Éducation

Il y a pire que de ne pas être informé: c’est penser l’être

 

Il est difficile de croire que la science et l'humour font bon ménage, n'est-ce pas? Regardez la vidéo suivante pour vous en convaincre:

 

 

Les éléments du tableau périodique chantés par Tom Leher, professeur de mathématiques à MIT et Harvard.
Réalisation, montage, synchronisation, traduction et sous-titrage: Ahmed Bensaada

 

La récente polémique entourant la prépondérance de la note du BEM dans le passage à la première année secondaire au détriment des résultats obtenus durant l’année scolaire mérite qu’on s’y attarde quelque peu.

De nombreux pédagogues se sont penchés sur l’utilité de l’examen de passage aux cycles primaire et secondaire. Est-ce un moyen de vérifier les acquis cognitifs ou les compétences des élèves? Est-ce un instrument pour s’assurer que les enseignants dispensent effectivement la totalité des contenus notionnels prescrits par les programmes? Est-ce une méthode pour s’assurer de l’uniformité d’un système éducatif dans un pays? Est-ce une façon de limiter l’accès aux niveaux subséquents? Est-ce une manière de valoriser un diplôme? Ou est-ce un procédé de ségrégation entre les bons et les mauvais élèves? Même en Occident, les réponses à ces questions diffèrent d’un pays à l’autre.

Dans la majorité des pays à travers le monde, le cursus scolaire se divise en 3 niveaux distincts : primaire, collégial et secondaire. Seuls les 2 premiers sont, en général, obligatoires selon la loi. Ces niveaux ont différentes appellations selon les pays et leur durée totale varie normalement entre 12 et 14 années. Ils correspondent à des étapes clefs du développement de l’être humain sur les plans physique et psychique : l’enfant, l’adolescent et le jeune adulte. Même les lieux d’enseignement qui abritent ces niveaux sont en général différents : écoles, collèges et lycées.

Il parait donc très logique et naturel de ponctuer ces étapes par des examens qui permettent le passage de l’une à l’autre des institutions : on a donc mis sur pied l’examen de sixième (1ere AM), le brevet d’enseignement collégial (ou moyen, ou fondamental) et le baccalauréat. C’est le cas de l’Algérie.

L’exemple de la France (proximité historique, culturelle et géographique oblige) est légèrement différent : les 3 ordres sont maintenus, mais l’examen de sixième a été supprimé. Le brevet, quant à lui, existe mais ne garantit pas le passage au lycée en cas d’obtention. Cela veut dire que l’élève français arrive en classe de Terminale sans avoir passé d’examen national sanctionnant son passage d’un niveau à l’autre.

Ce système éducatif ne fait pas nécessairement l’unanimité [1]. Ses détracteurs arguent, qu’à la fin de l’école primaire, les deux tiers des élèves ne maîtrisent pas l’ensemble des compétences fixées par les programmes [2]. Ces lacunes pédagogiques ont même fait irruption lors de la dernière course à l’Élysée. Dans son discours du 1/12/2006, à Angers, N. Sarkozy a déclaré que « 15% des élèves de sixième ne savent pas lire et écrire et que 160 000 élèves quittent chaque année l’école sans aucune qualification » et  a dénoncé « l’hypocrisie du bac qu’on brade peu à peu, pour mieux sélectionner à l’université dans le secret des examens de fin de deuxième année ».

Dans son dernier livre [3], C. Allègre, ancien ministre de l’éducation nationale française, note que « le niveau a baissé pour diverses raisons. La raison essentielle me paraît être la disparition des contrôles qui, jadis, permettaient le passage d'un niveau à un autre ». Plus près de nous, la Tunisie possède un système éducatif fortement inspiré du modèle français. Là aussi, la suppression de l’examen de sixième fait couler beaucoup d’encre. Dans un récent article du journal Le Temps on pouvait lire : « La suppression de l'ancien examen de sixième et l'entrée en vigueur de l'école de base, depuis les années quatre-vingt-dix, ont été à l'origine d'un gonflement sans précédent du nombre d'élèves autorisés à poursuivre leurs études dans les lycées et collèges de notre pays. (…) C'est qu'il est grand temps de repenser le concept d'école de base qui est actuellement synonyme de «garderie». Or, l'école est, en principe, faite moins pour « retenir » que pour former et éduquer » [4].

