21ème SALON INTERNATIONAL DU LIVRE D’ALGER : L’ANEP, UNE GEOPOLITIQUE DE L’INTELLIGENCE !

21ème SALON INTERNATIONAL DU LIVRE D’ALGER : L’ANEP, UNE GEOPOLITIQUE DE L’INTELLIGENCE !

Richard Labévière
7 novembre 2016


Le 9 novembre 2015, prochetmoyen-orient.ch rendait hommage au Salon international du livre d’Alger (SILA), déplorant que cette manifestation culturelle unique soit boudée, sinon boycottée par la grande presse internationale. Si le même constat peut être reconduit un an plus tard, force est de constater que, malgré le conservatisme et la censure des grandes rédactions, la machinerie du SILA persévère et enregistre des percées significatives. Comme l’écrivait Hegel au milieu du XIXème siècle, la raison ne s’impose jamais spontanément dans l’Histoire, mais son opiniâtreté et ses ruses créatrices finissent toujours par fissurer les certitudes gardiennes de l’ordre ancien…

Organisé sous l’égide du ministère algérien de la Culture, le SILA se déroule chaque année dans le palais des foires et des expositions (SAFEX), construit par la Chine en 1962, près de l’aéroport (Esplanade du Complexe olympique Mohamed-Boudiaf). Sa 21ème édition s’est tenue du 26 octobre au 5 novembre 2016. Elle a permis la participation de 961 maisons d’édition, dont 290 algériennes, avec plus d’un million et demi de visiteurs avec des pics de plus de 200 000 entrées quotidiennes ! L’un des rouages principaux de cette belle machine est l’ANEP, l’Entreprise nationale de communication, d’édition et de publicité dont le cahier des charges est l’un des plus beaux qui soient : favoriser la promotion du livre en tant que support essentiel dans la transmission du savoir ; constituer une occasion privilégiée de découvrir les nouveautés de la production intellectuelle, littéraire, scientifique et artistique en Algérie et dans le monde ; contribuer à susciter, consolider et satisfaire le goût et la pratique de la lecture ; offrir un cadre favorable au développement de partenariats professionnels dans les domaines de l’édition et de la diffusion du livre à l’échelle nationale et internationale ; enfin, promouvoir le dialogue et les échanges intellectuels et culturels.

L’ANEP, c’est aussi un fonds de quelques 789 titres, dont 44 nouveautés pour le 21ème SILA (histoire, essais, romans, poésie, livres pour enfants, beaux livres, etc.). Cette année, l’ANEP a organisé 31 ventes/dédicaces, 5 conférences et 9 émissions de télévision en directe sur un stand – tout blanc – fonctionnel et accueillant dont l’architecture originale (c’est une première) a été réalisée par ses propres talents. Histoire et mémoire obligent, L’ANEP a rendu un émouvant hommage à Zahra Lalmania venue de la région de Tkout dans les Aurès – une moudjahida d’origine flamande, plus connue sous le nom de guerre : L’Allemande -, ainsi qu’aux militants et combattants européens ayant participé à la Révolution nationale. Animée par les historiens Daho Djerbal et Rachid Khettab, cette rencontre a été ouverte par Djamel Kaouane – le pdg de l’ANEP – qui a dit toute son émotion d’honorer ainsi « pour la première fois de sa vie l’une des héroïnes de la guerre d’indépendance, bâtisseuse anonyme de l’Algérie d’aujourd’hui », rendant aussi hommage à toutes les Algériennes qui ont sacrifié leur vie pour le pays et aux Français qui ont été du même côté que le FLN-ALN dans le combat pour l’indépendance, citant entre autres Henri Maillot et Maurice Audin.

Engagé depuis des années dans sa mission de promouvoir une « géopolitique de l’intelligence, réponse aux fanatismes et aux terrorismes », Djamel Kaouane a, par ailleurs, insisté sur les autres priorités de l’ANEP, notamment « la diversification des champs d’édition afin de couvrir un maximum de spécialités dont le livre économique »1. Dans cette perspective et dans le cadre du SILA, l’ANEP a organisé quatre conférences à l’Ecole nationale supérieure de journalisme et des sciences de l’information de Ben Aknoun. La première, de Majed Nehmé – directeur du mensuel Afrique-Asie – a permis de faire la genèse et l’histoire de la guerre globale de Syrie. Pour l’occasion, l’édition d’Afrique-Asie de ce mois de novembre nous livre des documents photographiques inédits de la Révolution algérienne, dont un portrait en treillis militaire d’Abdelaziz Bouteflika et un message actuel du président de la République. D’origine syrienne, Majed Nehmé a pu ainsi tordre le coup à nombre d’idées fausses et déconstruire plusieurs opérations récurrentes de propagande empêchant une juste compréhension de ce conflit global dont dépend l’avenir des Proche et Moyen-Orient.

Dans la même perspective de cette « géopolitique de l’intelligence », Ahmed Bensaada – professeur de physique à l’université de Montréal et chercheur en sciences pédagogiques – a pu déconstruire, lui aussi, nombre de mensonges et fadaises sur les mal nommées « révolutions et autres printemps arabes », insistant particulièrement sur le rôle des Etats-Unis dans la fabrication du terrorisme. Cet auteur prolixe et tous terrains a signé ses deux derniers ouvrages : « Arabesques – Enquête sur le rôle des Etats-Unis dans les révoltes arabes »2 et « Kamel Daoud : Cologne, contre-enquête »3. Ce merveilleux auteur a, également insisté sur le rôle des diasporas algériennes, dont les élites multiplient de plus en plus les allers et retours avec le pays natal qui peut ainsi valoriser les meilleurs « retours d’expérience ».

