendance ! Dans le meilleur des cas, nous serions, lui à Mesra (village près de Mostaganem) et moi à Fillaoucène (village proche de Tlemcen), en train de garder les cochons et les truies du colon du coin, plongés dans une misère affreuse et une ignorance multigénérationnelle, sauf peut-être l’aptitude à reconnaître les gorets des verrats ». Cette négation du passé colonial et d’une partie de l’identité de l’écrivain est-elle le passage obligé de toute stratégie de reconnaissance par l’Occident ?
En effet, ceux que je désigne sous le vocable d’écrivains « néocolonisés » font tout pour se départir du passé colonial et, de ce fait, d’une partie de leur identité comme expliqué précédemment.
Par exemple, entre les deux voyages du président Macron en Algérie (février et décembre 2017), Kamel Daoud a fait plusieurs déclarations dans ce sens : « l’exploitation de la colonisation de l'Algérie doit cesser », « l'exploitation du fonds de commerce de la guerre d'Algérie doit cesser » ou « le postcolonial m'étouffe ».
Le jour de la deuxième visite du président français, Boualem Sansal a déclaré à un journal français : « L'Algérie, c'est la France, et la France, c'est l'Algérie ! ».
Effacées les 132 années de colonisation, d’exactions, de crimes, de tortures, de viols, d’expropriations et de misère ! Demander une repentance de la France ? Quelle hérésie ! Exiger que la colonisation française soit officiellement déclarée « crime contre l’humanité » ? Quelle ignominie !
Et qu’a dit le président Macron en décembre dernier à Alger ? « Il faut tourner la page ».
Et pourquoi aurait-il dit autre chose puisque les « alibis ethniques », les « informateurs indigènes » ont préparé le terrain du tourne-page ?
« Zabor ou les psaumes » : de « la préface du nègre(1) » à sa « lactification hallucinatoire(2) »
Par Djawad Rostom Touati
Le dernier roman de Kamel Daoud, pour lequel le chroniqueur aurait «renoncé au journalisme», afin de s’y consacrer, aura été la montagne de mots qui recouvre la souris. On eût pu s’attendre à quelque changement de registre, à quelque idée neuve, ou seulement à une nouvelle approche, un angle plus nuancé pour ânonner ses mantras habituels. La volonté y est palpable, mais le résultat peu probant.
Pour servir la thèse centrale de son livre, et qu’il avait rabâchée maintes fois dans ses chroniques, Daoud pousse jusqu’à l’extrême son postulat, accusant l'excès afin de faire passer le point de controverse comme norme : s'il y a lutte autour de l'imposition (ou plutôt du maintien, depuis l'époque coloniale) de la langue française comme langue du pain et du savoir, Daoud surenchérit en faisant de celle-ci la langue de la démiurgie. A la croyance en la langue arabe comme langue de l'au-delà (du paradis) et de l'en-deçà (des tablettes préexistantes au monde), Daoud oppose un contre-mythe : la langue française créatrice de vie, ancrée dans le réel, dimension qui lui manquait pour parachever son hégémonie : «J’écrivais dans une langue étrangère qui guérissait les agonisants et qui préservait le prestige des anciens colons. Les médecins l’utilisaient pour leurs ordonnances, mais aussi les hommes du pouvoir, les nouveaux maîtres du pays et les films immortels. Pouvait-elle être sacrée comme si elle descendait du ciel ?»
On voit d’emblée toute l'importance de l'informateur local dans cette «littérature» mercenaire : il fallait rien de moins qu’un individu versé dans l'orthodoxie religieuse, et l’ayant longuement pratiquée, pour accomplir ce travail de «renversement», là où, dans «L'Arabe et le vaste pays de O(3)», ce travail se confinait à la profanation, au persiflage et à la caricature. Cette tartine étant passé relativement inaperçue, Daoud reprend son travail de sape des croyances musulmanes, mais en les retournant, osant cette surenchère grâce à l'auréole du succès de «Meursault : contre-enquête». Bien que Daoud, dans «La préface du nègre», eût cassé de l'indigène avec le zèle névrotique de celui qui veut dépouiller un moi qui lui brûle désormais la peau, telle une tunique de Nessus, son recueil de nouvelles, rebaptisé «Minotaure 504» outre-mer, et auréolé d'un vague prix littéraire, n'avait pas eu le retentissement de Meursault. Ce dernier aurait sans doute connu le même fiasco sans la chronique, en plein bombardement de gaza, qui l'a lancé : c'est toujours, comme l'a si bien souligné le professeur Abdellali Merdaci, dans les marges de leurs «œuvres» que les mercenaires rédigent les réclames tonitruantes de leurs navets.
Nous voilà donc avec un démiurge qui est l’unique esprit éclairé dans un village perdu : on retrouve le fantasme de «Djibril au kérosène», moins la rancune du génie ignoré des siens. Dans «Zabor», le génie n'est pas ignoré mais «incompris» et un peu craint, perçu comme une curiosité. Il est le point de mire des villageois, mais reste une incongruité : on voit tout le chemin parcouru depuis «Djibril au kérosène». Là où il pleurait sur l'absence des projecteurs, dans «Zabor», le personnage se pose comme élément allogène parmi les siens, car trop en avance sur eux : «Dans une ou deux générations, on allait sûrement saisir le sens de ma trahison et me pourchasser. Ou m’aduler.» Et ce grâce au miracle de la lecture et de l'écriture, qu'il est le seul à pratiquer : on retrouve le mantra des indigènes imperméables à la culture et aux livres.
Pourquoi ce parallèle ? C’est que, comme dans «L’Arabe et le vaste pays de O» (qui avait donné son titre au recueil récipiendaire du prix Mohamed Dib, avant que Barzakh n’optât pour «la préface du nègre» comme titre de publication), Daoud, obsédé par l’image de l’Occidental se rendant maître de la nature, là où l’Arabe ne saurait que la saccager et en faire un désert, avait développé cette thèse en faisant parler un Vendredi arabe. Prétexte pour railler l’islam (y mêlant la caricature de textes authentiques et d’autres apocryphes), et essentialiser «l’Arabe», en accumulant un tombereau d’images d’Epinal sur fond de désert, de babouches et de tapis de prière. Considérant qu’il a accédé à une essence supérieure après l’immolation de l’indigène qui demeurait en lui, dans «Zabor», il s’agit de prendre de la hauteur : «Car, à certaines heures inspirées, je m’imaginais sous la forme du perroquet Poll, auteur d’un somptueux vacarme sous les tropiques, oiseau au destin exceptionnel et civilisateur dans une île inconnue. J’avais pêché ce nom dans un livre écrit au XVIIIe siècle qui raconte un naufrage, la rencontre avec un présumé cannibale et l’histoire de la solitude.» Livre dont il dira d’ailleurs : «J’ai aimé cette histoire il y a longtemps et, depuis, il a pris pour moi la valeur d’un livre sacré.» Cela se comprend aux exégèses bouffonnes qu’il tente d’en faire. A certain passage, Zabor y va franchement : «Moi, Robinson arabe d’une île sans langue, maître du perroquet et des mots.» Encore une consécration et ce sera carrément dans la peau d’un Robinson tout à fait «lactifié» que Daoud nous dispensera ses pompeuses leçons… A moins que la nécessité de conserver une couleur «locale» ne le confine à des limites territoriales purement formelles.
