À quoi servent les examens de passage?

 

La récente polémique entourant la prépondérance de la note du BEM dans le passage à la première année secondaire au détriment des résultats obtenus durant l’année scolaire mérite qu’on s’y attarde quelque peu.

De nombreux pédagogues se sont penchés sur l’utilité de l’examen de passage aux cycles primaire et secondaire. Est-ce un moyen de vérifier les acquis cognitifs ou les compétences des élèves? Est-ce un instrument pour s’assurer que les enseignants dispensent effectivement la totalité des contenus notionnels prescrits par les programmes? Est-ce une méthode pour s’assurer de l’uniformité d’un système éducatif dans un pays? Est-ce une façon de limiter l’accès aux niveaux subséquents? Est-ce une manière de valoriser un diplôme? Ou est-ce un procédé de ségrégation entre les bons et les mauvais élèves? Même en Occident, les réponses à ces questions diffèrent d’un pays à l’autre.

Dans la majorité des pays à travers le monde, le cursus scolaire se divise en 3 niveaux distincts : primaire, collégial et secondaire. Seuls les 2 premiers sont, en général, obligatoires selon la loi. Ces niveaux ont différentes appellations selon les pays et leur durée totale varie normalement entre 12 et 14 années. Ils correspondent à des étapes clefs du développement de l’être humain sur les plans physique et psychique : l’enfant, l’adolescent et le jeune adulte. Même les lieux d’enseignement qui abritent ces niveaux sont en général différents : écoles, collèges et lycées.

Il parait donc très logique et naturel de ponctuer ces étapes par des examens qui permettent le passage de l’une à l’autre des institutions : on a donc mis sur pied l’examen de sixième (1ere AM), le brevet d’enseignement collégial (ou moyen, ou fondamental) et le baccalauréat. C’est le cas de l’Algérie.

L’exemple de la France (proximité historique, culturelle et géographique oblige) est légèrement différent : les 3 ordres sont maintenus, mais l’examen de sixième a été supprimé. Le brevet, quant à lui, existe mais ne garantit pas le passage au lycée en cas d’obtention. Cela veut dire que l’élève français arrive en classe de Terminale sans avoir passé d’examen national sanctionnant son passage d’un niveau à l’autre.

Ce système éducatif ne fait pas nécessairement l’unanimité [1]. Ses détracteurs arguent, qu’à la fin de l’école primaire, les deux tiers des élèves ne maîtrisent pas l’ensemble des compétences fixées par les programmes [2]. Ces lacunes pédagogiques ont même fait irruption lors de la dernière course à l’Élysée. Dans son discours du 1/12/2006, à Angers, N. Sarkozy a déclaré que « 15% des élèves de sixième ne savent pas lire et écrire et que 160 000 élèves quittent chaque année l’école sans aucune qualification » et  a dénoncé « l’hypocrisie du bac qu’on brade peu à peu, pour mieux sélectionner à l’université dans le secret des examens de fin de deuxième année ».

Dans son dernier livre [3], C. Allègre, ancien ministre de l’éducation nationale française, note que « le niveau a baissé pour diverses raisons. La raison essentielle me paraît être la disparition des contrôles qui, jadis, permettaient le passage d'un niveau à un autre ». Plus près de nous, la Tunisie possède un système éducatif fortement inspiré du modèle français. Là aussi, la suppression de l’examen de sixième fait couler beaucoup d’encre. Dans un récent article du journal Le Temps on pouvait lire : « La suppression de l'ancien examen de sixième et l'entrée en vigueur de l'école de base, depuis les années quatre-vingt-dix, ont été à l'origine d'un gonflement sans précédent du nombre d'élèves autorisés à poursuivre leurs études dans les lycées et collèges de notre pays. (…) C'est qu'il est grand temps de repenser le concept d'école de base qui est actuellement synonyme de «garderie». Or, l'école est, en principe, faite moins pour « retenir » que pour former et éduquer » [4].

Revenons à la France et à son brevet. Comme indiqué précédemment, cet examen ne conditionne pas le passage au lycée. Mais, à quoi bon sert-il alors? Certains vous diront à rien, d’autres que c’est le premier examen que passent les élèves français et qu’il permet de garantir un certain niveau. Cet examen, jugé facile par la plupart des élèves, est réussi par environ 80% des candidats. Dans les colonnes de l’Express, un professeur d'histoire-géographie d’un collège du Val-d'Oise commente ainsi ce haut taux de réussite : «ces 80% de réussite ne signifient rien. Les réponses sont dans les documents fournis aux élèves, les dictées sont du niveau CM 2 et une copie nulle mais sans rature récolte 4 points sur 40 pour le soin!» [5].