Revenons à la France et à son brevet. Comme indiqué précédemment, cet examen ne conditionne pas le passage au lycée. Mais, à quoi bon sert-il alors? Certains vous diront à rien, d’autres que c’est le premier examen que passent les élèves français et qu’il permet de garantir un certain niveau. Cet examen, jugé facile par la plupart des élèves, est réussi par environ 80% des candidats. Dans les colonnes de l’Express, un professeur d'histoire-géographie d’un collège du Val-d'Oise commente ainsi ce haut taux de réussite : «ces 80% de réussite ne signifient rien. Les réponses sont dans les documents fournis aux élèves, les dictées sont du niveau CM 2 et une copie nulle mais sans rature récolte 4 points sur 40 pour le soin!» [5].

Intéressons-nous à un autre exemple : celui du Québec. Dans cette province, comme dans tout le Canada, l’éducation est de juridiction provinciale. Le système éducatif québécois est organisé comme suit : 6 ans pour le primaire, 5 ans pour le collège (nommé école secondaire) et 2 ans (ou 3 pour les filières professionnelles) pour le lycée (nommé Collège d'Enseignement Général et Professionnel ou CEGEP). Il ne prévoit aucun examen national de passage d’un niveau à l’autre. Seules des épreuves nationales dans certaines matières sont organisées par le ministère de l’éducation à la fin de certaines années. Pour d’autres matières, les examens sont du ressort de la commission scolaire (l’équivalent de l’académie). Dans le cas des examens ministériels, la note obtenue permet la réussite du cours (et non du niveau). En cas d’échec, la note annuelle obtenue en classe rentre en considération avec le même coefficient que l’examen. Si l’élève est encore en échec, il peut s’inscrire aux cours de rattrapage de la matière échouée. Ces cours sont organisés par les commissions scolaires et durent 2 ou 3 semaines pendant les vacances d’été. Les élèves sont alors soumis à un autre examen ministériel dit de rattrapage.

En fin de cinquième année secondaire, l’élève s’inscrit au CEGEP en fonction de sa moyenne des 2 dernières années du secondaire et de son choix de carrière. À cet égard, il faut mentionner que de nombreux cours et activités sont organisés durant le cycle secondaire pour aider l’élève à faire un choix éclairé de sa future carrière (tests, recherches sur les emplois, stages, conférences, visites, etc.).

Contrairement à la France, l’examen du baccalauréat n’existe pas. L’accès à l’université se fait grâce à la moyenne obtenue durant les 2 (ou 3) années du CEGEP. Pour uniformiser les résultats d’un CEGEP à l’autre et d’une région de la province à l’autre, une cote de rendement collégial (cote R) est calculée pour chaque élève. Cette cote est calculée par le ministère de l’Éducation pour chacun des cours suivis par l’élève et  tient compte de la note obtenue, de la position relative d'un élève dans son groupe, de la force relative du groupe par rapport à celle des autres groupes. L’accès aux filières universitaires contingentées se fait principalement à l’aide de la cote R de l’élève, mais aussi d’entrevues de sélection, d’examens spécifiques ou de tests d’aptitude. Voilà donc une organisation qui se passe complètement d’examens nationaux de passage et dont le système éducatif est un des plus efficaces au monde.

Nous ne pouvons clore ce bref tour d’horizon sans parler du système scolaire finlandais, considéré par l’OCDE comme le plus performant du monde. Une enquête internationale réalisée en 2000 et 2003 regroupant 41 pays développés a donné le prix d’excellence aux jeunes finlandais qui se sont démarqués en lecture, mathématiques et résolution de problèmes et à leur système éducatif [6]. Mais à quoi tient cette époustouflante réussite?

L’école y est obligatoire de 7 à 16 ans et aucun examen ne vient perturber la douce quiétude de la vie scolaire. Le redoublement est banni : les élèves en difficulté sont suivis par des enseignants spécialisés. Les études, le transport et les repas chauds sont gratuits et les institutions d’enseignement sont de taille humaine : tout est fait pour que l’élève se sentent bien à l’école. Ici, l’expression « l’élève doit être au centre de l’école » n’est pas juste un slogan qui décore les programmes de formation. Tout le système éducatif public est mobilisé pour la réussite de l’élève de sorte que l’enseignement privé est quasiment inexistant. Les établissements jouissent d’une grande autonomie et sont régulièrement évalués. Ces évaluations ne servent pas à comparer les élèves ou les établissements, mais à détecter les institutions qui ont des difficultés pour mieux leur allouer les fonds nécessaires afin de trouver des solutions à leurs problèmes. La concurrence et la sélection ne fait son apparition qu’après l’école obligatoire, c'est-à-dire après 9 ans de scolarité.