Mais je m’égare, comme il arrive souvent à Zabor le long du livre, de son propre aveu. Voici donc l’histoire d’un démiurge sans qui les siens n’auraient point d’existence : «Si j’oubliais une personne, elle mourait le lendemain. Aussi simple.» Le mythe de Prométhée récrit à l’intérieur des représentations islamiques : si Prométhée vole le feu aux dieux pour le donner aux hommes, Zabor transforme ses cahiers en tablettes préservées pour y écrire la vie de ses congénères. D’emblée, la citation des premiers versets de la sourate du calame aiguillonnent vers cette voie. Zabor professe un peu plus loin : «L’écriture est la première rébellion, le vrai feu volé et voilé dans l’encre pour empêcher qu’on se brûle.» Et c’est lui, le Prométhée de village, qui rend ce fier service aux incultes et analphabètes qui l’entourent : «De tous les miens, je suis le seul à avoir entrevu la possibilité du salut en écrivant. Le seul à avoir trouvé le moyen de supporter l’absolue futilité des lieux et de l’histoire locale, le seul restaurateur possible, le commissaire de notre exposition sous les yeux de Dieu ou du soleil. Tous mes cousins, cousines, parents et voisins tournent en rond sans le savoir, s’abîment en prenant de l’âge et finissent par se marier jeunes et par se goinfrer jusqu’à la maladie. La seule consolation à leur sort est la somnolence, ou le paradis après la mort qu’ils peuplent de leurs rêves en répétant les versets qui le décrivent verdoyant et licencieux. Je suis le seul à avoir découvert une brèche dans le mur de nos croyances. J’en suis fier, il faut le dire, vigilant quant à la vanité qui me menace, confiant face aux vents.» On se demande ce que cela eût été sans cette vigilance.
Le rapport de Zabor aux siens, de la « compassion » (sic), progresse assez rapidement vers la condescendance, puis le franc mépris : comme s’il prenait de l’assurance, ou comme si, la bride sur le cou, il ne pouvait plus retenir ce mépris latent de surgir à la surface, Zabor y va de ses sentences sur la fratrie jalouse et cupide, le père borné et avide, la tribu consanguine et inculte, le village anachronique et perdu, etc. Les clichés favoris d’Amine Zaoui servent de décor à la rage narcissique de Daoud. Le fin du fin… Zabor prétend donner une substance éthérée à ce mépris, par une posture de hauteur ataraxique vis-à-vis des siens, et qui rappelle la distance – voire l’indifférence – du personnage de «Meursault contre-enquête» vis-à-vis de l’indépendance : «À cause des milliers d’histoires qui tournent dans ma tête, j’ai pris mes distances avec les grandes émotions. Je vis comme décentré, à l’extérieur du village, dans son cœur noir.» Cette distance ne l’empêche pourtant pas de jubiler quand «ceux-là mêmes qui se moquaient de mes talents dans les cafés ou à la sortie de la mosquée finissaient un jour ou l’autre par me solliciter, tête basse. La mort rend bête et soumis, je le sais de métier, et avant de venir me trouver, mes détracteurs se rendaient à la peur comme du bétail. Pourquoi moi, et pas les récitateurs du Livre sacré ou l’imam ? Peut-être parce que je possédais le bon alphabet, neuf et ravivé par mon dictionnaire sauvage ? […] Je comprenais que ces gens-là puissent hésiter longtemps avant de venir frapper à la porte de notre maison du bas, alors que les récitateurs étaient nombreux et que la médecine était gratuite dans notre pays.»
La biographie de Zabor se déroule au fil des pages, en une longue et indigeste parodie des récits coraniques, qu’il prétend faire «descendre» à la trivialité de la vie terrestre, pour y magnifier son existence : avatar abâtardi du double mouvement de Hegel ? Son père s’appelle Brahim, boucher ayant embrassé cette vocation «sur un rêve de Dieu». Zabor a douze frères qui le haïssent et le jalousent à cause de son «don pour interpréter les rêves dans les livres». Il est abandonné par son père avec sa tante Hadjer. Son frère aîné l’avait précipité dans un puits quand ils étaient gosses, etc. Il serait fastidieux de relever tous les détournements (qui n’ont rien à voir avec le concept développé par les situationnistes) qu’opère Daoud avec un rare mauvais goût, tant on y décèle l’âcre ressentiment de l’informateur local envers la foi de ses origines. Et le récit n’en finit pas, remontant à l’enfance du narrateur, depuis laquelle sa singularité s’affirmait déjà : plus intelligent que les autres gosses, l’esprit plus vif, ceux-ci le jalousent d’être le fils d’un riche boucher. Sujet à des crises de panique, on fait quitter à Zabor l’école publique avant de le faire entrer à la médersa pour y étudier le Coran. Alors qu’il est près d’apprendre la totalité du Livre sacré, il en a un jour par-dessus la tête, et quitte l’école coranique. Un beau jour il découvre une mallette remplie de livres en français, et ce sera «une trouée d’air(4)» dans l’asphyxiant climat de son village perdu. Apprenant tout seul comme un grand à déchiffrer ces livres, ce sera le coup de foudre pour cette langue sur laquelle il fait pleuvoir les épithètes les plus flatteuses.
Le long du récit, de manière disparate, Daoud tente une réflexion sur le rapport du signifié au signifiant, mais à peine entame-t-il sa glose qu’il se débine en remâchant tel souvenir ou en se rabattant sur telle description. Tâchant de bâtir sa réflexion sur un concept mal maîtrisé, le récit s’étire, comme pour diluer – ou faire oublier – la redondance de ces tentatives avortées de donner à cette vulgaire catharsis une dimension conceptuelle. D’autant que cette «réflexion» ne sert en définitive qu’à rabâcher ce qu’il a maintes fois énoncé : la langue arabe est impropre à décrire le présent, le vécu, elle n’est bonne qu’aux textes et discours religieux, et à ressasser une histoire magnifiée et «idéologisée, politisée». Au rebours de la langue française, «langue de la mort pour ceux qui se souvenaient de la colonisation, mais pas morte». D’où la mission de Zabor, qui aime à se prendre pour le perroquet de Robinson: «Peut-être que le village où je vivais n’était qu’une île renfermée et sourde que j’étais chargé de libérer par de longs récits et l’apprentissage d’une langue plus vaste, plus vigoureuse, plus proche de celle du naufragé que de ses perroquets qui tournaient en rond, obligés d’inventer une grammaire, des religions, des livres, des plats et des fruits, des prénoms et des passions avec seulement cinq mots et un prénom mystérieux et déserté? […] J’étais l’oiseau qui perpétue une phrase, la reproduit jusqu’à l’avènement du langage riche.» Ladite phrase, on l’aura compris, est : «Pauvre Robinson, où es-tu?»
