Le football est le reflet de notre société. Regardez bien l'expression d'un joueur sur le terrain, c'est sa photographie dans la vie.
Aimé Jacquet
Comme pour la plupart des activités humaines, la foi a toujours été mêlée au sport. Déjà, chez les Grecs de l’Antiquité, les différents jeux sportifs étaient intimement liés au culte religieux de l’époque. Ainsi, les Jeux olympiques étaient dédiés à Zeus, les Jeux pythiques honoraient Apollon et les Jeux isthmiques célébraient Poséidon. En ces temps, on pensait dur comme fer que c’étaient les Dieux qui octroyaient la victoire à l’athlète. Messagère des Dieux, la victoire était représentée sous la forme d’un personnage féminin ailé qui s’envolait dans les airs pour venir offrir la couronne divine au vainqueur. C’est d'ailleurs le nom de cette messagère que porte Nike, le célèbre équipementier sportif.
Personnification de Nike: la Victoire ailée de Samothrace (180-160 av. J.-C.)
On ne peut pas dire que cela ait vraiment changé si l’on en croit les différentes manifestations spirituelles qui ont envahi les arènes sportives et les pages croustillantes des journaux spécialisés. Mais de tous les sports, c’est certainement le football, avec son statut de sport-roi qui détient la palme. Cela est probablement dû à la surmédiatisation de ce sport, mais peut-être aussi à la similitude entre les décorums footballistique et religieux : les temples, les fidèles, les offices, les saints, les chants, les communions et, bien sûr, les batailles contre les infidèles.
Le foot et la croix
Les manifestations de la foi chrétienne dans le foot sont légion. Du légendaire et omniprésent signe de croix à l’entrée du terrain, aux cantiques ou « carols » chantés dans les gradins de Highbury ou Anfield Road, la liturgie est complète. Certaines équipes ont même été constituées dans une même ville sur une séparation catholique-protestant comme c’est le cas pour les deux formations de Glasgow : les Celtics et les Rangers.
D'autres pratiques, moins médiatisées, montre que cette ferveur religieuse est bien présente dans la conscience collective. Duncan Edwards, un footballeur de talent jouant à Manchester United et dans l’équipe des trois lions dans les années 50, a été victime d’un accident d'avion et mourut dans la fleur de l'âge, en 1958. Trois ans plus tard, il eut droit à un vitrail le dépeignant dans l’église de sa ville natale, sanctification suprême pour un joueur de foot [1].
Le vitrail de Duncan Edwards à l'église Saint-François (Dudley, GB)
Dans l’histoire récente, le comportement collectif des joueurs du Brésil à fait coulé beaucoup d’encre. À la suite de leur victoire lors de la coupe des confédérations en 2009, les Brésiliens ont affiché publiquement leur foi par une prière collective en rond et des T-shirt mentionnant « I belong to Jesus » (J’appartiens à Jésus). La FIFA, qui n’a pas apprécié ce débordement de religiosité aurait envoyé un sérieux avertissement à l’équipe du Brésil leur demandant de « modérer » leur ferveur [2]. Cette décision provoqua le courroux du président de la Fondation Jean-Paul II pour le sport qui déclara qu’ «épurer le sport des valeurs éthiques que la foi chrétienne et l'Église catholique répandent depuis des siècles est une erreur » [3]. Pourtant, on peut lire sur le site de la FIFA que « les joueurs ne sont pas autorisés à exhiber des slogans ou de la publicité figurant sur leurs sous-vêtements. L’équipement de base obligatoire ne doit présenter aucune inscription politique, religieuse ou personnelle. Un joueur ôtant son maillot pour dévoiler tout type de slogan ou publicité sera sanctionné par l’organisateur de la compétition » [4].
Kaká et son T-shirt « I belong to Jesus »
Kaká, la star du football brésilien et mondial qui arbore régulièrement son « I belong to Jesus », est notoirement connu comme un membre actif de « Renascer em Cristo » (Renaître en Christ), une des plus importantes Églises évangéliques du Brésil. Questionnée sur le montant record du contrat de son mari avec le Real de Madrid en pleine période de crise, son épouse expliqua simplement que Dieu avait mis cet argent entre les mains du Real pour que ce club puisse s'offrir Kaká qui, à son tour, pourra ouvrir une église à Madrid « où il existe tant de vies qui doivent écouter notre parole » [5]. Cette foi affichée et assumée n'a pas empêché ce footballeur d’avoir un comportement aux antipodes de celui d’un enfant de chœur. Se faisant vengeance lui-même, il se mérita un carton rouge lors du récent match Brésil - Côte-d’Ivoire. Pourtant, le précepte évangélique ne dit-il pas « si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tends-lui aussi la gauche »?
Pis encore, lors du même match, le brésilien Luis Fabiano a non seulement marqué un but en contrôlant le ballon avec sa main, mais l'a publiquement revendiqué comme tel en précisant « C'est vrai, le ballon a frappé ma main, puis a touché mon épaule [...]. C'est donc une main sainte, de Dieu. Je crois que c'est un des plus beaux buts que j'ai marqués » (sic) [6]!