Aucun examen n’est nécessaire pour le passage au lycée. Les notes obtenues durant le cycle fondamental conditionnent l’orientation vers un lycée professionnel ou général. À la fin du lycée, un examen national, équivalent du baccalauréat, est organisé par le ministère de l’éducation. Cependant, l’obtention de ce diplôme ne donne pas nécessairement l’accès aux universités. En effet, ces dernières organisent leurs propres examens surtout dans les filières contingentées. Remarque intéressante: aussi bien au Québec qu’en Finlande, il n’y a ni inspection ni inspecteurs de l’enseignement contrairement à la France ou à l’Algérie.

Alors quel modèle choisir pour notre pays? Faut-il bannir les examens de passage (au moins les 2 premiers) puisque les pays les plus performants au monde dans le domaine de l’éducation ne leur donnent aucune importance?

Regardons tout d’abord les taux de réussite aux examens de passage pour l’année en cours. Celui du BEM est presque la moitié de celui de l’examen de 1re AM (44% contre 73,51%). Est-ce que l’examen du BEM a une difficulté disproportionnée par rapport aux exigences du programme ou est-ce que la préparation et les acquis des élèves ne sont pas suffisants? Si la réponse à la première question est affirmative, il faut se demander ce que mesure ce type d’examen et y remédier rapidement. Si le niveau des élèves laisse à désirer, le problème est beaucoup plus grave et ce n’est pas la diminution de la pondération de l’examen comparativement à la moyenne annuelle (modification des coefficients) qui va régler le problème. Il ne s’agira que d’une modification cosmétique qui n’aura pour effet que de niveler le niveau vers le bas en augmentant artificiellement le nombre d’élèves au secondaire et translater le problème vers le baccalauréat. Et puis, si la note annuelle est aussi importante, pourquoi ne l’est-elle pas dans le cas du baccalauréat?

Il est vrai que la moyenne annuelle dépend du travail de l’élève mais aussi de la qualité des enseignants qui dispensent les cours, de l’organisation de l’établissement, de sa situation géographique et de la clientèle qui le fréquente.

Le vrai défi de l’école algérienne réside, à mon avis, dans la définition claire d’un projet éducatif pour tous les algériens, dans la formation d’un personnel enseignant professionnel et engagé qui croit en sa mission, dans la valorisation de la profession d’enseignant, dans la mise en valeur de l’école et de l’éducation, dans la décentralisation de certains pouvoirs vers les établissements éducatifs, dans la capacité de transformer les écoles en milieux de vie et d’y promouvoir un sentiment d’appartenance et dans un financement adéquat du système éducatif. À titre indicatif, la Finlande, la France et le Québec consacrent respectivement 6,2%, 6,9% et 7,5% de leur PIB à l’éducation. L’Algérie, quant à elle, n’y consacre que 3,7 % de son PIB, en deçà de nos voisins tunisiens ou marocains (~6%)  [7].

Dans son analyse exhaustive du système scolaire finlandais, Paul Robert, principal d’un collège français a souligné que « l’étonnante réussite de l’éducation finlandaise n’est pas seulement due à la prouesse d’une savante construction technocratique : elle a partie liée avec une langue, une culture, un peuple qui a fait du développement de la personne humaine dans toutes ses composantes le but de l’éducation » [8].

Ainsi, lorsque nous aurons décidé collectivement, comme un vrai peuple, que le développement de la personne humaine algérienne est la principale de nos préoccupations, nous relèverons les vrais défis de notre école. Nous ne nous soucierons plus de la modification de quelconques coefficients, car notre école, comme dans les pays développés, se sera affranchie de tout examen de passage.

 


 

Références :

  1. Brighelli, Jean-Paul. La fabrique du crétin, Paris, Jean-Claude Gawsewitch Éditeur, août 2005, 222 p.
  2. Débat 2007.fr. (Page consultée le 26 juin 2007). Enseignement scolaire, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.debat2007.fr/index.php?id=248
  3. Allègre, Claude et Pierre-Luc Séguillon. 10 + 1 questions à Claude Allègre sur l'école, Paris, Michalon, mars 2007, 107 p.
  4. Moncef Mehedhbi. « Encore faut-il que l’Ecole de base cesse d’être une garderie». Le Temps (Tunisie), 26 mars 2007
  5. Marie Cousin. (Page consultée le 27 juin 2007). Le brevet, pour quoi faire?, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.lexpress.fr/info/france/dossier/educationnation/dossier.asp?ida=428303
  6. OCDE. (Page consultée le 27 juin 2007). Programme for International Student Assessment (PISA), [En Ligne]. Adresse URL: http://www.pisa.oecd.org/document/24/0,3343,en_32252351_32235731_38378840_1_1_1_1,00.html
  7. Pôle de Dakar, Analyse sectorielle en éducation. (Page consultée le 28 juin 2007). La situation des systèmes éducatifs en Afrique du Nord, Statistiques 2006, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.poledakar.org/IMG/Afrique_Nord-web.pdf
  8. Paul Robert. (Page consultée le 28 juin 2007). L'éducation en Finlande : les secrets d'une étonnante réussite, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.meirieu.com/ECHANGES/robertfinlande.pdf

