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L’Occident, les réseaux sociaux et les révoltes populaires

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Décidément, les réseaux sociaux et la politique forment un mélange explosif qui donne du fil à retordre à bons nombre de dirigeants, aussi bien orientaux qu’occidentaux. En Orient, ils ont indéniablement joué un rôle très important dans les révoltes arabes et ont permis la sensibilisation et la mobilisation des foules qui ont envahi les rues même si elles n’ont pas toutes abouti au renversement des pouvoirs en place. En Occident, les récents évènements londoniens nous ont aussi démontré l’efficacité de ces réseaux. Mais avec une différence notable : ce qui est bien pour les uns ne l’est pas forcément pour les autres.

 

La rue orientale

Des cyberdissidents arabes, dont certains ont été choisis pour leur leadership et formés par des organismes occidentaux spécialisés dans ce domaine [1], ont été des acteurs-clés dans les événements qui ont récemment ébranlé le monde arabe. On en trouve même qui sont devenus des stars, tel Wael Ghoneim, le cyberactiviste égyptien nommé, en avril dernier, « l’homme le plus influent du monde » par le magazine américain Time [2].

L’effervescence de la rue arabe a été accompagnée par une orchestration parfaite d’interventions médiatiques occidentales dénonçant les gouvernements en place de vouloir museler les médias sociaux et la blogosphère.

Déjà en 2009, lors des émeutes iraniennes, Hillary Clinton, la secrétaire d’État américaine, déclarait que « Twitter était important pour la liberté d’expression iranienne » [3]. Le département d’État américain avait même demandé à Twitter de reporter une opération de maintenance susceptible d’entraîner une interruption de service, ce qui aurait privé les activistes iraniens de moyens de communication. Et Twitter avait obtempéré [4]. De plus, l’administration américaine a financé le développement d’outils informatiques permettant le contournement de la censure. Ainsi, des programmes comme TOR ont été utilisés par les cyberdissidents iraniens et arabes pour déjouer la cybersurveillance étatique.  Des concepteurs de ce programme comme Jacob Applebaum ont sillonné le monde arabe pour y donner des formations. Il a été prouvé qu’il a travaillé en étroite collaboration avec les cyberdissidents tunisiens et égyptiens au plus fort des émeutes qui ont touché ces deux pays [5].

Entre le 28 janvier et le 2 février 2011, lorsque les autorités égyptiennes ont complètement coupé Internet, madame Clinton avait déclaré : « Les autorités doivent permettre les manifestations pacifiques et mettre fin aux mesures sans précédent qu'elles ont prises pour bloquer les communications » [6]. Afin d’aider les activistes égyptiens à communiquer avec l’extérieur malgré « l’extinction » d’Internet, Google et Twitter ont développé en un temps record un service nommé Speak2Tweet. Cette application permet de composer des numéros de téléphone mis gratuitement à la disposition des cyberdissidents et d’y laisser des messages vocaux qui sont automatiquement transformés en messages Twitter [7] pour être ensuite diffusés via Internet.

Ainsi, tous les moyens ont été utilisés pour permettre l’utilisation optimale des réseaux sociaux par les cyberdissidents iraniens ou arabes pour déstabiliser leurs gouvernements.

 

La rue occidentale

Les émeutes londoniennes ont surpris tous les observateurs par leur ampleur. David Cameron, le premier ministre britannique, en a profité pour faire de multiples déclarations. Mais celle qui a le plus attiré l’attention concerne les réseaux sociaux : « Lorsque les gens utilisent les réseaux sociaux pour des actions violentes, nous devons les en empêcher. Nous travaillons avec la police, les services de renseignement et les industriels pour étudier la manière dont nous pourrions empêcher ces personnes de communiquer via ces sites et services lorsque nous savons qu'ils préparent des actes criminels ou violents » a-t-il annoncé [7]. Ainsi, pour M. Cameron, il est recommandé de priver les émeutiers de réseaux sociaux lorsque la révolte de la rue britannique pose problème. Le principe de liberté d’expression tant louangé dans le cas de la rue orientale n’a apparemment plus raison d’être sur les Terres de sa Majesté et ses sujets 1.