Incroyable aveu, parmi d’autres encore. «Par exemple, j’éprouvais de la compassion pour autrui tant que ce dernier était une abstraction, une absence inscrite dans le souvenir. Mais, confronté au corps et à la douleur d’une personne présente, je refroidissais dans l’indifférence, m’éloignais dans l’exercice de l’écriture.» Cela explique sans doute les rêves de puissance et de souveraineté que prétend nourrir Daoud, sans doute in abstracto là aussi, pour l’Algérie.
Ou bien, sur son incapacité à sortir du pastiche : «J’ai en effet toujours l’impression secrète que je vole le texte de quelqu’un d’autre et cela me rassure, car la paternité et la prise de parole m’angoissent terriblement.»
On retrouve aussi, le long de ces pages, le grand fantasme du sauveur : d’abord celui du village, qu’il s’agit de «sauver de sa futilité». Mais surtout des femmes recluses aux «corps encerclés», confisqués : Zabor s’entiche d’une femme répudiée et enfermée depuis sa répudiation, «décapitée» ; et il est le seul rayon de soleil dans l’existence de sa tante vieille fille.
Pastiche de Defoe, pastiche de Camus, pastiche du Coran : à ce jour, nonobstant le nauséabond «O pharaon», et peut-être «La fable du nain», que je n’ai pas encore lu, l’œuvre de Daoud, chroniques comprises, n’est que pastiches. Ce qui eût pu être intéressant si l’intention parodique ne s’inscrivait pas dans un opportunisme vis-à-vis d’un agenda néocolonial auquel ses nervis ont de plus en plus de mal à faire diversion, ne trouvant comme réfutation que le persiflage éculé sur l’argument de «la main étrangère».
Car, bien sûr, impossible pour Daoud de parler d’un village algérien sans évoquer sa décadence par rapport à sa splendeur supposée durant l’époque coloniale. Comme son idole, incapable de voir «l’Arabe» réifié, la révolution de son sort après l’indépendance lui échappe totalement. Seul lui importe le contraste entre les maisons prises aux colons et celles construites par les indigènes, inachevées et faisant tâche dans le décor. Toutefois, les références au temps bénit de la colonisation, «avant que le pays ne soit libre et inutile» (La préface du nègre), en comparaison avec la supposée déliquescence de l’indépendance, sont plus subtiles que dans ses précédents ouvrages : «A l’époque, il y avait la misère, mais pas l’injustice.» (Meursault contre-enquête.) «Comme tous les autres villages, il perdit sa liberté avec l’Indépendance et le départ du Colon, cet homme blanc qui le traitait comme un âne mais le pensait quand même vivant.» (L’Arabe et le vaste pays de O.) Ayant opéré sa mue, ayant enfin été coopté par les milieux germanopratins, Daoud, pacifié, y va moins fort dans ses comparaisons, d’autant que la conjoncture politique des rapports entre l’Algérie et la France lui imposent ce «nouveau cosmétique», pour reprendre l’expression du professeur Mohamed Bouhamidi. Il ne s’agit plus de magnifier le passé colonial, mais d’en faire table rase : la directive de Macron, aujourd’hui parfaitement explicite, va sans doute se traduire de manière plus claire dans les futures tartines de notre «écrivain», témoin sa dernière chronique en date, condensé, chez Daoud, des thèses qu’il dilue ensuite dans le verbiage de ses «romans».
Cependant, pour paraphraser Freud, chassez le refoulé, il reviendra au galop. Ressassant son mantra favori de l’indigène piégé par la lecture d’un Livre unique, «le seul livre qui accompagne l’Arabe de sa naissance jusqu’à sa mort» (l’Arabe et le vaste pays de O), Daoud en détourne les récits et références avec, là aussi, plus de subtilité que dans l’ouvrage cité – ou plutôt : de manière moins grotesque. Il recycle encore une fois l’opposition entre le français, langue «créatrice» et vivante, et l’arabe, langue «piégée par le sacré». L’ironie étant qu’il ne puisse le faire qu’à l’intérieur de ces représentations qu’il prétend ainsi liquider. C’est que, comme dans toute névrose obsessionnelle, il ne peut guère, malgré la forme relativement adoucie, s’empêcher de poursuivre son règlement de comptes avec cette part de lui-même dont il cherche fébrilement à se défaire, dans une compulsion de répétition qui prêterait à rire si elle ne s’accompagnait pas d’une projection de ce moi tant abhorré sur les indigènes, perçus comme un magma informe afin de mieux l’incarner. Faisant en partie sien, pour bien lui régler son sort, le principe que l’homme est un produit social, il s’agit pour Daoud de vilipender sans cesse les indigènes coupables d’avoir superposé, à son essence supérieure, leur obscurantisme et leur arriération, dont il aurait accidentellement et momentanément embrassé les dogmes, en échouant parmi eux par un malheureux hasard: «Et, ahuri volontaire, je distinguais, sur la grosse colline au nord, la coque éventrée de la maison de mon père, échouée là sur les récifs, dernière empreinte de mon naufrage.» Il lui faut donc constamment affirmer cette «accidentalité», en employant sa connaissance de ces dogmes et références à mieux les piétiner, avec ceux qui y adhèrent, depuis les hauteurs de son essence retrouvée.
N’apportant, une fois de plus, rien de nouveau sous le soleil algérien (et s’en justifiant sans doute en affirmant que rien de nouveau ne s’y passe), Daoud continue de ressasser, par le biais d’indigentes figures de style, les reformulations des mêmes thèses dominantes. Toutefois, fait amusant, en marge de ce travail mercenaire prédomine le besoin incoercible de revivre un fantasme sans cesse remis en scène, et qui fait que celui-ci finit par primer le travail de commande. Le chroniqueur ayant fait la courte échelle à l’écrivain, celui-ci se venge en marchant sur la tête du premier, pour hisser plus haut son idée fixe : je ne suis pas des vôtres, mais je reste parmi vous pour vous sauver de vous-mêmes et «de votre futilité», quand bien même vous dédaigneriez mon œuvre salvatrice.
Cela vous rappelle-t-il vaguement quelque chose ?
Références :
(1) Recueil de nouvelles de Kamel Daoud, publié en France sous le titre de «Minotaure 504».
(2) Expression employée par Frantz Fanon dans «Peau noire, masques blancs».
(3) Dernière des quatre nouvelles composant le recueil «La préface du nègre».
(4) «Le Noir, prisonnier dans son île, perdu dans une atmosphère sans le moindre débouché, ressent comme une trouée d'air cet appel de l'Europe.» Frantz Fanon, ibid.
De Cologne à Sétif : les approximations dangereuses d’une plume impatiente
Par Karim Kia
Statue de Ain el Fouara (Sétif, Algérie)
Dans cette Algérie de la fin 2017, les faits divers se suivent et ne se ressemblent pas, surtout à l’approche d’une année 2018 qui s’annonce difficile pour les algériens : loi de finances punitive, situation politique instable et sans issue, consacrant l’illégitimité du système en place. Et avec ce qui nous attend, il faut bien amuser la galerie !
