Les médias mainstream s’égosillent à en perdre haleine, les titres des journaux se disputent des aphorismes fallacieux, les « spécialistes » inondent les plateaux de télés, des reportages sont diffusés sur la chose…
Bref, toute la meute médiatique occidentale hulule à l’unisson : le journal Hongkongais Apple Daily a été fermé par les « méchants » Chinois.
Joe Biden a dénoncé « un triste jour » pour la liberté de presse et le New York Times a titré : « "Fruit interdit": Apple Daily, un journal pro-démocratie à Hongkong, est contraint de fermer ». De son côté, Le Monde signale : « À Hongkong, le quotidien pro-démocratie "Apple Daily" annonce sa disparition cette semaine »
Les expressions magiques étaient donc lancées : « liberté de presse » et, surtout, « journal pro-démocratie ». En effet, dans la conception occidentale et américaine en particulier, l’exportation de la démocratie vers les régions « barbares » nécessitent des journaux et des médias locaux pour promouvoir un agenda spécifique à la mission de « démocratisation ». On en sait quelque chose en Algérie (lire un de mes articles sur le sujet : ici ou là). Et cela, en plus de la formation de cyberdissidents « autochtones », de leur financement et de leur réseautage (lire un de mes articles sur le sujet).
Mais comme les médias mainstream sont des experts du mensonge par omission et de la circulation circulaire de l’information, leurs articles développent une vision dichotomique de la nouvelle. D’un côté, il y a les bons (les journalistes pro-démocratie, symboles de la liberté de presse) et de l’autre, il y a les mauvais (les autorités chinoises).
Mais, il s’agit de gratter juste un peu le vernis pour comprendre que cette présentation des faits est trompeuse.
L’Apple Daily appartient à Jimmy Lai (de son vrai nom Lai Chee-Ying), un homme d’affaire hongkongais, milliardaire et magnat de la presse. Il est propriétaire de journaux ouvertement pro-manifestants et opposés à la politique chinoise, ce qui lui vaut d’être souvent traité de « traitre sécessionniste », « à la solde de la CIA » ou de « financer les émeutes » par les médias gouvernementaux.
Jimmy Lai: milliardaire hongkongais et magnat de la presse
Jimmy Lai est aussi un fervent admirateur du Président Trump. Dans une entrevue accordée à CNN, il déclara :
« Monsieur le Président, vous êtes le seul à pouvoir nous sauver. […] Si vous nous sauvez et arrêtez les agressions de la Chine, vous sauvez également le monde. »
Il publia une lettre en première page du Apple Daily pour implorer le président américain de défendre Hongkong. La dernière phrase est : « Monsieur le Président, s’il vous plait, aidez-nous ».
Jimmy Lai a également déclaré à Bloomberg News qu'il pensait que Trump devrait commencer par des sanctions contre les responsables chinois :
« La sanction la plus efficace … est de geler le compte bancaire de l'argent corrompu des hauts fonctionnaires chinois aux États-Unis et dans le monde libre. Je pense que cela en effraiera beaucoup d’entre eux ».
De son côté, le Président Trump lui rendit la politesse en le qualifiant d’« homme courageux » tout en lui exprimant son soutien.
Les accointances entre les dissidents de Hongkong et les autorités américaines sont nombreuses et variées. Même si on ne tient compte que de celles qui ont été rapportées par les médias, leur nombre et leur niveau laissent perplexe tout observateur de la scène politique hongkongaise et ne laisse aucun doute sur l’ingérence des États-Unis dans ce dossier si sensible pour la Chine.
Regardons cela d’un peu plus près et prenons le cas de Jimmy Lai. Juste en 2019, il eut de multiples rencontres au plus haut niveau. Ainsi, début juillet 2019, il s’est réuni à Washington avec le Secrétaire d’État Mike Pompeo, le Vice-président Mike Pence et le Conseiller américain à la sécurité nationale, John Bolton.
Jimmy Lai rencontre le vice-président américain Mike Pence à la Maison Blanche, le 8 juillet 2019
John Bolton et Jimmy Lai (Washington, le 10 juillet 2019)
Commentaire du journaliste Nicholas Wadhams:
"Très inhabituel pour un visiteur non gouvernemental d'obtenir ce type d'accès"
Le 3 août 2019, il a été aperçu avec Christian Whiton, un expert américain du « smart power ». Whiton a été conseiller principal dans les administrations Donald Trump et George W. Bush. Chercheur en stratégie et diplomatie publique, il est auteur du livre « Smart Power: Between Diplomacy and War ».
D’autre part, le 12 octobre 2019, Jimmy Lai, en compagnie de Anson Chan, rencontra le sénateur Ted Cruz à Hongkong.
Le 22 octobre 2019, Mme Nancy Pelosi, Présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, posta une photo sur Twitter, posant avec Jimmy Lai et d’autres dissidents hongkongais. Le texte qui l’accompagnait était dithyrambique :
« Je suis très heureuse d'accueillir Jimmy Lai, Martin Lee et Janet Pang au Capitole américain. Mon plein soutien et mon admiration vont à ceux qui sont descendus dans la rue semaine après semaine pour protester non violemment afin de lutter pour la démocratie et l'état de droit à Hongkong. »
Pour mettre fin aux différentes manifestations ouvertement soutenues par les États-Unis (lire mon article sur le sujet) qui ont régulièrement paralysé Hongkong, le gouvernement chinois a promulgué le 30 juin 2020 « la loi sur la sécurité nationale ».
Cette loi comprend six chapitres de 66 articles qui punissent quatre crimes: la sécession, la subversion, le terrorisme et la collusion avec l’étranger. Ces crimes peuvent conduire à la prison à perpétuité (ou un minimum 10 ans). C’est en vertu de cette loi que Jimmy Lai a été condamné, le vendredi 16 avril 2021, à 14 mois de détention pour son rôle dans l’organisation, en 2019, de deux grandes manifestations à Hongkong.
L’implications de l’Apple Daily et de son propriétaire dans les manifestations hongkongaises contre l’administration centrale chinoise ainsi que les étroites relations de Jimmy Lai avec les politiciens américains de très haut rang montrent que la décision de fermeture du journal tombe automatiquement sous le coup de la loi protégeant l’intégrité et la souveraineté de la Chine.
Il faut comprendre que depuis des années Hongkong représente le Cheval de Troie à travers lequel les États-Unis cherchent à déstabiliser la Chine, pays qui gagne actuellement sur tous les terrains de la prospérité. C’est pour cette raison que Mike Pompeo a promis que « Les États-Unis ne resteront pas les bras croisés pendant que la Chine engloutit Hongkong dans sa gueule autoritaire ».
Cette histoire devrait évidemment être méditée par les autorités algériennes car, malgré certaines différences socioéconomiques et historiques, de nombreuses similitudes existent entre ce qui se passe à Hongkong et ce qui se déroule actuellement en Algérie.
Note : Cet article comporte des extraits de ma contribution à notre livre collectif sur la Chine récemment édité en France:
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