Place de l’école dans le cyberespace algérien

 

Le mois d’avril a été très prolifique en bonnes nouvelles concernant l’Internet en Algérie : baisse de 50% des prix, consécration du 20 avril comme journée nationale de l’Internet, connexion de près de 90% des établissements scolaires et de la totalité des communes du pays à l’Internet haut débit. Un vrai printemps dans le cyberespace algérien!

À vrai dire, il était temps que les pouvoirs publics interviennent énergiquement : les indicateurs en la matière sont tous au rouge. Le dernier rapport de l’Union internationale des télécommunications [1] révèle que le taux de pénétration de l’Internet ne dépasse pas 9,1% alors qu’il est de 9,5% pour la Tunisie et de 15,2% pour le Maroc. À titre de comparaison, ce taux est 55% pour la France, 72% pour le Québec et 85% pour l’Islande.

En matière d’ordinateurs dans les ménages, les chiffres ne sont pas reluisants. On compte 2,4 ordinateurs pour 100 habitants en Algérie alors que le Maroc et la Tunisie en ont  respectivement 2,6 et 5,7. À noter qu’au Québec, ce taux est de 85% dans la population en général, mais frise les 95% lorsqu’on considère les familles ayant des enfants scolarisés. Encore faut-il préciser que le Québec détient la triste place de la province la moins nantie dans ce domaine de toutes les provinces canadiennes. D’aucuns me reprocheront encore de comparer le Québec à l’Algérie et de prétendre que cette comparaison n’est pas constructive. Bien au contraire, les indicateurs de cette province étaient très faibles, il y a à peine 10 ans. Grâce à une politique agressive, elle a réussi à se hisser parmi les pays les plus enviés du monde. Constatez par vous-même : 4% de familles branchées en 1996, 72% en 2007; 24 ordinateurs pour 100 habitants en 1996, 85% en 2007. Voyant la fracture numérique se creuser au sein de la population, le gouvernement québécois n'a pas hésité à subventionner, durant les années 2000 et 2001, l’informatisation des ménages à faibles revenus. Ce programme, baptisé « Branchez les familles sur Internet » [2], accordait 75 % du coût total d’abonnement à Internet
jusqu'à concurrence de 200 $/an et une subvention de 500$ pour l’achat d’un ordinateur. Pas moins de 200 000 familles se sont prévalues de cette généreuse mesure.

Le programme Ousratic a tout intérêt à s’inspirer de cette mesure pour prétendre atteindre ses objectifs. La baisse de la TVA et du taux d’intérêt des prêts bancaires sont des mesures positives mais encore trop timides. Le gouvernement devrait aider les familles ayant des enfants scolarisés ou universitaires à acquérir des ordinateurs en prenant en charge la totalité des intérêts pour autant qu’un apport initial correspondant au quart (ou au tiers) du prix d’achat soit fourni par la famille. Évidemment, le prix d'achat doit être plafonné à un montant réaliste et ne pas permettre des achats d’équipements considérés comme luxueux. D'autre part, tous les enseignants devraient, eux-aussi, bénéficier d’une telle mesure, qu’ils soient du niveau primaire, collégial, secondaire ou universitaire. En effet, la mesure avancée par le ministère des Postes et des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) et celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique en faveur de la dotation des enseignants universitaires en outils informatiques a une saveur élitiste et quelque peu discriminatoire.

Qu’en est-il maintenant du cyberespace scolaire?  À par le pourcentage cité au début de cet article et qui estime à 90% le taux de branchement des écoles, les données ne sont pas disponibles pour le commun des mortels. Une des données les plus importantes en termes de pénétration des TIC dans le monde scolaire est le ratio « nombre d’élèves par ordinateur ». À ce sujet, le rapport exhaustif de l’OCDE [3] montre que la plupart des pays occidentaux participants ont un ratio inférieur à 10. La palme revenant au Liechtenstein (ratio = 3) devançant les USA, l’Australie, la Corée et le Canada tous détenant des ratios inférieurs à 5. La Tunisie, qui a participé à cette enquête comme pays partenaire, s’est vu affublée du plus mauvais score des 41 pays participants, soit un ratio autour de 80!

En 2007, au Canada, le nombre d’élèves par ordinateur variait de 4 pour le Manitoba à 8 pour le Québec,  bon dernier des 10 provinces canadiennes [4]. L’annonce de cette « mauvaise » performance par Statistique Canada au début de l’année scolaire a immédiatement fait réagir la Ministre de l’Éducation du Québec : à partir de l’année scolaire 2007-2008, une enveloppe récurrente de 30 millions de dollars sera investie annuellement dans les établissements scolaires pour i) l’acquisition de nouveaux équipements informatiques dans les écoles publiques, ii) le rajeunissement du parc informatique et iii) le rattrapage du retard avec les autres provinces du Canada. Ce n’est pas la première fois que des mesures énergiques sont prises dans le domaine des TIC à l’école québécoise. Déjà, en 1996, un plan quinquennal avait permis de faire passer le ratio élèves/ordinateur de 21 à 6.