Ancien ambassadeur de France au Soudan, arabisant confirmé et enseignant en géopolitique4 – Michel Raimbaud – le troisième conférencier de l’ANEP a, lui aussi emporté son auditoire d’étudiants, de chercheurs, de journalistes et d’officiers supérieurs de l’armée nationale en présentant la nouvelle édition de son ouvrage qui s’est imposé comme l’un des grands classiques de l’histoire des Proche et Moyen-Orient : « Tempête sur le Grand-Moyen-Orient » paru en février 2015 aux Editions Ellipses et dont une nouvelle édition actualisée et augmentée sera publiée par le même éditeur en février 2017. Traduite en arabe par Loubana Mouchaweh (ancienne ministre syrienne de la culture), cette somme sort en ce moment même à Damas. Enfin, l’auteur de ces lignes a présenté en avant-première à Alger son dernier livre : « Terrorisme, face cachée de la mondialisation »5.

Ces différentes interventions ont illustré le constat d’Asia Baz, directrice des éditions à L’ANEP : « les lecteurs ont soif de découverte »6. Elle ajoute : « de par mon expérience et mes différentes participations au Salon international du livre d’Alger, je peux relever qu’il y a surtout un réel engouement. Un engouement et une curiosité sans cesse renouvelés de la part des Algériens pour toutes sortes de thématiques. L’édition de cette année le confirme encore : la soif de savoir et de connaissance existe et augmente d’année en année (…) Il reste beaucoup à faire au niveau de tous les maillons de la chaîne, de l’imprimeur au libraire en passant par l’éditeur et le point nodal : le distributeur ».

En déambulant dans ce 21ème SILA, nous devons vous recommander d’autres titres exceptionnels, notamment ceux du sociologue Mohamed Balhi : « La route de l’or – Commerce transsaharien, royaumes et civilisations »7 et « Les Phares d’Algérie »8. Impossible aussi de manquer « Les Printemps du désert »9 d’Ammar Belhimer, certainement l’un des livres de géopolitique les plus importants des dix dernières années. Chroniquer au quotidien Le Soir d’Algérie, Ammar Belhimer est docteur en droit, professeur à l’université d’Alger 1. On lui doit également de nombreuses publications en droit économique et droit de la communication. Parmi ses récentes publications : La dette extérieure de l’Algérie : une analyse critique des politiques d’emprunts et d’ajustement, parue chez Casbah-Editions en 1998 et des manuels académiques en langue arabe traitant de l’histoire de la pensée économique, de l’économie politique et de la sociologie du droit.

En picorant, on est aussi passé aux dédicaces de Cherif Abtroun – Si Nasser – ; de Mouloud Achour – Un Automne au soleil – ; d’Ali Haroun – Le Rempart – ; d’Ahmed Doum – De la Casbah d’Alger à la prison de Fresnes 1945-1962 – ; de Farid Bencheikh – La Repentance – ; d’Abderrahmane Djelfaoui – Anna Graki – les mots d’amour, les mots de guerre – et de ces maginifiques écrivaines Kaouther Adimi, Fatma-Zohra Bouzina Oufrida et Nassim Bouloufa. Sur le beau stand de L’Institut français d’Alger, échanges magnifiques avec le modeste Didier Daeninckx, auteur de 80 ouvrages, romans, nouvelles livres pour enfants et scénarios de BD.

Pour sa part, Kaouthar Adimi, qui vient de publier aux Editions Barzakh « Des pierres dans ma poche » n’aime pas trop qu’on mette les écrivains en cage, « je ne crois pas à l’idée de génération dans la littérature de manière aussi clivante. Si je prends des écrivains tels que Riyad Girod, Samir Toumi, Maïssa Bey ou Amara Lakhous, je pense que les styles sont très différents. C’est cela qui est intéressant pour moi, pas le fait d’appartenir à une génération. C’est la diversité qui permet de dire qu’il existe une littérature algérienne qui se nourrit des anciens, qui sort des rails et qui s’envole… »

Autrement dit, avec plusieurs centaines d’éditeurs étrangers aussi dont les égyptiens – leur pays était l’invité d’honneur après la France, l’année dernière – une fois encore le Salon international du livre d’Alger a tenu ses promesses conformes à l’ambition du patron de l’ANEP Djamel Kaouane : « la géopolitique de l’intelligence » pour répondre aux fanatismes et aux terrorismes. Et aussi pour, comme l’écrit Spinoza dans son Ethique, persévérer dans son être en cultivant la joie… étant entendu que plus on progresse dans le savoir et la connaissance, plus on augmente ses dispositions et capacités à l’accès au bonheur ! Bonne lecture et à la semaine prochaine…



1 El-Moudjahid, 3 novembre 2016.
2 Ahmed Bensaada : Arabesques – Enquêtes sur le rôle des Etats-Unis dans les révoltes arabes. Préface de Majed Nehmé. ANEP-Editions, 2016.
3 Ahmed Bensaada : Kamel Daoud : Cologne, contre-enquête. Préface de Jacques-Marie Bourget, Editions Frantz-Fanon, premier semestre 2016.
4 Michel Raimbaud : Le Soudan dans tous ses Etats. Editions Karthala, octobre 2012.
5 Richard Labévière : Terrorisme, face cachée de la mondialisation. Editions Pierre-Guillaume de Roux, novembre 2016.
6 Le Soir d’Algérie, 4 et 5 novembre 2016.
7 Mohamed Balhi : La route de l’or – Commerce transsaharien, royaumes et civilisations. ANED-Editions, 2016.
8 Mohamed Balhi : Les Phares de l’Algérie – Vigies de la côte. Photographies de Zinedine Zebar. Casbah Editions, 2015.
9 Ammar Belhimer : Les printemps du désert. ANEP-Editions, 2016.

 


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