Mais revenons à la chronique de KD écrite dans l’urgence (2) : pourquoi ne pas attendre les résultats de l’enquête ? Pourquoi faire une telle économie de détails, pour un intellectuel censé prendre de la hauteur par rapport au buzz et nous aider à mieux appréhender la complexité des évènements ? Pourquoi ne pas essayer, tout simplement, de savoir ce qui s'est réellement passé à Sétif ? Comble de l’ironie, quelques heures plus tard, les autorités révèlent, dans une déclaration officielle, que l’auteur de l’acte de vandalisme est un ancien militaire mentalement déficient (3).
Extrait de la chronique : « Nous n’aurons ni l’armée pour défendre ce pays contre sa talibanisation, ni la police mobilisée pour frapper sur le vivant algérien, les Kabyles et les démocrates, et qui supplie avec douceur et presque à genoux un destructeur au burin de nos richesses. Que faire pour ce pays et pour le défendre ? Prendre encore une fois les armes ? Se constituer en milices pour défendre cette terre puisque ce Régime ne le fait pas, ne le veut pas ? Ces islamistes ont bien compris : il faut des armes, des réseaux, des lieux de rassemblements, des médias et des vigilances sur tout, au bas de chaque statut, livres, lieux et cultures, déclarations. Nous devons faire de même... »
Ainsi, pour la plume impatiente de KD, peu importe les détails et les faits. Ce ne sera pas là sa première approximation depuis la fameuse « nuit de Cologne » et le scandale suscité par sa chronique dans le NY Times : déjà, en se basant sur de fausses informations, KD avait rendu sa sentence avant les preuves, avant l’enquête, déclarant que les viols et les agressions sexuelles commis pendant la Saint Sylvestre l’avaient été, sans aucun doute possible selon lui, par des réfugiés. Comment le savait-il ? Élémentaire, il était arrivé à la conclusion qu’ils étaient coupables en raison de leur rapport maladif à la femme, parce que musulmans tout simplement, rejoignant ainsi un cliché orientaliste bien installé dans l’inconscient occidental et heureusement, vite dénoncé par un groupe d’universitaire à travers une pétition lancée juste après son article (4 et 5).
Un tel fait divers est l’occasion, pour ceux qui ont l’habitude d’expliquer tous nos problèmes, non pas à l’aune de toutes les dimensions historique, politique et sociale de l’Algérie, ce qui serait précisément faire acte de « pensée », mais prétendent que ces évènements sont intrinsèquement liés à notre « culture » si lointaine de celle des Lumières et de la « modernité occidentale ».
Encore une forme d’essentialisation de l’arabe, du musulman, qui relègue ainsi l’impérialisme occidental au rang de dernière des explications de ce que nous vivons, relativisant tant les faits actuels que la longue histoire d’oppression de l’Autre que nous sommes, au point de réduire ceux qui y font allusion à des adeptes de la « victimisation »; cela pourrait être un sujet de débat, tant que cela est dit et analysé sur des tribunes qui n’auraient pas un background malsain. Le dire sur des tribunes occidentales bien connues par leur islamophobie et leur racisme, prend tout son pesant symbolique, et met en danger toute une population musulmane déjà fragilisée en Europe ; est-ce un hasard d’avoir en France le soutiens de Valls(6), Finkielkraut ou BHL ?
Toute idée prend sa signification depuis l’endroit à partir duquel elle est exprimée, surtout si elle n’est pas mise en perspective ni débattue sérieusement.
Mais cette dernière chronique sent fort, et pas du tout de l'eau de Cologne même pas de mauvaise qualité, chronique basée sur une information approximative et écrite dans l'urgence, toujours l'urgence d'étaler son humeur de révolté en colère. Traitant tous ceux qui ne sont pas de son avis de talibans ou de lâches, KD vient de franchir une ligne : celle de la violence. Un appel à la violence à peine « voilé » qui renvoie à une douloureuse page de l’histoire de l’Algérie indépendante, la « littérature de l’urgence » incarnée par Rachid Boudjedra (grand « ami » de KD (7)) et son brûlot « le Fils de la haine ».
On se souvient que Rachid Boudjedra avait donné, dans un élan romantique, un chèque en blanc aux militaires janviéristes suite à l’arrêt du processus électoral en 1992. Ces derniers, réjouis, n’en demandaient pas tant de la part d’intellectuels qui devraient avant tout tenir leur rôle d’analyse, de compréhension de leur société. L’islamisme n’a pas bouffé la société du jour au lendemain, il est né tel un bébé issu d’un viol, a tété le sein de la hogra et du mépris du peuple, du mépris de sa culture et de son identité ; il a appris à marcher à l’ombre de ses grands frères en Egypte, en Arabie Saoudite et en Afghanistan soutenus par les intérêts d’un capitalisme sauvage et de services secrets bien connus, et s’est exprimé dans la violence la plus inouïe face à l’incompréhension de nos élites totalement déconnectées du réel, de la réalité de l’Algérie profonde et de la grande majorité des algériens.
A la fin des années 80 et début des années 90, les intellectuels algériens étaient encore figés à traiter de la chute du mur de Berlin, alors qu’il y avait péril en la demeure. Pour changer du système totalitaire algérien, une partie du peuple, la moins instruite, la moins à l’aise matériellement avaient adopté puérilement (ce qualificatif ne les dédouane en rien) la radicalité la plus évidente qui se présentait à elle, face à des gauches qui avaient perdu la vigueur de leur idées, la fraicheur de leur idéaux, et ne présentaient plus d’alternative viable à leur peuple à qui ils ne savaient plus parler. Aucun crime n’est excusable, absolument aucun. Reste que l’on n’attend pas de nos intellectuels qu’ils se mettent à dos de chars pour ramener la démocratie. L’usage de la force, c’est l’armée et la police. L’intellectuel doit transcender sa société, l’interroger, la comprendre et la faire avancer, non pas cracher dessus ni sur une partie d’elle.
25 ans après, le constat reste le même. A coup d’approximations, de précipitation, de simplification de la réflexion, de délire hystérique, de colère et de faiblesse d’esprit, les échecs d’hier risquent de se reproduire aujourd’hui, une faillite qui risque d’alimenter l’hystérie générale dans la société, et enfoncer le pays dans une spirale violente encore une fois.