En Algérie, il faudrait rapidement quantifier le ratio élèves/ordinateur et préciser la signification réelle du  taux de branchement des écoles. En effet, certains établissements possèdent des laboratoires d’informatique équipés avec quelques dizaines de micro-ordinateurs, mais ceux qui sont branchés à Internet se comptent sur les doigts d’une seule main. Faut-il alors considérer que l’établissement est branché? À mon avis, non. Un établissement branché est celui qui possède, au minimum, un laboratoire de 30 à 40 postes informatiques tous branchés à la toile. Dans les écoles canadiennes, par exemple, la distinction entre la notion d’équipement en ordinateurs et celle de branchement ne se fait plus, car la quasi-totalité des postes informatiques est reliée à Internet. Ainsi, le ratio élèves/ordinateur est implicitement un ratio élèves/ « ordinateur branché ».

Réagissant à un de mes précédents articles [5], un confrère a écrit : « Pourquoi développer massivement d'autres besoins du savoir et de connaissances, alors que ceux élémentaires, aussi bien socioéducatifs que culturels, émancipateurs eux aussi, ne sont pas satisfaits et, donc non satisfaisants ? Si l'enseignement des connaissances par la craie et le tableau est vu, par celui qui le donne, qu'il est le mieux adapté à son état d'esprit et, de ceux de ses élèves, pourquoi exiger plus de ce «niveau» de savoir ? » [6].

La réponse est bien simple et peut se résumer en trois points. Tout d’abord, l’École doit être en phase avec l’évolution de la société, répondre aux besoins de ses citoyens et utiliser les récentes innovations pédagogiques basées sur les sciences cognitives. Ensuite, de nombreuses études ont montré de manière explicite que l’utilisation régulière des TIC a pour effet d’améliorer  significativement les résultats des élèves tout particulièrement en mathématiques [3] et en lecture [7]. Finalement, les TIC permettent l’instauration d’une pédagogie du projet qui a pour objet de favoriser la coopération, la métacognition, la différenciation pédagogique et l’augmentation de la motivation des élèves. Il va sans dire que la craie et le tableau noir (si chers à mon confrère, et dont il est hors de question de faire table rase), ne permettent qu’une approche magistrale de l'enseignement dont les limites ont été souvent décriées et dans laquelle l’élève est passif contrairement à l’approche par projet où il est le principal artisan de son apprentissage.

Dans sa réforme de l’éducation basée sur l’approche par compétences, le Ministère de l’Éducation du Québec a défini neuf compétences transversales regroupées en quatre ordres [8]. Conscient de l’importance des nouvelles technologies, une de ces compétences (la sixième) a été intitulée: «Exploiter les Technologies de l’Information et de la Communication ». En d’autres termes, l’élève québécois du niveau primaire et secondaire doit utiliser les TIC, tirer profit de cette utilisation et évaluer son efficacité.

Il est clair que le déploiement des TIC dans le milieu scolaire, bien qu’il soit tributaire d’un faible ratio élèves/ordinateur, est fortement lié à la formation des enseignants, à leur aptitude à s’approprier de nouvelles approches pédagogiques et à leur volonté de participer au renouveau de la profession enseignante. Pour cela, il est impératif: i) que  des conseillers pédagogiques soient formés, ii) que  des formations adéquates pour les enseignants soient mises sur pied et iii) que  le temps de conception et d’expérimentation d'activités pédagogiques soit comptabilisé dans la tâche des enseignants.

Un autre domaine où le bât blesse est celui du nombre ridiculement bas de sites web algériens et de la faible  production de contenu. Là aussi, l’École a un  rôle de catalyseur à jouer. Chaque établissement scolaire devrait se doter d’un site web conçu par ses élèves, sous la direction de leurs enseignants. Des concours régionaux et nationaux primeraient les meilleures réalisations, ce qui aurait pour effet de créer une atmosphère d’émulation. À cet effet, l’initiative du Trophée Med-It 2008 qui a récompensé de superbes sites web sur le patrimoine culturel algérien doit être soulignée et généralisée à d’autres domaines.

La mise en ligne de portails éducatifs est une des applications les plus prometteuses des TIC en Éducation. Ces plateformes informatiques ont des fonctionnalités très utiles pour les élèves, les parents, les enseignants et tous les intervenants du monde éducatif. Elles permettent, par exemple, aux enseignants de consigner leurs notes dans un bulletin en ligne, aux élèves de consulter des ressources spécialement conçues pour eux, aux parents d’accéder à des informations sur la progression et les résultats de leurs enfants et au personnel administratif de gérer les dossiers académiques. Les portails servent à la création de communautés d’apprentissage, facilitent le jumelage pédagogique et permettent le partage de ressources pédagogiques entre enseignants n'appartenant pas au même établissement scolaire. Chaque Direction de l’Éducation de Wilaya et le Ministère de tutelle auraient tout intérêt à s’équiper avec de tels outils qui seraient conçus et administrés par des professionnels.