 

Cet article a été publié le 15 octobre 2009 dans les colonnes du journal "Algérie News Week"


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« Vous aurez de l'encre noire, des tableaux noirs, des tabliers noirs. Le noir est, dans notre beau pays, la couleur de la jeunesse. »

Jean Giraudoux


Dans les annales de la « pédagogie » algérienne, on ne se rappellera certainement pas de l’année scolaire 2009-2010 comme d’une année où de grandes découvertes en Sciences de l'Éducation ont été réalisées, mais plutôt comme de l’année des Tabliers. Un peu comme l'année de l’Éléphant, l’année des Sauterelles ou l’année de la Famine. Vous avez probablement remarqué qu’elles sont toutes reliées à des calamités. L’année en cours n'en fait pas exception, car quoi de plus calamiteux que de se faire renvoyer de l'école pour le seul motif de ne pas avoir pu acheter un tablier pour cause de pénurie ou d’en avoir trouvé un, mais pas de la bonne couleur? Mais au-delà de son aspect anecdotique, l’historiette des tabliers colorés soulève trois questionnements.

Primo, pourquoi les différents tabliers n’ont-ils pas été clairement décrits? Lorsqu’une directive est émise, il est impératif qu’elle soit claire, nette et sans bavure. Dans le cas des tabliers, il aurait non seulement fallu définir sa couleur de manière précise, mais aussi sa coupe et sa longueur. Leurs caractéristiques auraient dû être diffusées dans différents médias bien avant la rentrée scolaire pour que les fournisseurs puissent les proposer à temps aux parents. D’autre part, étant donné le nombre élevé d’élèves touchés par cette mesure, il ne faut pas s’attendre à ce que ce problème se règle avec un coup de baguette magique. Il n’y a qu'à voir les parents se démener pour dénicher cet habit devenu si précieux en ce début d’année pour comprendre la difficulté de l'exercice.

Secundo, pourquoi ne pas avoir laissé un délai de grâce dans l’application du port du tablier? Il est quand même étonnant de constater que la promulgation de certaines de nos lois a pour effet direct de transformer nos compatriotes en coupables potentiels. La célérité maladive avec laquelle on veut s’assurer de sa mise en place ou le manque de moyens nécessaires à sa bonne application en sont souvent les causes.

Dans les pays où les citoyens sont considérés comme des innocents en puissance, si une loi ou une directive est édictée, on prévoit toujours un laps de temps assez long pour leur permettre de s’y adapter. J’en veux pour exemple la récente loi québécoise sur l’interdiction de l’utilisation du téléphone portable au volant. Les automobilistes ont eu droit à un sursis de trois mois pour leur permettre de s’adapter à la nouvelle loi et de se procurer l’équipement nécessaire pour pouvoir l’utiliser sans enfreindre la loi. Pendant cette période, les policiers ont remis des avertissements aux contrevenants. Ne pourrait-on pas imiter ces bonnes pratiques et donner un temps suffisant aux parents pour qu’ils puissent se procurer ces fameux tabliers afin d’éviter de transformer leur progéniture en « héros kafkaïen »?

Tertio, pourquoi veut-on faire porter un tablier aux élèves? Quel est l’intérêt d’une telle mesure? Y a-t-il une corrélation directe entre le port du tablier et la réussite scolaire?

Porté dans la plupart des pays européens jusque dans les années soixante, le tablier (ou plutôt la blouse) est tombé en désuétude. En France, il a disparu, victime de la révolte soixante-huitarde. En Italie, on ne le retrouve que dans un certain nombre d’écoles privées et écoles maternelles et leurs couleurs sont le bleu ciel et le rose. Cela vous rappelle-t-il quelque chose? D’ailleurs, il n’y a que dans le pays de Berlusconi que le gouvernement plaide encore pour le port obligatoire des blouses dans les écoles [1].