En quoi KD est foncièrement différent de ceux qu'il dit combattre ? Pour quelqu’un qui a été islamiste dans une autre vie, j’aurais aimé qu’il mette à disposition son expérience, qu’il apporte de la hauteur et de la complexité dans ses écrits et qu’il analyse le phénomène de l’intérieur, en somme, se mettre au-dessus de la mêlée. Sans vouloir faire dans la psychologie de comptoir, il y a chez lui comme un transfert en attribuant aux autres ce qu’il est lui, in fine : un converti au laïcisme, avec en sus les réflexes extrémistes de l’islamisme. Car il présente en tous les symptômes. L’approximation jusqu'à la désinformation ? On y est. La fatwa laïque ? C'est un peu ce qui est décrété dans ses tribunes à longueur d'année. L'appel à la violence ? C'est chose faite à présent ! Nous sommes très nombreux à nous sentir otage de ce schéma que les intellectuels approximatifs, d’une part, et les radicaux islamistes, d’autre part, nous imposent. Ils sont tellement semblables ! Incapacité à relever la complexité des sujets, pensée simple et unidirectionnelle, faiblesse de l’argumentaire et de l’esprit, et une colère, une très grande colère !
Entre Hamadache (8) et KD je n'ai pas envie de choisir.
Cette vision binaire du monde fragilise et sape tous ceux qui, dans le silence, résistent au rouleau compresseur qui nous broient au quotidien imposé par le système politique algérien en place. Tous ceux qui essaient de jeter des ponts entre des courants de pensées, apaiser les esprits, cohabiter avec leurs différences, travailler, créer, innover, construire, et espérer aller vers une société qui rassemble les algériens. Un tel projet est ardu. Et c’est parce que c’est difficile et complexe, que cela vaut la peine de le faire et de travailler pour une adhésion de tous les algériens. Les discours culturalistes d’exclusion qui font plaisir à l’occident ne rendront la tâche que plus difficile, créeront de la crispation, du rejet et de la tension.
A voir se déployer une telle carrière, un ami m’a dit, à propos de KD : « nous avons perdu un grand chroniqueur, la France a gagné un piètre écrivain. ».
Références :
Kamel Daoud ou les métamorphoses du même au même
Par Mohamed Bouhamidi
L’appel de Kamel Daoud à constituer des milices (1) restera le seul fait politiquement et moralement significatif de l’épisode de la tentative de destruction de la statue de Ain el Fouara à Sétif. L’auteur était un ancien militaire, malade mental. Il fallait un imaginaire foisonnant pour détecter derrière le marteau du fou un complot à la fois immense, multiforme et ramifié et aussitôt en appeler à sauver le pays.
Il a fallu juste quelques heures pour que « La dépêche de Kabylie » et le quotidien « L’Expression » confirment que le forcené est effectivement un malade mental, ancien militaire, sous traitement psychiatrique et totalement irresponsable.
Kamel Daoud a réagi comme si l’événement était un stimulus, un signal à la Pavlov et non comme un fait. Je préfère la formule de notre Baaziz national : «Où tu jettes l’appât, il plonge ». Il a fait, illico, le procès de tout ce qui peut bouger ou murmurer en dehors de son propre camp et il le désigne nommément : « Nous n’aurons ni l’armée pour défendre ce pays contre sa talibanisation, ni la police mobilisée pour frapper sur le vivant algérien, les Kabyles et les démocrates, et qui supplie avec douceur et presque à genoux un destructeur au burin de nos richesses. » Son camp c’est le vivant algérien et seulement les Kabyles et les démocrates. Cela fait beaucoup de monde, en face, à éradiquer de toute urgence à la lecture de leurs qualificatifs dont celui, répugnant, de rats. BHL, l’ami de Kamel Daoud, pourrait disserter sur le sens des bestiaires convoqués pour parler des humains.
Karim Kia s’en étonne dans sa chronique : « De Cologne à Sétif, les approximations dangereuses d’une plume impatiente ». Chronique sagace qui s’interroge plus sur la pertinence de la lecture du fan-club de Kamel Daoud que sur la problématique lucidité du chroniqueur-écrivain.
Pourtant, Cologne aurait dû inciter Kamel Daoud à mesurer ses réactions et attendre le minimum d’enquête et de vérification avant de se lancer dans des condamnations sans recours de cultures, d’ethnies, de sociétés et de l’Islam, pour tout fait dissonant d’avec les bonnes règles du politiquement correct français. La justice allemande a, depuis cette fameuse nuit, infirmé la réalité des viols tels que présentés et innocenté ces migrants maghrébins ou généralement arabes ou musulmans accusés d’être par nature des violeurs.
C’est la deuxième envolée où Daoud en appelle, cette fois-ci pour l’acte d’un malade mental psychiatrisé, à la création de milices, synonymes de guerre civile, de sang, de massacres, de viol, de zones de non droit, de destructions de tous genres, de douleurs indicibles. Le mot milice est surtout synonyme d’effondrement du sur-moi individuel et collectif sous l’injonction d’un idéal supérieur, qui devrait nous élever à hauteur d’indigènes aimables aux yeux de l’Occident. La contradiction n’est que de façade avec l’idéal d’un Etat théocratique qu’il devait nous imposer quand il était chef d’un groupe salafiste. La métamorphose du salafiste en démocrate n’est que celle du même qui voulait détruire notre Etat national au nom des pères de la pureté islamique au même qui veut détruire notre Etat national au nom de la loi des pères occidentaux qu’il se cherche. "
Le Dr. Farid Chaoui a réagi à cet appel si lourd de périls, appelant à la raison de Kamel Daoud en soulignant la conséquence la plus catastrophique de ses injonctions, comme on le fait avec un enfant pas trop conscient de ses actes : « Nous serions donc trois races d’algériens : Les « rats barbus », les « idéologues de la soumission » et « les autres, les bons » qui ne s’entendraient que sur une seule vérité : la guerre, l’extermination totale, la purification ? » (2)
La purification, on en connaît le sens d’Hitler à Daech. C’est bien ce à quoi appelle Daoud et que vous pouvez lire en suivant ce lien (3).
Sur Cologne, il nous avait avertis (4). Dans une émission où on l’interroge sur les réactions à son papier concernant Cologne, il balaye les critiques émises à son essentialisme en confirmant que son texte n’est pas à lire sur le factuel mais comme message. Il signalait que l’Europe dans sa générosité, à offrir des camps et de la soupe, aux migrants de la zone arabe ou musulmane ne ferait pas d’eux des gens fréquentables ou des voisins civilisés. Elle importait sur ses territoires des êtres imprégnés d’une culture de la violence, de l’enfermement des femmes, du viol, de l’absence de contrôle de soi etc. Il planait au-dessus du factuel pour inciter l’Europe à voir plus loin que son nez.
C’est pour cela que Cologne ne pouvait l’instruire sur la façon de réagir à Sétif.
Daoud plane dans les grands scénarios historiques, pas dans la misérable besogne de la vérification des faits et de leurs connexions grâce à ce que nous apprennent les sciences sociales, à savoir que nos faits et nos productions mentales sont malgré toutes leurs apparences de spontanéité reliées à des causes proches ou lointaines.
Le prophète parle au nom de la vérité qu’il porte et non au nom de la réalité.
Aucun argument ressortissant de cet examen du réel ne peut répondre à un fantasme. L’ordre de la réponse c’est le fantasme.
Pourquoi diriez-vous au fan club de Kamel Daoud que les arabes peuvent être chrétiens et pas musulmans, ou musulmans mais druzes croyant à la métempsychose, ou musulmans et alaouites aux mœurs très libres, ou zyadites et rigoristes, ou donc qu’être arabe ne signifie en rien être musulman ?
