Révolte de la rue arabe, un carré de fromage entre pain blanc et pain brun

Il y a ceux qui disent et confirment avec preuves à l'appui que les États-Unis ont  une main de pieuvre dans le déclenchement des révoltes de la rue arabe.  Il y a ceux aussi, qui sont irrités par la dégarniture des dessous, car ils se sentent démasqués et qu'on a levé le voile et déterré la collaboration de la main étrangère.

Et il y a bien sûr et également, ceux et celles qui s'en fichent de l'implication de l'un ou de l'inculpation de l'autre.  Ils forment la grande majorité.  Pour ceux-là, l'essentiel est que les tyrans soient renvoyés à jamais dans l'enfer de l'humiliation et de l'oubli.

À Montréal, dans l'enceinte universitaire québécoise où, à l'intérieur de l'amphithéâtre du pavillon J. A. De Sève, le thermomètre explosait de chaleur nord africaine alors, qu'à l'extérieur, il frôlait et caressait le moins vingt degrés Celsius.  L'occasion rassemblait trois conférenciers invités à parler du premier anniversaire du printemps arabe et discuter justement de la naissance, l'ingérence et de la montée de la couleur islamiste teintant les résultats des élections post-révoltes.

Le débat, si on peut l'appeler ainsi, a été entre le scientifique, le social-politique et le philoso-politique.

Dans un premier temps, le scientifique Ahmed Bensaada, auteur du livre «Arabesque Américaine», a relaté les faits et les dessous de la révolte de la rue arabe. Dans une présentation PowerPoint et multimédia, l'auteur nous fait voyager à travers l'histoire de ce mouvement qui a embrasé les pays de l'Est (révolutions colorées avec un clin d'œil sur la révolte iranienne, révolution verte) pour ensuite contaminer la rue arabe.

Le cas de l'Égypte a pris la part du lion dans cet exposé.  Chose certaine, cette révolution a été le cas empirique et pratique des autres mouvements qui ont suivi.  Tel que décrit dans son livre, monsieur Bensaada a exposé la situation avec une impartialité indifférente.  Il était, par exemple, dans son exposé, dans l'obligation d'intégrer et d’incorporer des mises à jour.

Le deuxième conférencier, Mezri Haddad tunisien d'origine, présent virtuellement par Skype a pris le monde par un dribble philosophique.  On s'attendait aux scoops sur la fuite de Ben Ali ou de la divulgation de ce qui se passait dans les coulisses  à la veille du 14 janvier 2011.  Pas du tout, que des concepts philosophiques, abstraits et conjecturaux.  Mais, ce qui a été remarqué dans son intervention, c’est sa maîtrise de l'espace géopolitique et sa connaissance du tissu révolutionnaire de la carte de la rue arabe.  Il a été cependant respectueux du thème pour lequel il était invité à discuter, c'est-à-dire l'islamisme et l'Occident.

Le troisième conférencier était nul autre que Fodil Boumala.  D'entrée de jeu, l'utilisation de la démagogie et les jeux de mots lui ont servi de prétexte et de goulet pour se faufiler et ne pas allumer la lanterne de l'audience venue écouter l'expérience de la révolte algérienne avortée.  On aurait dû inviter Mohamed Harbi, Benjamin Stora ou n'importe quel historien pour écouter ce qu'il a relaté pendant plus d'une demi-heure et à la manière d’un caméléon!

Je dois avouer qu'il est un bon communicateur dans le sens où sa maîtrise de la recherche de l'émotionnel, de l'affectif et du passionnel de l'auditoire est très séduisante.  Il n'a guère évoqué le sujet relatif à la coalition nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), ni de sa démission ou renoncement et ni de son avenir.  Je pense qu'il s'est recyclé hâtivement en devenant conférencier... international.

Après les trois prestations, l’assistance s'est mise en file indienne pour poser des questions aux trois conférenciers.  La première cohorte de cinq intervenants a posé des questions seulement à Ahmed Bensaada et à Fodil Boumala à tel point que Mezri Hadda a lancé à la blague, qu'il a des réponses si jamais l'assistance a des questions!
Les questions tournaient autour du pourquoi de l'intervention de l'État américain, ami des tyrans et des dictateurs arabes, dans le soutien des cyberdissidents.  D’autres questions ont été ensuite adressées à monsieur Boumala en rapport à son implication et son retrait de la disparue CNCD.

C'est à ce moment que le débat a commencé à prendre des allures intéressantes, voire jouissives.  Alors que Fodil Boumala s'est senti visé et attaqué par les arguments de Ahmed Bensaada, il s'est dépêché à s'exalter et à se péter les bretelles pour se vanter d'avoir pris une tasse de thé à la Roosevelt Room with «mister the president, Barak Hussein Obama».  Je salue son courage et son honnêteté de nous avoir divulgué son accointance avec les services de l'oncle Sam.  Pour ce « clair-obscur », ce serait son amour pour l'Algérie, la démocratie et les droits de l'homme qui l'ont poussé à s’acoquiner avec les américains!

Petite anecdote bien étrange: parmi les questions posées par l’assistance, on a noté toute une  interrogation qualifiée d'ignoble, d'ignominieuse et de raciste par l'audience.  L'assistance ne s'attendait pas à une telle observation qui n'avait aucun lien ni avec le sujet ni avec le contexte.

Après avoir adressé à monsieur Bensaada, un intellectuel de l'Oranie, une série de questions et de critiques, la personne dont nous nous efforçons à garder l'anonymat, s'est tournée vers monsieur Boumala pour lui demander des nouvelles sur l'enquête entourant la mort de l'activiste Kerroumi  car, ce dernier était, d'après l'intervenant anonyme, le seul intellectuel avec Lahouari Addi qu'a connu la région oranaise! Sectaire, régionaliste et plumitif inculte, cet intervenant l’était, hors de tout doute raisonnable.

Toute une insulte à la mémoire d'un peuple formant la région de l'ouest algérien.  Je me souviens et je retiens une information que m’avait révélée M. Ali Yahia Abdenour lors de son passage à la ville de Québec en 1993 : la région de l'Oranie (et ses intellectuels!) avait vu sa demande d’agrément de parti politique refusée. Le parti se nommait  FPLO, Front populaire pour la libération de l'Oranie.

Que retenir de cette rencontre?  Un aréopage hétéroclite dans lequel le scientifique a montré sa constance dans sa démarche et dans son raisonnement argumenté, un philosophe-politicien noyé dans les limbes de la rhétorique et, finalement, un sociologue-caméléon qui n'a pas froid aux yeux  et qui a réussi à décevoir et désenchanter une assistance qui s’était déplacée en grand nombre malgré le froid sibérien.

Montréal, le 26 janvier 2012

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