Et madame Clinton n’est même là pour le remettre à l’ordre ni pour lui servir une de ses fameuses tirades sur les bienfaits de l’utilisation des réseaux sociaux. Mais comment aurait-elle pu se le permettre, alors que son administration a fait pire? En effet, lors du sommet du G20 en 2009 à Pittsburg, deux activistes américains ont été emprisonnés pour avoir utilisé ces réseaux afin d’aider des manifestants [8].

Une autre anecdote illustre bien le double langage de l’administration américaine en matière de liberté d’expression. Le 16 février 2011, en plein « printemps arabe », Hillary Clinton prononça un discours à l’université de Washington. Elle y condamna les gouvernements qui réprimaient la liberté d’expression des manifestants et glorifia le pouvoir libérateur d’Internet. Ray McGovern, un militant politique américain assistait à ce discours qualifié de « spectaculairement hypocrite » par le journaliste John Pilger [9]. Excédé par tant de mauvaise foi, le militant se leva dans la salle et tourna le dos, en silence, à madame Clinton. Il fut appréhendé manu militari par les services de sécurité, traîné hors de la salle et, ensuite, jeté en prison, ensanglanté. Pourtant, il n’avait utilisé ni les slogans de l’avenue Bourguiba ni les pancartes de la place Tahrir. Pas même un petit « dégage ». Madame Clinton qui regardait la scène continua son discours comme si de rien n’était. Pas même un petit trémolo.

La dernière nouvelle2 concernant le sort réservé aux futurs émeutiers occidentaux nous vient de la France. On vient en effet d’apprendre que depuis le premier juillet 2011, les forces de l’ordre de l’hexagone peuvent, dans certains cas, tirer à balles réelles sur les manifestants. Par exemple, si vous faites partie d’un « attroupement ou rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public », vous risquez de vous faire « légalement » tirer dessus (article 431-3 du code pénal) [10].

 

À voir la tournure des évènements, la promulgation de lois liberticides et les déclarations des leaders occidentaux, on se demande s’il va bientôt être moins dangereux de manifester dans les pays qualifiés de « totalitaires » que dans ceux où la démocratie fleurit sur les trottoirs.

 


Notes

  1. Nous venons d'apprendre que 2 émeutiers britanniques viennent d'être condamnés à 4 ans de prison chacun pour "incitation à des émeutes sur Facebook": lire l'article
  2. Bien que cette information (référence [10]) se soit avérée quelque peu galvaudée par certains médias électroniques, toujours est-il que les policiers français ont actuellement le droit de tirer à balles réelles sur des manifestants s'ils se sentent menacés ou pris comme cible. Il faut dire que même dans cette éventualité, un tel usage de la force dans le cas de la rue orientale aurait provoqué une levée de boucliers de tous les politiques occidentaux et de leurs médias. La couverture médiatique du "printemps arabe" nous le prouve.

Références

  1. Ahmed Bensaada, « Arabesque américaine », Éditions Michel Brûlé,  Montréal (2011).
  2. Le Point.fr, « Waël Ghonim, homme le plus influent du monde selon Time »
  3. AFP, « Hillary Clinton: Twitter Important for Iranian Free Speech »
  4. Ahmed Bensaada, Géostratégie, « Téhéran-Gaza : la différence médiatique »
  5. John Moroney, NECN, « Mass. company helps activists avoid online government censorship »
  6. Le Point.fr, « Hillary Clinton appelle l'Égypte à réfréner les forces de l'ordre »
  7. The Official Google Blog, « Some weekend work that will (hopefully) enable more Egyptians to be heard »
  8. Le Monde.fr, « David Cameron souhaite priver les émeutiers de réseaux sociaux»
  9. John Pilger, Truthout, « Behind the Arab Revolt Is a Word We Dare Not Speak »
  10. Lorelei, Agoravox, « France : Un nouveau décret autorise la police à tirer à balles réelles sur les manifestants »

Cet article a été publié le 18 août 2011 dans les colonnes du journal "Le Quotidien d'Oran"

et sur le site de "Palestine-Solidarité"


 

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