Dans les autres pays, c’est plutôt d’uniforme et non de tablier qu’il s’agit. L’uniforme est très courant en Grande-Bretagne, en Irlande, en Nouvelle-Zélande, en Australie, mais aussi au Japon, en Corée du Sud, à Taiwan et Singapour. Au Québec, l’uniforme est porté dans la plupart des écoles privées et un certain nombre d’écoles publiques. Les composantes des uniformes ornés du logo de l’école ainsi que leurs couleurs sont bien définies et les élèves peuvent se les procurer chez des fournisseurs agréés. Toutes les informations concernant les uniformes, y compris celles des chaussures autorisées, peuvent être consultées sur les sites web des écoles.

Les arguments qui plaident en faveur du port de l’uniforme sont nombreux. Certains avanceront qu’il permet d’effacer les inégalités sociales entre les riches et les pauvres, les vêtements des premiers étant plus dispendieux et plus chics. D’autres vous diront que l’uniforme permet aux élèves d’éviter d’être « esclaves des marques » et de bannir les accoutrements « à la mode » non conformes à la bienséance. Il est indéniable que l’uniforme a au moins le mérite de créer un fort sentiment d’appartenance avec l’institution scolaire.

Les détracteurs du port de l’uniforme, quant à eux, mettent de l'avant que « dans la vraie vie, il n’y a pas d’uniforme », « l’uniforme brime la créativité », « l’uniforme représente l’embrigadement des jeunes », etc.

Dans une de ses interventions, le Ministre de l’Éducation a affirmé que « le port du tablier consacre le principe d’égalité entre tous, de l’école républicaine ». Sur les ondes de Canal Algérie, le Directeur de l’enseignement fondamental a soutenu que le tablier assurait « le caractère officiel de l’école, l’esprit de la cohésion sociale et de la discipline collective». Il a même ajouté qu’il « privilégiait les rapports humains ».

À ce sujet, j’aimerais juste souligner que le port de la blouse dans les pays européens jusque dans les années soixante n’était pas motivé par un souci d’égalitarisme social, mais par celui d’éviter aux enfants de se salir ou de détériorer leurs habits [2].

D’autre part, il ne faut pas oublier que le tablier n’est pas un uniforme. Le tablier se porte par-dessus les vêtements et peut se déboutonner pour les laisser paraître. Contrairement à l’uniforme scolaire, il peut s’enlever avant l’entrée ou après la sortie de l’école et les disparités sociales réapparaissent à deux pas de l’établissement scolaire. D’autre part, il existe, à l’étranger, des tabliers de marque qui sont très onéreux. Il y en a même qui portent la griffe de couturiers célèbres. En l’absence de précision sur le tablier, rien n’empêche de s’en  procurer. En plus, il n’y a aucune restriction sur les chaussures qui peuvent être un élément efficace de différenciation sociale. En effet, une paire de chaussure de marque peut être plus coûteuse que bien des habits.

Ainsi, on peut voir que le tablier ne peut être le porte-étendard du principe d’égalité sociale de l’école républicaine et encore moins celui de la cohésion sociale. Quant au fait qu’il aurait un quelconque rôle à jouer dans l’amélioration des rapports humains, permettez-moi d’en douter sérieusement. Le tablier peut tout au plus garantir, grâce à l’uniformité de l’habillement, le caractère officiel de l’institution scolaire. Il est surtout efficace pour protéger les habits des élèves (surtout s’ils sont chers).

Que dire de la  pensée « hautement philosophique » d’un autre responsable du ministère de l’Éducation : « le port du tablier permet de faire la différence entre celui qui cherche le savoir et celui qui fait autre chose »? [3]. D’après lui, on ne peut chercher le savoir qu’avec un tablier. Ce responsable doit ignorer qu’un très grand nombre d’établissements scolaires occidentaux de grand renom n’exige ni tablier, ni uniforme et que leur rendement scolaire est exemplaire. Sait-il, par exemple, que sans imposer le tablier ou l’uniforme, le système scolaire finlandais est le plus performant du monde? Cela permet également de répondre à une question posée auparavant : il ne semble pas y avoir de corrélation directe entre le port du tablier ou de l’uniforme et la réussite scolaire. Par contre, toutes les études réalisées sur le système scolaire finlandais montrent que les élèves sentent que l’école leur appartient et qu’ils sont bien entre ses murs. Comment voulez-vous développer un sentiment d’appartenance avec l’école algérienne si, pour un motif insignifiant, l’élève est mis à la porte?