Pourquoi signaler que des musulmans peuvent être de pays, de cultures, de civilisations et de mœurs complétement dissemblables et que la musulmane de Damas ou Alep a si peu à voir avec celle d’Afghanistan et que même au Pakistan tellement musulman, une dame a été premier ministre ? L’impossibilité du débat avec cette littérature de la bonne vieille agit-prop (agitation-propagande) de Kamel Daoud est que nous sommes face à des représentations qui nous renvoient à un réel non pas social et politique mais celui de ses fantasmes.
A quoi bon rétorquer à son fan-club que contrairement à ce qu’il dit les femmes algériennes ne sont pas enfermées dans un espace clos. Elles forment la majorité des enseignants tous paliers confondus et ce n’est pas rien d’être prof de fac de lettres ou de médecine ; qu’elles forment la majorité du corps médical, la majorité du corps des magistrats ; que si deux voitures passent dans nos villes, la troisième est conduite par une femme. Elles prennent place dans les terrasses de café au centre-ville d’Alger, ailleurs je ne sais pas, et elles entrent dans tous les cafés, fast-foods, restaurants d’Alger et sont accueillies normalement. Ces spectacles de femmes occupant l’espace public et professionnel s’offrent à nous tous les jours.
Force nous est faite de constater que son obsession ne renvoie à aucune réalité indiscutable d’une Algérie vide de ses femmes. Ni même à la réalité concrète des femmes encore soumises à la règle patriarcale du gynécée. Elle reste comme obsession juste le symptôme d’un problème individuel et en rien un indicateur social. Cette idée de bousculer l’image du père, voire de le changer, en tous cas d’en signaler la pesante présence, suggère fortement un recours à Freud mais ce n’est pas l’affaire de ce propos.
Sur la question des migrants et de leur culture supposée unique et misogyne comme sur celle des femmes, Kamel Daoud confirme qu’il ne s‘adresse pas aux européens concernant les motivations économiques et politiques des dirigeants, mais sur l’effet de leurs décisions quant à l’avenir de la civilisation européenne. Il n’est vraiment pas le premier à délivrer ce genre d’alerte à la menace de la barbarie que représentent sûrement les dizaines de milliers de médecins, de cadres, d’enseignants, de techniciens, d’entrepreneurs et de commerçants invisibles qui constituent le gros de notre émigration aujourd’hui. C’est le pain quotidien de Zemmour, Finkielkraut, Houellebecq, Fourest ou le F.N. Boualem Sansal a également alerté sur cette erreur civilisationnelle de l’Europe. Kamel Daoud dit quelque chose de plus : ces migrants viennent avec la loi de leurs pères. Et c’est précisément là le lieu de l’impossibilité de l’intégration, un père doit disparaître pour que la loi devienne unique. Les migrants ne peuvent devenir européens qu’en renonçant aux lois de leurs pères. Les migrants en sont donc réduits à être en besoin de tuteur et d’adoption. La dualité, ici, transparente, est que le migrant ne peut renoncer au père originel qu’en devenant le fils du nouveau père, la personne en accord avec la nouvelle loi. Et il ne s’agit pas des lois générales de l’Etat ou de la logique ou de la pensée, mais de la loi du père, de nos père puisque Kamel Daoud la mesure obsessionnellement à la condition de la femme, enfermée, cachée, prisonnière et à laquelle on ne peut accéder qu’en en passant par l’allégorie freudienne du Totem.
Les discours de Sansal et de Daoud sur l’erreur de la « bonté » européenne ne sont similaires qu’en surface. Alors que Sansal assume tranquillement son passage à l’autre rive, par son voyage en Israël, ainsi que le port de la kippa, Daoud en reste à une agressivité sans retenue vers son semblable haï, l’arabe et le musulman. Il tape comme un sourd sur tout ce qui peut rappeler une origine. Sa critique du soutien « tribal, ethnique ou religieux » aux Palestiniens en est l’expression la plus pathétique et la marque la plus indiscutable du caractère fantasmatique de ses écrits. Les soutiens aux Palestiniens viennent du monde entier, des pays les plus divers, des cultures les plus dissemblables, de l’ensemble des couleurs de peaux humaines, des écrivains, des artistes et des cinéastes les plus affirmés, des universités occidentales les plus prestigieuses. Bref le soutien à la Palestine est le moins religieux, le moins ethnique et le moins politiquement monolithique depuis le boycott de l’apartheid. L’empathie pour les souffrances de ce peuple est devenue le vecteur de la résistance à l’impérialisme, voire du retour de l’idée que les peuples sont semblablement humains par leurs parts diverses de langue, de culture, de croyances. Il s’oppose à la solidarité avec le peuple palestinien pour les raisons qu’il dit abhorrer, parce qu’il est perçu musulman et arabe, pour des raisons ethniques et religieuses. Il lui est tellement insupportable de voir que ses origines sont un fait d’histoire et non un affect coincé ? Il est vrai que se placer dans une histoire nous oblige à voir les connexions de notre vécu avec l’environnement historique lui-même et admettre que nous sommes, comme humains, au moins en partie, un produit de notre histoire. Toute l’adresse aux européens sur leur naïve bonté tomberait à l’eau.
Tout algérien, socialement impliqué, qui aurait la mémoire de la présence coloniale ou celle des années d’après l’indépendance, pourrait nous rappeler que cette haine des origines ne relève pas du seul affect individuel. Cette violence symbolique assénée à notre peuple était aussi celle des castes féodales supplétives du colonialisme français après avoir été supplétives des Ottomans. Double discours de disqualification, d’une part, des tribus turbulentes et anarchiques ou des classes serves à tenir en main, et d’autre part offre de service à l’occupant. « Les arabes ne comprennent que la trique et ne sont pas amendables » que nous avons entendu de nos congénères indique bien que le complexe du colonisé n’est pas seulement une pathologie de l’indigène aliéné mais loge aussi dans les intérêts de castes intéressées à une domination étrangère. Agonir les arabes et les musulmans en général, et les soutiens arabes et musulmans des palestiniens au passage, se prolonge aussi dans un destin social, dans la recherche d’un statut social. Ici, la validation se fait par l’Autre, par le colon, par sa reconnaissance que le candidat supplétif est apte à relayer la parole, la vision et les ambitions de l’Autre. Et pour l’instant, aucun candidat ne le surpasse dans l’art du sophisme.
Le texte remarquable de Djawad Rostom Touati décrypte la démarche fantasmatique du retour du héros qu’espère incarner Kamel Daoud, revanche de celui qui devient, lui, le père, la source des nouvelles lois. L’appel à la formation des milices n’est pas un texte surgi d’un néant psychique. Il est présent depuis très longtemps, dans la violence symbolique dont il nous agonit depuis sa première chronique. Il a toujours écrit non pour comprendre mais pour combattre.