La main de Luis Fabiano lors du match Brésil- Côte d'Ivoire
Au-delà des messages imprimés sur des vêtements cachés par la tenue de l’équipe et qui sont montrés à l’occasion, certaines stars tatouent des messages à même la peau. C’est le cas de David Beckham qui, parmi la multitude de dessins qui jonchent sont corps, s’est fait tatouer une croix ailée bien visible sur la nuque [7]. N’est-il pas un signe ostentatoire? Et que dirait la FIFA si quelqu’un, par excès de ferveur religieuse, se faisait tatouer un message religieux sur le cou ou le front? Les textes actuels prévoient-ils une telle situation? Pas si sûr.
En Argentine, la foi et le foot sont si intimement liés qu’il est souvent difficile de faire la part des choses. Ainsi, la Bombonera, stade mythique du club Boca Juniors, n'est pas uniquement le lieu de joutes footballistiques épiques, mais aussi celui du repos éternel. En effet, de nombreux supporters du club demandent à ce que leurs cendres soient dispersées sur le terrain et tout autour de ce temple [8].
Dans les faits, cette foi feinte fait régulièrement place à des comportements complètement dénués de moralité. À ce titre, on a assisté avec stupeur à une scène ubuesque durant le match Argentine-Mexique : l’Argentin Carlos Tévez marque un but en position flagrante de hors jeu et vient par la suite le revendiquer avec son équipe lorsque l'arbitre hésite à l’accorder. Sans scrupules, il déclara après le match: « Je sais que j'étais hors-jeu, que c'était égoïste, mais aussi longtemps qu'on me dira qu'il y a but, ce sera bon pour moi et pour l'équipe » [9]. Mais où sont donc passés les principes moraux véhiculés par la religion ?
Mais ce qui est le plus surprenant dans le foot, à mon avis, c’est cette propension à donner une essence divine à des gestes pour le moins délictueux. Citons, par exemple, un des fameux but de Diego Maradona. Lors d’un match de coupe du monde contre l’Angleterre, il marque avec la main et cet acte répréhensible est baptisé « la main de Dieu ». Comme si Dieu approuvait la tricherie, voire l’encourageait!
Maradona et la "main de Dieu"
Le Mondial 2010 a cependant montré que ni Kaká comme joueur, ni Beckham comme animateur de banc, ni Maradona comme entraîneur n’ont pu sauver leurs équipes respectives de leur honteuse déroute et de leur sortie prématurée de ce prestigieux tournoi.
Le foot et le croissant
Ce sont très probablement les footballeurs égyptiens qui ont popularisé les pratiques religieuses musulmanes publiques dans les stades. Surnommés l’équipe des « sajidines » (les prosternés), ils usent de la prosternation à chaque but marqué ou à chaque victoire. Cette façon de remercier Dieu en s’agenouillant et en posant son front sur la pelouse peut être aussi bien individuelle que collective. Ainsi, on a bien vu Abou-Trika se prosterner seul devant les buts après avoir marqué un pénalty ou accompagné par tous les Pharaons, en cercle, lors de leur victoire à la dernière coupe d’Afrique des nations.
Mais, il faut dire que cette pratique pose problème et est même considérée comme une « bidaâ » (innovation hérétique) par certains. En effet, lorsqu’un croyant se prosterne devant Dieu, ne doit-il pas le faire en direction de la Mecque? Et les prosternations en cercle, de quel rite proviennent-elles? Et qu’en est-il des ablutions?
L’acte même de la prosternation publique dans un stade ne fait pas l’unanimité des ulémas (savants théologiens). Certains, comme le Dr Salah Ben Mekbal Al-Osseïmi, de l’association du « Fiqh » en Arabie Saoudite, estiment qu’un tel geste pourrait être perçu par le public non musulman comme une provocation. Par contre, cet avis a été fortement contesté par le Dr Gouda Abdelghani Bassiouni, de l’Université d’Al Azhar au Caire. Ce dernier pense plutôt qu’il est légitime pour les joueurs de se prosterner pour remercier Dieu du bienfait qu’il leur a accordé en lui permettant de marquer un but [10].
Un élément nouveau et très significatif est apparu lors du match Égypte-Algérie lors de la demi-finale de la CAN 2010. Dès que l’arbitre siffla la fin du match gagné par les Pharaons, un membre de la délégation égyptienne accourut à la première caméra venue en brandissant un Coran, comme s’il voulait signifier que la victoire revenait à la bénédiction du Saint Livre qu’il avait serré contre lui durant tout le match. Le seul hic, est que l’équipe adverse, c'est-à-dire l’Algérie, est aussi une formation exclusivement musulmane. Va-t-on assister, dans l’avenir, à une guerre de Livres Sacrés, les uns imprimés au Caire et les autres dans les différents pays musulmans?
