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Accueil "Printemps arabe" Les bombes et la Toile comme armes

Les bombes et la Toile comme armes

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"L'analyse de Bensaada force la remise en question de l'interprétation romantique du «printemps arabe»"
L. Cornellier

Auteur du succès de librairie Une histoire populaire des États-Unis de 1492 à nos jours (Lux, 2006), le célèbre historien et intellectuel de gauche américain Howard Zinn était bombardier pendant la Seconde Guerre mondiale. À la mi-avril 1945, il déversait du napalm sur la ville française de Royan, près de Bordeaux, afin d'anéantir une garnison allemande. De retour dans son pays quelques mois plus tard, il se réjouit quand il apprend qu'une bombe atomique a été larguée sur Hiroshima, le 6 août 1945. Pour lui, cet événement annonçait la fin de la guerre et sa démobilisation.

Un an plus tard, il lira un reportage de John Hersey, un des premiers journalistes américains à se rendre à Hiroshima après le bombardement, paru dans le New Yorker. Les témoignages de survivants recueillis par Hersey bouleverseront Zinn. Il découvrira alors l'horreur absolue des bombardements aériens et fera tout pour partager sa prise de conscience avec ses compatriotes.

 

L'immoralité des bombardements

L'opuscule La Bombe, qui paraît en français à titre posthume puisque Zinn est mort en 2010, contient deux courts essais qui illustrent la profonde immoralité de la stratégie des bombardements aériens. Le premier, publié en 1995, traite du cas d'Hiroshima et le second, publié en 2010, revient sur le bombardement de Royan. «Il ne s'agit pas, insiste l'historien, que de réfléchir à un drame irréparable, appartenant au passé et ayant touché autrui: la question nous concerne tous, aujourd'hui témoins d'atrocités qui, bien qu'elles s'en distinguent par leurs détails, équivalent moralement à celles qu'ont subies Hiroshima et Nagasaki.» Des civils, en effet, meurent aujourd'hui, en Afghanistan et en Libye, sous les bombes de l'OTAN. Le Canada, membre de cette organisation, s'apprête à dépenser des milliards pour acheter des avions de guerre.

Les fascistes suscitaient l'indignation, rappelle Zinn, parce qu'ils se livraient à des bombardements aveu-gles de civils. Les Alliés, en Allemagne et au Japon, en ont fait autant. «Si le terme "terroriste" a la moindre signification, précise l'historien, il s'applique parfaitement aux bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki», comme à ceux de Cologne, de Francfort et d'Hambourg. Justifiés par une logique de représailles, ces bombardements font «comme si l'attaque de Pearl Harbor avait été commise par les enfants d'Hiroshima ou que les chambres à gaz avaient été administrées par les réfugiés s'entassant à Dresde». Cette violence de masse, a-t-on dit alors comme on continue de le dire aujourd'hui, était nécessaire pour combattre le fascisme. «Nous devrions maintenant savoir, réplique Zinn, que l'horreur des moyens est toujours certaine tandis que la pertinence des fins ne l'est jamais.»

L'historien montre, en effet, que, à l'été 1945, les Japonais cherchaient à capituler sans perdre la face et que l'horreur atomique n'était pas nécessaire. Les États-Unis ont donc «exterminé 200 000 personnes dans le but d'affirmer leur puissance» et de tester leurs nouvelles armes. À Royan, de même, les Allemands étaient prêts à se rendre. L'attaque au napalm de la ville était donc stratégiquement inutile.

Pour l'historien, toutefois, l'enjeu de cette discussion est d'abord moral. «Peut-on, demande-t-il, justifier les atrocités que les bombardements massifs caractéristiques des guerres modernes infligent à des centaines de milliers d'êtres humains par des "nécessités" d'ordre militaire, stratégique ou politique?» Si nous croyons, comme Zinn, que la réponse est non, parce que la vie des autres vaut la nôtre, nous avons le devoir, avec nos modestes moyens de citoyens, de le faire savoir à ceux qui commettent ces atrocités en notre nom.

Aux commandes de son avion, au coeur de l'action, le bombardier Zinn répandait la mort la conscience tranquille. C'est comme citoyen qu'il a pris conscience de l'immoralité de ses actions militaires. En racontant son évolution morale avec clarté, intelligence et émotion, il nous invitait, encore un mois avant sa mort, à briser notre indifférence meurtrière.

Grenades virtuelles

Les États-Unis n'ont pas eu besoin de bombarder la Tunisie et l'Égypte pour renverser les régimes dictatoriaux de ces pays. Le «printemps arabe», cette révolte spontanée des masses écrasées, aura suffi.

Est-ce si simple? Physicien, enseignant et journaliste montréalais d'origine algérienne, Ahmed Bensaada ne partage pas cette analyse. Dans Arabesque américaine. Le rôle des États-Unis dans les révoltes de la rue arabe, il tente de mettre au jour la «présence d'une main américaine derrière ces révoltes».

Selon Bensaada, de riches organismes américains, comme la USAID, la NED, Freedom House et l'Open Society Institute de George Soros auraient, avec la connivence du gouvernement étatsunien et l'aide de Google et Twitter, largement financé la formation des cyberdissidents à l'origine du «printemps arabe».

Déjà testée lors des «révolutions colorées» dans les pays de l'Est (Serbie, Géorgie, Ukraine, Kirghizistan), cette méthode de déstabilisation des gouvernements étrangers, notamment inspirée par «l'idéologie de résistance individuelle non violente» théorisée par le philosophe américain Gene Sharp, aurait été reprise presque telle quelle dans les pays arabes.

Bensaada reconnaît que «le peuple de la rue arabe a été courageux et [que] beaucoup de militants se sont sacrifiés», mais il montre aussi «que cela ne s'est pas fait sans l'aide considérable et de longue haleine des États-Unis». Il craint donc des lendemains décevants puisque la politique étrangère des Américains «n'a jamais été un modèle de philanthropie».

Solidement documentée, quoique s'appuyant parfois sur des sources douteuses1, reconnues pour leur antiaméricanisme primaire (Jean-Guy Allard2, Michel Chossudovsky3, Thierry Meyssan4), l'analyse de Bensaada force la remise en question de l'interprétation romantique du «printemps arabe».

***
Louis Cornellier

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Le Devoir (4-5 juin 2011)

 


Remarques de A. Bensaada

 

1- Le livre contient 268 références. Seulement 7 sont reliés à ces auteurs

2- Jean-Guy Allard est un ancien journaliste du Journal de Montréal. Il a été cité dans le livre pour sa connaissance de la situation politique du Venezuela. En 2009, il a cosigné un livre très documenté avec Eva Golinger: La Agresión Permanente: USAID, NED y CIA.

3- Michel Chossudovsky est un économiste canadien, professeur à la faculté des sciences sociales de l'université d'Ottawa. Contributeur occasionnel du Monde diplomatique, il est le directeur du Centre de recherche sur la mondialisation, un site internet consacré aux enjeux de « la guerre au terrorisme » et les conflits du Moyen-Orient. Plus de détails sur Wikipédia.

4- Thierry Meyssan est un journaliste français, président-fondateur du Réseau Voltaire. Plus de détails sur Wikipédia.

 


 

À retenir

La bombe

  • De l'inutilité des bombardements aériens
  • Howard Zinn
  • Traduit de l'anglais par Nicolas Calvé
  • Lux
  • Montréal, 2011, 96 pages
Arabesque américaine
  • Le rôle des États-Unis dans les révoltes de la rue arabe
  • Ahmed Bensaada
  • Michel Brûlé
  • Montréal, 2011, 120 pages

 



 

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