En 2005, paraît son roman qu’il appellera récit pour le rendre plus « vrai » : « Ô Pharaon » (5). Il parle d’une ville de l’ouest algérien, Relizane, qu’il ne nomme pas, lieu des méfaits des patriotes et Groupe de Légitime Défense qui ont mené la lutte anti-terroriste et qu’il désigne sous le vocable de milices. Il en fait les responsables d’un inventaire hallucinant de crimes, de vols, de viols, de concussions, d’assassinats, au milieu d’un assentiment passif de la population, qu’il décrit née de la prostitution diffuse, de mœurs dépravées et perverses. Une engeance qui ne méritait nul salut, pitié ou considération. Toute la haine de ces populations écrasées par l’histoire coloniale dit une haine de classe des castes féodales qui n’ont pas pardonné à ces gueux d’avoir occupé les terres et les biens coloniaux vacants, d’avoir remis en cause la suprématie naturelle des maîtres. C’est le tableau d’une population de bâtards dominée par une organisation criminelle commandée par un homosexuel. Dans la métonymie et le métalangage présents dans ce roman, le terme homosexuel ne renvoie pas à l’orientation sexuelle mais à la vieille perception dégradante de pédéraste, être dominé par la force ou par un vice. Il suggère le vice bien sûr, il ne fallait pas moins que le vice pour gouverner une ville de bâtards. Le lecteur en concevrait même de la sympathie pour les bandes du GIA que l’auteur ne désigne jamais comme terroristes.
Comment peut-on chanter les standards des pères européens et être homophobe à ce niveau d’eaux usées ? Parce que dans ce livre, Kamel Daoud ne s’interdit aucune arme, même pas celle-là. Pour s’attaquer aux patriotes, la fin justifie les moyens, l’éthique est un inutile embarras. Il était chargé de mission.
2005, c’est l’année de plus grande controverse sur la Concorde Civile et sur la réconciliation, et il y avait besoin urgent de produire des textes renvoyant dos à dos patriotes et terroristes.
Ce livre est une charge sans règle contre les patriotes, une véritable écriture milicienne, celle de la guerre idéologique totale contre un courant politique et social qui a sauvé notre pays. Un appel au feu et au meurtre. C’est une écriture au service d’une thèse, non d’une quête de la compréhension d’une Algérie qui change, qui bouge, comme dans les œuvres de Mouloud Mammeri ou de Mohamed Dib, d’une Algérie qui cherche ses pères et sa femme magique.
Au service d’une thèse, elle est en sus une écriture mercenaire, une écriture à la commande, comme ce Meursault, le premier livre dans l’histoire de la littérature à avoir une version pour indigène et une version pour la métropole. (6)
Toute la difficulté de penser l’écriture de Daoud tient dans la difficulté à déchiffrer les fantasmes et leurs liens avec l’inconscient individuel. Ceux de Daoud, scénarios individuels, se logent dans les scénarios des projections du changement des régimes, du changement des lois, et du meurtre de nos pères. C’est cette location qui a fait la notoriété de Daoud pour les services qu’ils pouvaient rendre aux nouvelles ambitions coloniales. Quel intellectuel français, même raciste, peut se permettre de tenir de tels propos sur les musulmans sans en payer le prix lourd de rémanence raciste ?
La France médiatique s’est soulevée contre les treize chercheurs en sciences sociales qui ont alerté que les propos de Daoud sur Cologne sont ceux d’un vieux discours raciste et essentialiste et en rien une nouveauté. Cette France des médias a paniqué qu’il existe encore une prétention à l’exercice public des sciences sociales qui finiraient peut-être par dévoiler leurs propres jeux L’alliance des médias et de Daoud est l’alliance la plus réactionnaire jamais vue en ce 21ème siècle, celle qui devra effacer deux siècles d’avancées en sciences sociales pour rendre impossible l’intelligence des liens entre les productions mentales et les enjeux en cours dans notre réalité sociale. . Les découvertes de Freud, de Marx, de Bourdieu, de Lacan, des ethnologues et d’autres disciplines liées à la sociologie la psychologie ou l’économie doivent mourir pour que se déploient sans risque les narratives de l’impérialisme.
Non, son appel à la création de milices dont il sait si bien quelles sont les métaphores des pires souffrances ne sont pas un accident ou une précipitation mais bien le désir de passage à l’acte de sa constante violence symbolique qu’il nous assène du haut de ses fantasmes puérils qui ont trouvé si bien à se loger dans le complexe du colonisé et dans la haine de soi si vivaces par les carences de nos politiques culturelles d’une part et dans le théâtre d’ombre des ambitions néocoloniales d’autres part.
Références :
1- http://www.chouf-chouf.com/chroniques/kamel-daoud-la-destruction-de-la-statue-de-ain-el-fouara/
2- http://librealgerie.info/2017/12/25/reponse-dun-inquiet-a-un-desespere/
3- L’Expression, http://www.lexpressiondz.com/article/0/0-0-0/282252.html
4- La Dépêche de Kabylie, http://www.depechedekabylie.com/evenement/184146-un-fou-sest-attaque-a-la-statue-dain-el-fouara.html
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ملف كمال داود - الاخبار
جريدة الاخبار(لبنان) يوم السبت 2018/3/3 العدد 3410
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Dossier Kamel Daoud - Al Akhbar
Journal Al Akhbar (Liban), édition du samedi 3 mars 2018
Version française
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فيدال كاسترو في وهران
مقال للأكاديمي الجزائري ، الدكتور أحمد بن سعادة
ترجمة: خ. غوالم الروينة آنفو
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في يوم مشرق جميل من شهر ماي 1972 و سماء زرقاء صافية تزينها سحب ناصعة كأنها أكوام قطن نقشت على هذا الأفق لتعكس بإحكام ربيع الباهية وهـران ، فقط كان ينقص المثلث الأحمر والنجم المنفرد « Estrella Solitaria » ليعكس راية بلد هذا الضيف العزيز ،
الطقس لم يجاري الجماهير في نشوتها وإن كان الضيف جدير بذلك
وهران عاصمة الغرب الجزائري لم يسبق لها استقبال شخصيات بهذا القدر ، وفي هذا اليوم بعد عقد من استقلال الجزائر الضيف كان رمزا إنه فيـدال كاسترو شخصيا.
« Líder Máximo» الزعيم الكبير ، رفيق الشي ، « barbudo » صاحب اللحية الشهير ، متمرد جبال سييرا مايسترا ، بطل خليج الخنازير ، « El Comandante » القائد ، كان هذا اليومبوهـران.