En ce qui concerne les couleurs, je crois comprendre que le choix du rose et du bleu provient de la traditionnelle différence qu’on fait entre la couleur des habits des nouveau-nés de sexe  féminin et masculin. Mais alors, pourquoi ne pas avoir gardé ces deux couleurs pour les élèves du secondaire? Est-ce que les différences de couleurs entre les garçons et les filles  évoluent avec l’âge?

Si une école rejette ses élèves pour des raisons aussi futiles que la couleur d’un tablier, c’est qu’elle a quelque chose de tordu et de malsain.  Une école digne de ce nom se doit d’être ouverte, accueillante, bienveillante et juste. C’est à ce prix qu’elle pourra former des citoyens épanouis, autonomes, responsables, respectueux de soi, des autres et de leur environnement. Alors, de grâce, ne culpabilisez pas nos jeunes : ils risquent de le rester toute leur vie.

 


 

Références :

  1. Deepa Babington, Lepoint.fr (Page consultée le 16 septembre 2009). « Vers le retour de la blouse d'écolier en Italie ? ». [En Ligne]. Adresse URL:  http://www.lepoint.fr/actualites-insolites/2008-07-02/vers-le-retour-de-la-blouse-d-ecolier-en-italie/918/0/257379
  2. Marie-Estelle Pech, Lefigaro.fr (Page consultée le 17 septembre 2009). « Uniforme à l'école : le débat est relancé ». [En Ligne]. Adresse URL: http://www.lepoint.fr/actualites-insolites/2008-07-02/vers-le-retour-de-la-blouse-d-ecolier-en-italie/918/0/257379
  3. Ghania Oukazi. «Les couacs de la rentrée », Journal « Le Quotidien d’Oran », 14 septembre 2009. Consultable en ligne à l’adresse URL: http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5126429&archive_date=2009-09-14

 


 

 

Cet article a été publié le 22 septembre 2009 dans les colonnes du journal "Le Quotidien d'Oran"

http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5126699

http://mendeleiev.cyberscol.qc.ca/scienceanimee/Abensaada/Documents/Tabliers/Tabliers_22092009.pdf

 


 

Il est vrai que chaque rentrée scolaire charrie avec elle son lot de modifications pédagogiques ou organisationnelles qui servent souvent à alimenter nombre de discussions byzantines surannées. Pas cette fois-ci. Les annonces dans ce domaine se sont succédé à un rythme tel qu’il était difficile d’en suivre les péripéties. Allait-on opter pour un week-end semi-universel? Le mardi serait-il une journée de congé? La durée des cours allait-elle être réduite à 45 min? La rentrée se ferait-elle après l’Aïd? Le nombre de semaines de classe serait-il augmenté? Ces questions et leurs corollaires ont créé, à quelques semaines du début de l'année scolaire, un suspens beaucoup plus poignant que celui de tous les moussalsalates  ramadanesques réunis.  Elles sont aussi le symptôme patent d’une gestion au petit bonheur la chance de la problématique complexe des rythmes scolaires qui ne doit être, en aucun cas, traitée avec autant de dilettantisme.

Tout d'abord, l’expression « l’élève doit être au centre du système éducatif » si souvent galvaudée, ne doit pas être un simple leitmotiv ornant les papiers savants et servant le discours pédant de certains de nos ronds-de-cuir. Bien au contraire, elle doit être la pierre angulaire de toute réflexion ou décision touchant de près ou de loin l’élève.

Prenons, par exemple, l’idée de reporter la rentrée scolaire après la fin du Ramadhan. L’argument avancé pour soutenir cette proposition émanant du président de la respectable Union nationale des associations des parents d’élèves (UNAPE) :« Le report aiderait les familles à bien se préparer surtout financièrement» [1]. Est-ce l’élève ou les parents qui sont au centre du système éducatif? À moins que cet organisme de parents d’élèves s’occupe plus des parents que des élèves. Bien que louable sur le plan socioéconomique, cette suggestion a un impact négatif sur le plan pédagogique car elle tronque plusieurs journées de classe à une année scolaire qui n'en a déjà pas beaucoup comme cela va être démontré ultérieurement. Et cela sans compter sur l’image rétrograde que véhicule cette proposition sur le mois sacré en l’associant à l’oisiveté, au désœuvrement  et aux vacances.