La piété (ou sa corollaire l’impiété) des joueurs égyptiens a fait la une des journaux à quelques reprises. Tout d'abord, le sélectionneur Hassan Shehata a déclaré à un journal cairote que « Nous ne sélectionnerons jamais un joueur manquant de piété quel que soit son potentiel. Je m’efforce toujours de m’assurer que ceux qui portent le maillot égyptien sont en bons termes avec Dieu ». D’ailleurs, le joueur Mido aurait été écarté de l’équipe, non pas pour son jeu, mais pour son manque de piété. Shehata a aussi cité le cas de Mohammed Zidan qui, grâce à lui (paraît-il), a fini par prier avec toute l’équipe [11]. C’est ce même Zidan qui s’est attiré les foudres de certains internautes « religieux » lorsqu’il a annoncé qu’il allait vivre avec son amie danoise Stina Rohde (sans être religieusement mariés) après un intermède éphémère avec May Ezzedine, une célèbre actrice égyptienne.
Mohamed Zidan et l'actrice May Ezzedine
Mohamed Zidan et Stina Rohde
La piété affichée de cette équipe a été malmenée par une affaire qui a secoué toute l’Égypte durant la coupe des confédérations 2009 qui s’est tenue en Afrique du Sud. Le journal britannique The Independent on Sunday a accusé certains joueurs d’avoir convié des péripatéticiennes dans leur hôtel après leur succès contre l'Italie [12]. Ce fait divers a fait scandale au pays des Pharaons, probablement pas pour les faits eux-mêmes, mais beaucoup plus par leur antinomie avec l’image de piété surmédiatisée de cette équipe.
Vidéos du polémiste Amr Adib sur le sujet
Une autre anecdote est aussi à verser dans ce débat footballistico-religieux. Il est de coutume, à la télévision algérienne, d’interrompre toute émission, quelle que soit sa nature, pour retransmettre l’appel à la prière. Cette règle eut cependant une exception : lors du match de barrage au Soudan entre l’Égypte et l’Algérie. Comme quoi, le foot a ses raisons que la religion n’a pas toujours.
Le foot, la croix et le croissant
Malgré tout ce qui vient d’être énoncé, l’équation religieuse dans le foot pose moins de problème lorsque les équipes sont mono-religieuses. Dans le cas contraire, la problématique prend des proportions surdimensionnées. Ainsi, la débâcle de l'équipe de France au Mondial a fait apparaître des vieux démons qui n’attendaient que la moindre occasion pour surgir. Au lieu de chercher les causes sportives de l’échec flagrant des Bleus et de leur piteuse qualification grâce à la main de Thierry Henry, certains commentateurs et politiciens ont invoqué une cause surprenante : l’islamisation de l'équipe de France. À cet effet, Benjamin Lancar, Président des Jeunes Populaires (mouvement de jeunesse de l’UMP), a cité Emmanuel Petit, ex-joueur de l’équipe de France, qui aurait déjà parlé cette « islamisation de l'équipe de France » [13].
Benjamin Lancar dans l'émission l'Actu au Karsher du 25 juin 2010 sur Beur FM
Mais cela n’est que l'aboutissement d’un long dénigrement des joueurs français qui montrent publiquement leur foi musulmane dans un pays à majorité chrétienne. Et cela est beaucoup plus virulent dans le cas des « convertis » comme Franck Ribéry ou Nicholas Anelka. Ainsi pouvait-on lire sur certains sites, bien avant le Mondial, des titres révélateurs comme « Les prières de Ribéry ont-elles leur place dans un stade ? » [14], « Qui expliquera à Franck Ribéry qu’un terrain de football n’est pas une mosquée? » [15] ou « Le footballeur milliardaire Anelka, converti à l’islam, ne veut pas payer ses impôts en France!» [16].
Franck Ribéry et Nicholas Anelka
Après ses déclarations sur le critère de piété dans la sélection des joueurs égyptiens, un journal italien a apostrophé Hassan Shehata en lui demandant la raison de l'absence de joueurs chrétiens dans la sélection des Pharaons. L’ambassade égyptienne à Rome a été contrainte de nier l’existence d’une telle discrimination et de clarifier les paroles de l'entraîneur national [17].
Le foot actuel est un foot-spectacle qui charrie avec lui tous les vices et les maux de la société : simulations, tricheries, matchs truqués, gros sous, racisme, malhonnêteté, etc. Le comportement des joueurs, des dirigeants, des supporters, hooligans et ultras, n’est généralement pas à la hauteur des valeurs prônées par toutes les religions. A-t-on déjà vu un joueur admettre sa faute ou avouer à l’arbitre une tricherie quelconque? A-t-on déjà aperçu un joueur remercier Dieu après avoir perdu un match ou rater un but? Doit-on remercier Dieu que lorsqu’Il nous offre un bienfait et l’oublier dans le cas contraire? Serait-ce donc des prières intéressées, un investissement spirituel à court terme pour un gain assuré?
Il est difficile de dire si on doit garder la foi dans le foot ou que le foot doit garder la foi en lui, mais il est clair que les tartuffes et leurs simulacres de mauvais aloi ne sont pas rares dans le monde du sport-roi.
Cet article a été publié le 15 juillet 2010 dans les colonnes du journal "Le Quotidien d'Oran"
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Consultation en ligne (site du Quotidien d'Oran)
Egyptian actress May Ezzedine has gotten engaged to football playe