بسنواتي الأربعة عشر، أصبت برهبة ، وبدون عناء استطعت التسلل بين هذا الجمع الغفير المتكون من عشرات الألاف من الناس الذين تجمعوا في هذه الساحة التي احتضنت هذا الحدث التاريحي
فيدال كاسترو وبومدين في شوارع وهران
الشخص الذي تحدى أكبر قوة في العالم انطلاقا من جزيرته الصغيرة الواقعة ببحر الكاريبي وتبعد عن الشواطئ الأمريكية بكيلومترات معدودة، هذا الشخص كان هنا أمامي وبقول عاطفي مجرد من التمثيل بدأ خطابه:
« Querido compañero Houari Boumediene ;
Queridos camaradas dirigentes del FLN y del Gobierno Argelino ;
Queridos amigos de Orán » [1]
الرفيق العزيز هـواري بومدين ، أعزائي الرفاق في جبهة التحرير وفي الحكومة الجزائرية ، أصدقائي الأعـزاء في وهران
استهل القائد خطابه بالاسبانية فنقلتها مكبرات الصوت فكان لها وقع خاص في هذه الساحة الكبيرة . وكبف لا وأنت لو رفعت رأسك لتنظر ناحية الغرب فسترى الحصن المشهور سانتا كروز يـُطل على المدينة ومرتفعا بفخامة على قمة سلسلة المرجاجو
هذا الصرح الشامخ الذي تم تشييده ما بين 1577 و 1604 يعتبر من الشواهد الأساسية للاحتلال الاسباني للمدينة خلال 3 قرون تقريبا 1509- 1792 .
وهران أكثر مدن الجزائر التي احتفظت بالطابع الاسباني ولا تزال في لهجتها بصمات في الأطباق والكلمات التي تشهد على هذا الوجود الذي لم ينتهي فعليا الا باستقلال الجزائر سنة 1962
وأنا الذي كبرت في الحي القديم Scalera
(escalera أي السلم بالاسبانية ) أعرف ذلك.
في وهران التين الشوكي يدعى « chumbo »، ماء جافيل « lejía », الخزانة « armario » و
« la paëlla » و « calentita » هي أطباق وهرانية بامتياز .
من مصادفات التاريخ أن اسبانيا احتلت وهران وكــوبا تقريبا في نفس الفترة ، وبالفعل فان الفاتح دييغو فالاكاز Diego Velázquez de Cuéllar احتل كوبا في 1511 وبـنى هافانا في 1554 ، مصادفة أخرى ، فان الشعبين الكوبي والجزائري انتزعا حريتهما في نفس الفترة مع فارق سنوات قليلة ، كـوبا 1959 ، الجزائر 1962
ثم يواصل القائد خطابه في أحسن ما يكون :
نحن معكم اليوم لسبب بسيط ، لأنه في الجزائر حدثت ثورة وفي كـوبا حدثت ثورة […]. […] ، كل اشتباك ، كل معركة ، كل عمل من نضال الشعب الجزائري تابعه شعبنا يوميا، النضال البطولي ضد جيش الاحتلال الفرنسي ، عزيمة الشعب الجزائري و وطنيته ولدت حماس وتعاطف قويين في بلدنا.
لم يكن فيدال يبالغ بخصوص مساندة الشعب الكوبي للثورة الجزائرية ونضاله البطولي ضد الاستعمار الفرنسي ، فما بين سنتي 1956 و 1957 أكثر من 20 مقال عن ثورة التحرير الجزائرية نشرتهم Bohemia ، صحيفة المعارضة الكوبية ضد الديكتاتور باتيستا ،
مرفقة بالصور كانت المقالات تبرز بشكل جيد ثورة التحرير الجزائرية و ما تحققه العمليات العسكرية للأفلان ( حزب جبهة التحرير الوطني الجزائري ) من انتصارات ، كما تصور التعذيب الممارس من قبل الفرنسيين[3] كانت العناوين بليغة : «Lágrimas, terror y sangre en Argelia » دمــوع ، وحشية ودماء تسيل في الجزائر ، بــوهيميا 14 أفريل 1957 ، أو « ¡ Asi es la guerra en Argelia ! » ، هكذا هي الحرب في الجزائر ، بوهيميا 07 جويلية 1957
إن كان فيدال بتواضعه لم يصرح علنا، فان مساندة الشعب الكوبي لم تكن مجرد شعارات بروتوكولية بين وطنين تفصلهما ألاف الكيلومترات ، وكذلك اللغة ، الدين ، الجغرافيا والثقافة ، فان فيدال وكـوبا ساعدوا بالفعل الجزائر لتحتل مكانة بين الأمم ، ولنيل استقلالها والمحافظة على وحدة أراضيها وتوفير العلاج لشعبها.
أضاف فـيدال:
في تلك الحقبة لم يكن أحدا يتصور لقاءا كهذا ، المساندة كانت من نوع آخر ، ما الذي يمكن فعله لدعم النضال الجزائري، القضية الجزائرية، ما الذي يمكن فعله لدعم الشعب الجزائري ؟ .
لم تبقى هذه التساؤلات دون أفق، بل بالعكس فحسب جيرالدو مازولا Giraldo Mazola سفير كوبا الأسبق بالجزائر 1974 – 1978 فقد تم استقبال وفد من الحكومة الجزائرية المؤقتة بداية 1960 من طرف السلطات الكوبية ، وفي 27 جوان 1961 أي بعد شهريا فقط من انزال خليج الخنازير ( أفريل 1961 ) ، كوبا تعترف بالحكومة الجزائرية في المنفى ، ولم يكن هذا بالأمر الهين بتاتا، فكوبا هي الدولة الأولى في المعسكر الغربي من قام بهذا ، مما عرضها لإجراءات إنتقامية من طرف الحكومة الفرنسية [4].
إن دعم القضية الجزائرية أثناء الثورة لم يتوقف عند هذا الحد ، ففي نهاية أكتوبر 1961 ، أرسل فيدال كاسترو مبعوثا وهو الصحفي الأرجنتيني الشاب جورج ريكاردو ماسيتي Jorge Ricardo Masetti ليلتقي الثوار الجزائريين بتونس وتسجيل احتياجاتهم ، التقى ماسيتي قادة الأفلان من بينهم بن يوسف بن خدة رئيس الحكومة الجزائرية المؤقتة
شهرين بعد ذلك السفينة الكوبية الباهية Bahia de Nipe تغادر هافانا باتجاه الدار البيضاء بالمغرب محملة بـ 1500 بندقية، أكثر من 30 رشاش و 4 مدافع من صنع أمريكي ، وتم نقل الحمولة لمعسكر الأفلان بضواحي مدينة وجدة على الحدود الجزائرية، واعتبر هذا أول مساعدة عسكرية كوبية لافريقيا ،
وفي عودتها سفينة الباهية تنقل على متنها 76 جندي مصاب و 20 طفلا جزائريا قدموا من مراكز اللجوء أغلبهم من الأيتام
كما يبين الأستاذ بييرو قليزيس Piero Gleijeses فان مساعدة كوبا للجزائر لا علاقة لها بالصراع القائم بين المعسكر الشرقي والمعسكر الغربي، فجذورها أبعد من انتصار كاسـترو سنة 1959 ، فهي نابعة من التوجه العام السائد لدى الكوبيين في مساندتهم لنضال الشعب الجزائري [5].
دعم الشعب الكوبي لم يتوقف عندما نالت الجزائر استقلالها سنة 1962 ، فقد تواصل وبالخصوص في ما يعرف بـحـرب الرمـال……
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