Le Ministère vient de se rendre compte (mieux vaut tard que jamais) que le nombre de semaines de classe n’était pas suffisant pour achever les programmes en bonne et due forme. L'augmentation de 27 à 35 semaines « va permettre d'appliquer convenablement les programmes scolaires dans des conditions meilleures tout en respectant les rythmes scolaires et les critères pédagogiques reconnus universellement » [2]. Certains pédagogues ont même vu dans cette décision que « notre système commence à répondre à la norme de l’UNESCO » [3]. Mais, bien que cette prolongation soit une bonne nouvelle en soi, notre organisation scolaire est encore loin de ce qui se fait dans les pays reconnus par l’excellence de leurs systèmes scolaires. Cela vient du fait que ce qui est important dans l’enseignement, ce ne sont pas les semaines, mais les jours effectifs de classe et le volume horaire quotidien. D’autre part, nos décideurs et nos pédagogues sont souvent portés à un mimétisme systématique de l'approche française. Un genre de « syndrome de Stockholm » néocolonialiste qui n’est nullement justifié si on juge par les résultats très moyens de l’École française à l’échelle internationale ainsi que la critique de ses rythmes scolaires par l’OCDE [4,5].

Si on tient compte des recommandations du Ministère en termes de durée d’étalement des cours (du 13 septembre 2009 au 20 juin 2010) [2], des jours fériés et des congés scolaires, le nombre réel de jours de classe ne dépasse pas 155, si on se base sur une semaine de 4,5 jours. Ce nombre est encore plus faible pour les classes d’examens. En effet, l'examen de fin de cycle de primaire étant prévu le 9 juin 2010, le nombre de jours de classe réel pour les élèves de 5e année primaire n'est que de 149. De la même façon, les élèves qui passent le bac (prévu du 13 au 17 juin 2010), n’auront droit qu’à l’équivalent de 151 jours de classe. Ce nombre peut être maximisé à 167 si les mardis sont utilisés dans leur totalité (semaine de 5 jours). En résumé, les élèves algériens, dépendamment de leur niveau et des examens qu’ils auront à passer, suivront de 149 à 167 jours de classe. Ces nombres peuvent même être revus à la baisse dans les années futures s’il arrive que les jours fériés ne coïncident pas avec des fins de semaines comme c’est souvent le cas l’année scolaire en cours.

Qu’en est-il dans les autres pays? Voici quelques exemples de pays qui sont reconnus pour la qualité de leur rendement scolaire. En Finlande, dont le système scolaire est considéré comme le plus performant au monde, 188 jours de classe sont prévus. Il y en a 180 au Québec, 200 en Hollande, 210 au Japon et 220 en Corée du Sud [6, 7]. En plus, et contrairement à l’Algérie, ces pays ont tous un niveau primaire qui s’étale sur six années.

Le nombre réduit de jours de classe de notre système scolaire a une conséquence sur le volume horaire quotidien imposé à nos jeunes : 6 heures pour le niveau primaire et 8 pour les niveaux moyens et secondaires. Comparativement, au Québec, la semaine scolaire s’étale sur 5 jours complets durant lesquels sont dispensés 5 heures de cours quotidiennement. Cela est valable de la première année primaire à l’équivalent de la première année secondaire algérienne. Pour le niveau moyen (collège), un élève algérien suit quotidiennement 3 heures de cours de plus qu’un élève québécois (sauf le mardi). Selon Antoine Prost, historien de l’Éducation : « De nombreux médecins ont répété que six heures de classe pour des enfants de moins de 8 ans, c'est trop pour être efficace » [7]. Des journées trop longues ont pour effet de fatiguer les élèves et de réduire leur concentration. L’OCDE, dans une critique du modèle scolaire français, a noté « qu’avec des horaires trop chargés, les enfants sont plus vulnérables au décrochage scolaire » [5]. En outre, il est quand même curieux de vouloir imposer à de jeunes adolescents un nombre d'heures d’études égal à celui que travaillent leurs parents.

Mais comment réduire le volume horaire quotidien comme le recommande de nombreux pédagogues tout en maintenant un nombre d’heures annuel adéquat? La solution est d’allonger encore plus l’année scolaire, de définir par décret le nombre annuel de jours de classe (et non le nombre de semaine) et de diminuer le nombre de jours de vacances, si nécessaire. Au Québec,  par exemple, l’année scolaire s’étire du  31 août 2009 au 22 juin 2010 avec 15 jours (ouvrables) de congés scolaires. En Algérie, elle s’étend du 13 septembre 2009 au 20 juin 2010 avec 26 jours (ouvrables) de vacances.