L’incursion des TIC en pédagogie a engendré de nouveaux dispositifs éducationnels. Ainsi, parle-t-on du e-learning (apprentissage électronique ou en ligne) et de l’école virtuelle qui sont deux concepts différents. L’idée de la virtualité d’une école est très séduisante car elle permet de s’affranchir de la notion d’espace et de temps. Néanmoins, cette école cybernétique présente des inconvénients majeurs. En effet, l’élève, face à son écran est souvent livré à lui-même et souffre d’un déficit de motivation. Ce type d’enseignement  profite principalement aux apprenants dits « visuels ». Luc Lambrecht [9] résume ainsi le problème : « Suivre un cours à distance, c’est comme suivre un régime : il vous faut une bonne dose de motivation et de discipline pour aller jusqu’au bout ». Cela veut-il dire que l’école virtuelle est vouée à la disparition? Non, bien au contraire, elle de beaux jours devant elle. L’école virtuelle est un outil de choix pour certains types d’enseignement technique, pour la formation continue au sein des entreprises et pour les personnes résidant dans des régions géographiquement éloignées des grands centres urbains.

Mais il faut qu’elle s’adapte à tous les profils d’apprenants, qu’elle se dote d’un contenu riche et attrayant et qu’elle soit facilement accessible. Les spécialistes parlent des 4 C : connectivité, capacité, contenu et culture. Le succès que connaît l’excellente plateforme ClicForma de l’EEPAD [10] s’appuie en grande partie sur une motivation accrue des élèves assurée par la nécessité de réussir aux examens du BAC et du BEM et, bien entendu, sur le faible coût actuel d’accès aux contenus disponibles.

En fait, c’est la « froideur » de l’ordinateur qui pose problème. Un apprentissage efficace est une interaction complexe et constructive entre le transmetteur et le récepteur du savoir. La tendance actuelle est alors une judicieuse combinaison entre l’enseignement traditionnel et le e-learning. Les cours en ligne sont conçus par des pédagogues qui privilégient des approches pédagogiques novatrices, plus performantes que les approches skinériennes que l’on rencontre souvent dans ce type d’enseignement. Même si l'apprentissage est « électronique », les apprenants peuvent interagir régulièrement avec des enseignants chevronnés qui suivent leur progression et leur servent de tuteur, voire de mentor.

Le e-learning ne remplacera jamais l’école traditionnelle. Mais il peut l’aider à sortir des sentiers battus, à améliorer ses performances, à la mettre en phase avec les progrès techniques et, surtout, à la brancher à un cyberespace qui ne cesse de croître et dont les ressources sont de plus en plus incommensurables.

J’aimerais dire à mon confrère cité auparavant [6] que l’école algérienne conservera son tableau et de quoi écrire dessus. Sauf que ce tableau sera, dans un avenir proche, un tableau blanc interactif à écran tactile, doté d’une foule d’applications et qu’on peut utiliser avec le bout de notre doigt. Un tableau branché à Internet, ouvert sur le monde, et résolument tourné vers le futur. Exactement comme notre École se doit d’être.

 


 

Références :

  1. International Telecommunications Union (ITU). 2007. (Page consultée le 18 avril 2008). World Information Society Report 2007.  Geneva: ITU, [En Ligne]. Adresse URL:  http://www.itu.int/osg/spu/publications/worldinformationsociety/2007/index.html
  2. Revenu Québec. (Page consultée le 20 avril 2008). Le programme « Brancher les familles sur Internet », [En Ligne]. Adresse URL:  http://www.revenu.gouv.qc.ca/fr/ministere/centre_information/nf/nf2000/in-136_51/brancher.asp
  3. OCDE (2005). “Are students ready for a technology-rich world?” Résultats de la recherche PISA 2003, téléchargeable à l’adresse: http://www.oecd.org/dataoecd/28/4/35995145.pdf
  4. Statistique Canada. «  Indicateurs de l'éducation au Canada : Rapport du programme d'indicateurs pancanadiens de l'éducation 2007». Ce document est téléchargeable à l’adresse suivante: http://www.statcan.ca/francais/freepub/81-582-XIF/81-582-XIF2007001.htm
  5. A. Bensaada, « Plaidoyer pour des classes branchées en Algérie ». Le Quotidien d'Oran, 8 avril 2007, p.8.
  6. A. Brahimi, « Imaginer le savoir ». Le Quotidien d'Oran, 12 avril 2007, p.13.
  7. J. SCLATER et al. « Ubiquitous Technology Integration in Canadian Public Schools: Year one Study » La Revue canadienne de l'apprentissage et de la technologie, vol. 32, no 1, 2006.
  8. A. Bensaada, «Les lycéens, la rue et l’approche par compétences». Le Quotidien d'Oran, 12 février 2008, p.7.
  9. L. Lambrecht. (Page consultée le 5 mai 2008). L’e-learning exige une discipline de fer, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.agoria.be/
  10. Clicforma.com. (Page consultée le 5 mai 2008). Plateforme de télé-enseignement, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.clicforma.com/