Intéressons-nous à un autre exemple : celui du Québec. Dans cette province, comme dans tout le Canada, l’éducation est de juridiction provinciale. Le système éducatif québécois est organisé comme suit : 6 ans pour le primaire, 5 ans pour le collège (nommé école secondaire) et 2 ans (ou 3 pour les filières professionnelles) pour le lycée (nommé Collège d'Enseignement Général et Professionnel ou CEGEP). Il ne prévoit aucun examen national de passage d’un niveau à l’autre. Seules des épreuves nationales dans certaines matières sont organisées par le ministère de l’éducation à la fin de certaines années. Pour d’autres matières, les examens sont du ressort de la commission scolaire (l’équivalent de l’académie). Dans le cas des examens ministériels, la note obtenue permet la réussite du cours (et non du niveau). En cas d’échec, la note annuelle obtenue en classe rentre en considération avec le même coefficient que l’examen. Si l’élève est encore en échec, il peut s’inscrire aux cours de rattrapage de la matière échouée. Ces cours sont organisés par les commissions scolaires et durent 2 ou 3 semaines pendant les vacances d’été. Les élèves sont alors soumis à un autre examen ministériel dit de rattrapage.

En fin de cinquième année secondaire, l’élève s’inscrit au CEGEP en fonction de sa moyenne des 2 dernières années du secondaire et de son choix de carrière. À cet égard, il faut mentionner que de nombreux cours et activités sont organisés durant le cycle secondaire pour aider l’élève à faire un choix éclairé de sa future carrière (tests, recherches sur les emplois, stages, conférences, visites, etc.).

Contrairement à la France, l’examen du baccalauréat n’existe pas. L’accès à l’université se fait grâce à la moyenne obtenue durant les 2 (ou 3) années du CEGEP. Pour uniformiser les résultats d’un CEGEP à l’autre et d’une région de la province à l’autre, une cote de rendement collégial (cote R) est calculée pour chaque élève. Cette cote est calculée par le ministère de l’Éducation pour chacun des cours suivis par l’élève et  tient compte de la note obtenue, de la position relative d'un élève dans son groupe, de la force relative du groupe par rapport à celle des autres groupes. L’accès aux filières universitaires contingentées se fait principalement à l’aide de la cote R de l’élève, mais aussi d’entrevues de sélection, d’examens spécifiques ou de tests d’aptitude. Voilà donc une organisation qui se passe complètement d’examens nationaux de passage et dont le système éducatif est un des plus efficaces au monde.

Nous ne pouvons clore ce bref tour d’horizon sans parler du système scolaire finlandais, considéré par l’OCDE comme le plus performant du monde. Une enquête internationale réalisée en 2000 et 2003 regroupant 41 pays développés a donné le prix d’excellence aux jeunes finlandais qui se sont démarqués en lecture, mathématiques et résolution de problèmes et à leur système éducatif [6]. Mais à quoi tient cette époustouflante réussite?

L’école y est obligatoire de 7 à 16 ans et aucun examen ne vient perturber la douce quiétude de la vie scolaire. Le redoublement est banni : les élèves en difficulté sont suivis par des enseignants spécialisés. Les études, le transport et les repas chauds sont gratuits et les institutions d’enseignement sont de taille humaine : tout est fait pour que l’élève se sentent bien à l’école. Ici, l’expression « l’élève doit être au centre de l’école » n’est pas juste un slogan qui décore les programmes de formation. Tout le système éducatif public est mobilisé pour la réussite de l’élève de sorte que l’enseignement privé est quasiment inexistant. Les établissements jouissent d’une grande autonomie et sont régulièrement évalués. Ces évaluations ne servent pas à comparer les élèves ou les établissements, mais à détecter les institutions qui ont des difficultés pour mieux leur allouer les fonds nécessaires afin de trouver des solutions à leurs problèmes. La concurrence et la sélection ne fait son apparition qu’après l’école obligatoire, c'est-à-dire après 9 ans de scolarité.

Aucun examen n’est nécessaire pour le passage au lycée. Les notes obtenues durant le cycle fondamental conditionnent l’orientation vers un lycée professionnel ou général. À la fin du lycée, un examen national, équivalent du baccalauréat, est organisé par le ministère de l’éducation. Cependant, l’obtention de ce diplôme ne donne pas nécessairement l’accès aux universités. En effet, ces dernières organisent leurs propres examens surtout dans les filières contingentées. Remarque intéressante: aussi bien au Québec qu’en Finlande, il n’y a ni inspection ni inspecteurs de l’enseignement contrairement à la France ou à l’Algérie.