La réduction de la journée scolaire, en plus d’être pédagogiquement efficace, permet aux jeunes d’avoir des activités péri et parascolaires. L’élève pourrait alors s’adonner à des activités sportives ou culturelles, participer à des clubs scientifiques, se réunir avec ses pairs pour parfaire ses connaissances ou réaliser des projets pédagogiques si prisés dans l’approche par compétences.

J’entends déjà certaines personnes monter au créneau et s’élever contre cette diminution des journées de vacances du personnel. À ceux-là, il est impératif de réitérer que « l’élève doit être au centre du système éducatif » et non pas le personnel. À moins que…

Quant à la diminution de la durée des cours de 60 à 45 minutes, il est sage de l'avoir reportée à une année ultérieure. Pour étayer son propos, le Ministre de l’Éducation a mentionné que les écoles allemandes avaient adopté cette façon de faire, ce qui est vrai. Mais ce qu’il a oublié de mentionner c’est que les jeunes allemands vont en moyenne 208 jours par an à l'école! Il est aussi important de souligner qu’il est téméraire de vouloir modifier la durée des cours quelques semaines avant la rentrée et que l’opposition des syndicats est parfaitement justifiée. Même si cela peut paraître simple d’amputer 15 minutes à un cours, la tâche est beaucoup plus compliqué sur le plan pédagogique, surtout si l’enseignant doit faire de la gestion de classe. D’ailleurs, d’autres systèmes scolaires comme celui du Québec ont opté pour la solution inverse. Dans cette province canadienne, les cours du niveau primaire ont une durée de 60 minutes, mais la plupart des collèges publics du niveau moyen dispensent des cours de 75 minutes. La journée est ainsi constituée de 4 périodes de 5 quarts d’heure chacune qui permettent, lorsqu’elles sont bien planifiées, de réaliser des activités pédagogiques intéressantes.

En définitive, la mise en place d’un rythme scolaire doit tenir compte des mécanismes d’apprentissage de l’élève, de sa motivation et de son rythme biologique. Elle doit aussi s’inspirer des systèmes scolaires de pays qui sont mondialement reconnus pour l’excellence de leurs résultats.

Un rythme scolaire adapté aux besoins de nos enfants leur permettra d’avoir non seulement des têtes bien pleines, mais surtout des têtes bien faites.

 


Références :

  1. Naïma Hamidache. « La rentrée scolaire après l’Aïd », Journal « L’expression », 13 Août 2009. Consultable en ligne à l’adresse URL: http://www.lexpressiondz.com/article/2/2009-08-13/66582.html
  2. Journal « La tribune». «Éducation : la rentrée scolaire 2009/2010 fixée au 13 septembre prochain (ministère) », 17 Août 2009. Consultable en ligne à l’adresse URL: http://www.latribune-online.com/l_info_en_continu/21260.html
  3. Nassima Oulebsir. « Éducation : les nouveaux horaires en débat », Journal « El Watan», 29 Août 2009. Consultable en ligne à l’adresse URL: http://www.elwatan.com/Education-les-nouveaux-horaires-en
  4. Catherine Rollot et Marie de Vergès, Journal « Le Monde ». (Page consultée le 7 septembre 2009). « La France paralysée devant ses mauvais résultats scolaires », [En Ligne]. Adresse URL: http://www.lemonde.fr/societe/article/2007/12/04/la-france-paralysee-devant-ses-mauvais-resultats-scolaires_985481_3224.html
  5. Aude Sérès, Journal « Le Figaro ». (Page consultée le 7 septembre 2009). « L'OCDE critique les rythmes scolaires français », [En Ligne]. Adresse URL: http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2008/09/10/01016-20080910ARTFIG00046-l-ocde-critique-les-rythmes-scolaires-francais-.php
  6. Asia Society. (Page consultée le 8 septembre 2009). « South Korean Education », [En Ligne]. Adresse URL: http://www.asiasociety.org/education-learning/learning-world/south-korean-education
  7. Antoine Prost. (Page consultée le 8 septembre 2009). « Une catastrophe est en marche », [En Ligne]. Adresse URL: http://www.apelasource.org/IMG/pdf/tribune_antoine_prost.pdf


 

Cet article a été publié le 10 septembre 2009 dans les colonnes du journal "Le Quotidien d'Oran"

http://mendeleiev.cyberscol.qc.ca/scienceanimee/Abensaada/Documents/Rhytme_scolaire/Rhytme_scolaire_10092009_p9.pdf