Alors quel modèle choisir pour notre pays? Faut-il bannir les examens de passage (au moins les 2 premiers) puisque les pays les plus performants au monde dans le domaine de l’éducation ne leur donnent aucune importance?

Regardons tout d’abord les taux de réussite aux examens de passage pour l’année en cours. Celui du BEM est presque la moitié de celui de l’examen de 1re AM (44% contre 73,51%). Est-ce que l’examen du BEM a une difficulté disproportionnée par rapport aux exigences du programme ou est-ce que la préparation et les acquis des élèves ne sont pas suffisants? Si la réponse à la première question est affirmative, il faut se demander ce que mesure ce type d’examen et y remédier rapidement. Si le niveau des élèves laisse à désirer, le problème est beaucoup plus grave et ce n’est pas la diminution de la pondération de l’examen comparativement à la moyenne annuelle (modification des coefficients) qui va régler le problème. Il ne s’agira que d’une modification cosmétique qui n’aura pour effet que de niveler le niveau vers le bas en augmentant artificiellement le nombre d’élèves au secondaire et translater le problème vers le baccalauréat. Et puis, si la note annuelle est aussi importante, pourquoi ne l’est-elle pas dans le cas du baccalauréat?

Il est vrai que la moyenne annuelle dépend du travail de l’élève mais aussi de la qualité des enseignants qui dispensent les cours, de l’organisation de l’établissement, de sa situation géographique et de la clientèle qui le fréquente.

Le vrai défi de l’école algérienne réside, à mon avis, dans la définition claire d’un projet éducatif pour tous les algériens, dans la formation d’un personnel enseignant professionnel et engagé qui croit en sa mission, dans la valorisation de la profession d’enseignant, dans la mise en valeur de l’école et de l’éducation, dans la décentralisation de certains pouvoirs vers les établissements éducatifs, dans la capacité de transformer les écoles en milieux de vie et d’y promouvoir un sentiment d’appartenance et dans un financement adéquat du système éducatif. À titre indicatif, la Finlande, la France et le Québec consacrent respectivement 6,2%, 6,9% et 7,5% de leur PIB à l’éducation. L’Algérie, quant à elle, n’y consacre que 3,7 % de son PIB, en deçà de nos voisins tunisiens ou marocains (~6%)  [7].

Dans son analyse exhaustive du système scolaire finlandais, Paul Robert, principal d’un collège français a souligné que « l’étonnante réussite de l’éducation finlandaise n’est pas seulement due à la prouesse d’une savante construction technocratique : elle a partie liée avec une langue, une culture, un peuple qui a fait du développement de la personne humaine dans toutes ses composantes le but de l’éducation » [8].

Ainsi, lorsque nous aurons décidé collectivement, comme un vrai peuple, que le développement de la personne humaine algérienne est la principale de nos préoccupations, nous relèverons les vrais défis de notre école. Nous ne nous soucierons plus de la modification de quelconques coefficients, car notre école, comme dans les pays développés, se sera affranchie de tout examen de passage.

 


 

Références :

  1. Brighelli, Jean-Paul. La fabrique du crétin, Paris, Jean-Claude Gawsewitch Éditeur, août 2005, 222 p.
  2. Débat 2007.fr. (Page consultée le 26 juin 2007). Enseignement scolaire, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.debat2007.fr/index.php?id=248
  3. Allègre, Claude et Pierre-Luc Séguillon. 10 + 1 questions à Claude Allègre sur l'école, Paris, Michalon, mars 2007, 107 p.
  4. Moncef Mehedhbi. « Encore faut-il que l’Ecole de base cesse d’être une garderie». Le Temps (Tunisie), 26 mars 2007
  5. Marie Cousin. (Page consultée le 27 juin 2007). Le brevet, pour quoi faire?, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.lexpress.fr/info/france/dossier/educationnation/dossier.asp?ida=428303
  6. OCDE. (Page consultée le 27 juin 2007). Programme for International Student Assessment (PISA), [En Ligne]. Adresse URL: http://www.pisa.oecd.org/document/24/0,3343,en_32252351_32235731_38378840_1_1_1_1,00.html
  7. Pôle de Dakar, Analyse sectorielle en éducation. (Page consultée le 28 juin 2007). La situation des systèmes éducatifs en Afrique du Nord, Statistiques 2006, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.poledakar.org/IMG/Afrique_Nord-web.pdf
  8. Paul Robert. (Page consultée le 28 juin 2007). L'éducation en Finlande : les secrets d'une étonnante réussite, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.meirieu.com/ECHANGES/robertfinlande.pdf